Violations des droits humains commises par Coca Cola en Colombie

11/11/2014

La société transnationale Coca Cola2 s’est installée en Colombie dans les années 1940, par le biais de la franchise octroyée aux usines d’embouteillage Indega S.A. dans le centre, sur la côte nord et au nord-est de la Colombie, créant d’autres franchises telles que Bebidas y Alimentos de Urabá. Les usines d’embouteillage regroupées sous Indega S.A. ont été achetées en 1995 par Panamco Beverages Inc. dont 25% des actions sont détenues par Coca Cola. En mai 2003, Fomento Mexicano S.A., par le biais de la franchise Coca Cola Femsa S.A., a acheté Panamco alors que Coca Cola conservait 31,6% des actions de l’entreprise. Coca Cola Femsa détient la franchise en Colombie avec laquelle elle opère dans la majorité des pays d’Amérique latine.

Grâce à ce montage légal qui relève d’une procédure d’externalisation, Coca Cola gère la production et la vente de ses produits en préservant son contrôle sur les marques qu’elle détient, en maintenant le pouvoir de décision de ses actionnaires et sa participation dans les conseils d’administration des entreprises locales. Coca Cola conserve également le contrôle de tout le processus de fabrication, des matières premières à la distribution en passant par les ingrédients, la production et la politique en matière de travail, tout en refusant d’endosser la moindre responsabilité pour les violations des droits humains commises.

Les impacts des activités de Coca Cola en Colombie touchent entre autres l’environnement et la santé3. Mais surtout l’histoire de Coca Cola en Colombie est celle d’une attaque permanente contre le droit du travail et les droits syndicaux qui s’est, entre autres, traduite par l’assassinat de plus de dix syndicalistes et des liens présumés entre Coca Cola et des groupes paramilitaires.

L’allongement de la journée de travail et l’accroissement de la cadence de travail a permis à l’entreprise Coca Cola Femsa de continuer à faire fonctionner cinq usines d’embouteillages en fermant, en contre partie, onze autres en 2003 et licenciant ainsi des centaines d’employés. Les affilés à Sinaltrainal ont entamé une grève de la faim en mars 2004, pour tenter de bloquer ce renvoi massif de travailleurs. En 2014, une immense usine d’embouteillage dont les locaux sont en train d’être édifiés dans la municipalité de Tocancipá à Cundinamarca devrait être bientôt opérationnelle. Il est prévu de nouvelles fermetures d’usines d’embouteillage et d’importants licenciements de personnel.

D’après certains documents officiels de l’entreprise – documents connus des dirigeants de Sinaltrainal – comme les dénommés « Dia D », « Pla Padrino » et « El Corrientazo », le syndicat Sinaltrainal est considéré comme un obstacle à la réalisation de l’objectif de réduction des coûts de travail. En effet, Sinaltrainal s’oppose à toute forme de sous-traitance, or près de 70% des 7000 travailleurs sont employés via ce type de contrat à travers des entreprises de façades. Nombre d’entre elles sont de la propriété de cette même société transnationale comme, entre autres Atencom S.A.S., Imbera, OXXON, FL Colombia S.A.S. Ces entreprises sous-traitantes permettent d’éviter tout lien contractuel direct entre les travailleurs et Coca Cola et empêche l’association syndicale. De cette façon, elles évitent d’appliquer les avantages sociaux stipulés dans la convention collective de travail. Sinaltrainal lutte contre le soi disant plan des ressources humaines qui est en fait un plan de la transnationale pour affaiblir le syndicat (qui compte aujourd’hui seulement 287 travailleurs affiliés), abroger la Convention collective de travail et exercer des pressions illégales sur les travailleurs pour qu’ils renoncent à leurs contrats de travail.

Le 10 août 2004, Coca Cola, avec le consentement du Ministère du travail, a révoqué les statuts de Sinaltrainal, réussissant ainsi à empêcher que d’autres travailleurs externalisés puissent s’affilier au syndicat. L’entreprise a saisi la justice du pays pour rendre illégales les sections de Sinaltrainal à Bogota, Girardot, Santa Marta, Cali et Villacencio, entre autres, sans toutefois atteindre son objectif. La section de l’usine de Villacencio a été de nombreuses fois confrontée à ce type d’attaque. Actuellement le Tribunal du travail de la ville de Bogotá doit statuer sur le cas n° 0240-2012 à travers lequel l’usine d’embouteillage de Villavicencio appartenant à Coca Cola sollicite de nouveau que la section syndicale soit déclarée illégale. Elle a également essayé d’obtenir des juges (sans y réussir) le renvoi de dirigeants.

Afin de répandre la peur chez les travailleurs pour qu’ils ne s’affilient pas à Sinaltrainal ou renoncent à toute affiliation syndicale, l’administration de la société transnationale développe une campagne qui vise à faire passer les agresseurs pour les victimes : elle nourrit ainsi des campagnes systématiques de stigmatisation envers les membres de Sinaltrainal, en publiant des photos de travailleurs et de membres de leurs familles et en les accusant de vandalisme et d’avoir endommagé des biens. Elle a provoqué des préjudices moraux et matériels, en mettant en danger la vie et l’intégrité de plusieurs membres de Sinaltrainal4. Ces derniers étaient impliqués dans des procès pénaux en étant accusés d’injures, de calomnie, de dommages aux biens d’autrui, d’association de malfaiteurs, de rébellion, de terrorisme, entre autres. Plus de 12 dirigeants de Sinaltrainal ont ainsi été emprisonnés injustement. Étant donné qu’un mandat d’arrêt leur avait été notifié, Coca Cola en a profité pour leur annoncer leur licenciement « pour juste motif ». Cependant, l’entreprise a été dans l’obligation de les réintégrer à leurs postes de travail car ils ont été reconnus innocents5.

Pour entraver la liberté syndicale, la société transnationale réprime toute protestation en employant des moyens militaires. Par exemple, et le cas est loin d’être isolé, le 17 décembre 2010 dans l’usine de Medellin, la police est intervenue avec des chars blindés pour faire sortir par la force les travailleurs et membres de Sinaltrainal qui bloquaient la sortie des véhicules de distribution. Des représentants de Coca Cola, escortés par des policiers, se sont présentés au domicile des travailleurs avec des préavis de licenciement.

Le conflit social, politique et armé qui sévit en Colombie depuis plus de 50 ans, est utilisé comme prétexte par l’État et les transnationales comme Coca Cola, pour développer une politique anti-syndicale, en prétendant établir un lien entre l’activité syndicale, les revendications et les protestations des travailleurs, avec des actes d’organisations en marge de la loi ou auteures d’actes violents. Plusieurs membres de Sinaltrainal qui travaillent pour les usines d’embouteillage de Coca Cola ont été accusés à tort par le Département administratif de sécurité (DAS) de représenter un danger pour la sécurité nationale.

La société transnationale a été mise en cause pour ses liens et son soutien à la guerre que livrent les forces de sécurité de l’État. Un exemple de cela est la réunion (intitulée « Guidados por orgullo » Guidés par la fierté) de cadres des usines d’embouteillage de Coca Cola sur la base militaire de Tolemaida en février 2010, qui vêtus de l’uniforme militaire ont participé à un entraînement de manœuvres de guerre6.

Il convient d’ajouter à cela les 68 travailleurs affiliés à Sinaltrainal qui travaillent pour des usines d’embouteillage de Coca Cola depuis 1984 et qui sont menacés de mort, les exilés7, les personnes déplacées avec leur famille et que l’entreprise refuse de ré-installer dans d’autres villes8, les travailleurs emprisonnés sur la base de fausses accusations9… Soulignons également l’assassinat de onze travailleurs syndiqués10, dont cinq travaillaient dans l’usine d’embouteillage de Carepa Antioquia. L’un d’entre eux, Isidro Segundo Gil, a été assassiné dans l’enceinte même de l’usine le 5 décembre 1996, le jour même de l’arrivée à échéance de la période légale pour que l’entreprise engage des discussions portant sur le cahier des charges de Sinaltrainal11. Ces mêmes assassinsont arraché les portes du siège de Sinaltrainal et ont mis le feu à leurs installations. Le 26 décembre 1996, un autre travailleur de Coca Cola à Carepa fut sorti de force de l’usine d’embouteillage par des membres présumés des forces paramilitaires et fut assassiné près du cimetière de Chigorodó (Antioquia)12.

Seul le cas de l’assassinat de Adolfo de Jesús Munera López a conduit à une condamnation13, dans les autres cas les enquêtes n’ont donné lieu à aucunes condamnations.

En 2002, une plainte a été déposée devant la Cour du District de Miami, en Floride, contre Coca-Cola, dont le siège est à Altanta, pour sa présumée complicité dans l’assassinat de syndicalistes colombiens.

« Nous voulons que justice soit faite et que les gens sachent la vérité à propos de ce qui s’est passé contre les employés de Coca-Cola », a dit Javier Correa, le président de Sinaltrainal. La plainte concerne l’assassinat du syndicaliste Segundo Gil en 1996, peu après que Richard Kirby, le propriétaire étatsunien de l’usine de Carepa, Antioquía, ait dit qu’il ferait le nécessaire pour tuer et faire disparaître les travailleurs qui essayeraient de se syndicaliser et que, pour cela, il s’était mis d’accord avec des mercenaires à ce sujet.

Terry Collingsworth, juriste auprès de l’International Labor Rights Fund, se demande pourquoi Coca-Cola n’est pas intervenu pour mettre un terme à toute cette violence ? Il ajoute : « Coca-Cola, comme beaucoup d’autres entreprises, contrôle toute la filière de production et collecte les bénéfices, mais affirme qu’elle n’a pas de responsabilités envers les travailleurs ».

A cela, Coca Cola a répondu en dénonçant, devant le Bureau du Procureur, des membres de Sinaltrainal pour avoir porté l’affaire devant les tribunaux des États-Unis14. Et le 11 août 2009, le juge étatsuniens Thomas K. Kahn Clerck a mis un terme à la procédure lancée par Sinaltrainal contre Coca Cola en se déclarant incompétent pour juger ce cas pour absence de juridiction.15

En avril 2006, le Tribunal permanent des peuples a jugé Coca Cola et d’autres multinationales, dont Nestlé, coupables d’avoir violé les droits humains des travailleurs, d’avoir essayé de démanteler Sinaltrainal et de piller les ressources naturelles en Colombie, en particulier l’eau.

Grâce à une importante pression internationale, le Centre Carter des États-Unis s’est réunit avec des représentants de Coca Cola et de Sinaltrainal, puis des discussions ont été entamées avec Coca Cola en mars 2007 aux États-Unis. Cependant la société transnationale a essayé de gagner du temps par rapport à la dénonciation sus-citée pour changer les conditions d’un accord éventuel.

Sinaltrainal a eu recours au Comité de la liberté syndicale de l’Organisation internationale du travail (OIT)16 en déposant une plainte qui, au fil du temps, s’est allongée de par d’autres violations commises par Coca Cola en Colombie. Cependant, les recommandations émises n’ont pas été respectées17.

Devant la persécution dont les travailleurs des usines d’embouteillage de Coca Cola sont victimes et face à l’imminent danger pour leur vie et leur intégrité, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a dicté des mesures provisionnelles pour 26 affiliés de Sinaltrainal.

Le 9 octobre 2012, le European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) et le Colectivo de Abogados José Alvear Restrepo (CAJAR) de Colombie, avec le soutien de la Centrale unitaire des travailleurs du Chili (CUT), ont présenté une déclaration devant le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale à La Haye, pour demander que soit entamée une action pénale concernant la violence anti-syndicale en Colombie. Dans les affaires présentés, plusieurs des personnes assassinées sont des dirigeants de Sinaltrainal.

En 2008, l’OIT a effectué une mission en Colombie pour évaluer la situation mais elle n’a pas pris en compte les faits passés: les assassinats, les menaces de mort, les attentats, les tentatives de séquestration, les attaques contre le syndicat, les renvois massifs, les dégâts sur l’environnement et les preuves de ces faits présentées par Sinaltrainal n’ont ni été mises en valeur, ni acceptées.

Coca Cola continue de bénéficier d’une certaine impunité en ce qui concerne les violations des droits humains et du droit du travail et syndicaux en Colombie. Cela illustre le besoin d’avoir un instrument international contraignant qui permette de contrôler les activités des entreprises transnationales et ses impacts sur les droits humains ainsi que de garantir justice et réparation aux victimes.

Seul un instrument international contraignant pour les sociétés transnationales peut générer une pression légale, sociale et politique pour que soit mis terme aux assassinats de syndicalistes et à la précarisation du marché du travail. Cet instrument devrait également permettre d’obliger l’État colombien à juger et punir les responsables de la persécution des syndicalistes colombiens.

Pour ces raisons, le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) demande au gouvernement des États-Unis de se conformer à son obligation de garantir que les activités des sociétés transnationales qui ont leur siège dans son territoire, ne violent pas les droits humains dans d’autres pays et, le cas échéant, de garantir l’accès à la justice aux victimes. Nous appelons en particulier le gouvernement des États-Unis à intervenir pour mettre un terme aux attaques incessantes de Coca Cola contre les droits humains, le droit du travail et les droits syndicaux en Colombie et assurer que les victimes obtiennent justice et réparation.

Le CETIM demande aussi au gouvernement colombien de se conformer à son obligation d’assurer le respect et la protection des droits humains en Colombie, en particulier les droits du travail, syndicaux et d’association pacifique, de prendre urgemment toutes les mesures pour garantir la sécurité et l’intégrité physique des syndicalistes de Sinaltrainal. Nous appelons en particulier le gouvernement colombien à mettre un terme aux attaques permanentes de Coca Cola contre les droits humains en Colombie et de garantir la justice et réparation aux victimes de leurs activités.
Le CETIM demande au Rapporteur spécial sur des exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et au Rapporteur spécial sur le droit à la liberté de réunion et d’association pacifique à suivre de près cette affaire et à se rendre en Colombie.

Par ailleurs, le CETIM demande au Conseil des droits humains d’établir un groupe de travail intergouvernemental avec le mandat d’élaborer d’un instrument international contraignant pour surveiller les activités des sociétés transnationales et garantir l’accès à la justice pour les victimes de leurs activités.

Lire la déclaration écrite du CETIM

voir aussi Sociétés transnationales et droits humains, Brochure du CETIM, 2005

et Sociétés transnationales et droits humains, Bulletin n°43 du CETIM, 2012

et Cahier critique N°10, Cahier critique n°10 du CETIM, 2011

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