Pérou: Plaidoyer international contre les violations des droits humains

12/12/2023

COMMUNIQUE DE PRESSE

Lima, Genève, Bruxelles, 7 décembre 2023. Le 7 décembre 2022 a lieu au Pérou la destitution et l’emprisonnement du président paysan Pedro Castillo et l’investiture arbitraire de la vice-présidente Dina Boluarte, avec le soutien du banc fujimorista et d’autres groupes parlementaires de droite et extrême droite. Cet événement a fait ressurgir les fractures sociales historiques du pays, conduisant à une crise sociopolitique généralisée, marquée par une répression sanglante des manifestations populaires et par des violations généralisées et systématiques des droits humains par le gouvernement de facto.

En février 2023, face aux violations des droits humains, à la violence à l’égard des femmes autochtones, à la répression et à la criminalisation de la protestation sociale, nos organisations ont rédigé et déposé une plainte auprès des différents mécanismes de protection des droits de l’homme de l’ONU afin de dénoncer les différentes violations perpétrées par le gouvernement péruvien de facto et réclamer justice pour les victimes.

Fin février 2023, sur la base des plaintes reçues, différents Rapporteurs de l’ONU1 ont envoyé une communication au gouvernement, l’interrogeant sur différents points relatifs entre autres à la répression des manifestations, à la mort de manifestants, aux disparitions forcées et aux détentions arbitraires.

Le 21 avril 2023, le gouvernement péruvien a publié sa réponse aux questions des Rapporteurs. Il s’agit d’une réponse partielle et insatisfaisante dans la mesure où elle ne répond pas aux principales questions soulevées par les Rapporteurs. En particulier, elle omet de fournir les informations indispensables pour répondre aux questions principales soulevées par les Rapporteurs (et par conséquent, la plainte déposée), et tente plutôt de légitimer les violations présumées des droits humains lors des manifestations, l’usage excessif de la force, le phénomène du « Terruqueo » (discours essentiellement raciste) et les allégations abusives de terrorisme.

Il convient de rappeler que plusieurs organismes internationaux de défense des droits humains, notamment les procédures spéciales de l’ONU, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et son bureau régional, ont vérifié et pris note de l’usage disproportionné de la force. Ces instances ont recensé des cas de racisme, de torture, de détentions arbitraires, de disparitions et d’exécutions extrajudiciaires, totalisant plus de 60 morts, dont 49 personnes abattues par les forces de sécurité. Ces actes restent impunis, laissant les victimes sans justice ni réparation.

Principales conclusions des enquêtes du Haut Commissariat et du Rapporteur sur la liberté d’association :

Cependant, la criminalisation de la protestation, ainsi que des organisations populaires et de ses leaders, se poursuit sans relâche. De surcroît, en mai 2023, la Cour suprême péruvienne a statué que les manifestations citoyennes étaient un crime, parce qu’elles n’auraient aucune légitimité juridique, étant donné qu’elles ne seraient pas reconnues dans la Constitution du pays ou dans toute autre réglementation juridique. Cette décision s’inscrit dans la stratégie du gouvernement visant à délégitimer et à criminaliser toute dissidence, en soumettant le pouvoir judiciaire à la stratégie politique du gouvernement. Plus récemment, le lundi 4 décembre 2023, le décret législatif n° 1589 est publié au Journal officiel El Peruano, modifiant le code pénal dans le but d’emprisonner un plus grand nombre de citoyens et de dirigeants sociaux qui exercent leur droit de protester contre le régime. Cette modification juridique intervient quelques jours avant le début de nouvelles journées de protestation au Pérou.

La réponse à la communication des mécanismes de protection des droits humains de l’ONU, ainsi que toutes les actions du gouvernement de facto dans d’autres espaces et à d’autres niveaux, reflètent une volonté claire de se décharger de toute responsabilité dans les violations généralisées et systématiques des droits humains dans le contexte de l’agitation sociale du pays.

Le gouvernement péruvien de facto doit mettre fin aux actions répressives et à la criminalisation de la dissidence, en particulier à l’égard des organisations paysannes et indigènes, conformément aux dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples indigènes. Le respect du droit de manifester, de la liberté d’expression et de la liberté d’association et de réunion pacifique des défenseurs et de tous les manifestants est une nécessité absolue dans la situation sociale actuelle. Il est également crucial d’avancer vers la libération immédiate de tous les défenseurs détenus arbitrairement dans le cadre des protestations sociales, y compris la libération du président Pedro Castillo, détenu arbitrairement depuis décembre 2022.

En ce sens, pour orienter le pays vers la paix sociale et retrouver une voie démocratique, il est nécessaire de veiller à ce que les responsables de ces violations soient dûment identifiés et sanctionnés. Dans le même temps, il est essentiel que les organismes internationaux fassent appliquer les décisions relatives aux crimes contre l’humanité commis sous le gouvernement d’Alberto Fujimori, dont la Cour constitutionnelle du Pérou a ordonné la libération immédiate le 5 décembre dernier. La justice doit être renforcée face à ce nouvel assaut de l’impunité.

Au vu de ce qui précède, nous attirons à nouveau l’attention des organes et des mécanismes de l’ONU de suivre de près la situation dans ce pays, y compris par des visites de suivi sur le terrain. Nous appelons également les États membres de l’ONU, et en particulier les États d’Amérique latine, afin qu’ils interviennent pour que le gouvernement de facto respecte ses obligations constitutionnelles et internationales en matière de droits humains et collabore de manière constructive avec tous les organismes internationaux et régionaux de protection de ces droits.

 

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Contacts:

Lourdes Huanca, FENMUCARINAP/La Via Campesina, fenmucarinap2006@gmail.com

Raffaele Morgantini, CETIM, www.cetim.ch, raffaele@cetim.ch, +41796606514

Notes:

1 Le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association ; le Groupe de travail sur la détention arbitraire ; le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ; le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ; le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression ; le Rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme ; le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste ; et le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement.

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