COMMUNIQUE DE PRESSE
Genève, le 24 mars 2022 – Depuis plus de 3 ans, les activités de la firme multinationale française Total en Ouganda empêchent des centaines de milliers de personnes de cultiver leur terre, en violation flagrante des droits des communautés concernées au travail, à l’alimentation, à la dignité ou encore à la vie.
A l’origine de ce problème se trouvent deux projets mis en place par la compagnie. D’une part, le projet Tilenga, qui consiste en l’exploitation et le forage de plus de 400 puits, dont au moins 132 dans une réserve naturelle protégée, et d’autre part, la construction de l’EACOP, le plus long oléoduc chauffé au monde, qui traversera l’Ouganda et la Tanzanie sur 1445 km. Le parcours de ce dernier passe par des forêts, des zones humides et des mangroves, participant à la déforestation, à la destruction de la biodiversité et des moyens de subsistance des communautés locales, ainsi qu’au réchauffement climatique.
Pourtant, malgré l’impact indéniable de ces projets sur l’écosystème et les populations ougandaises, Total semble fermer les yeux sur les répercussions de ses chantiers et ne pas se conformer aux obligations morales et légales qui lui incombent.
Face à cette inaction, deux associations françaises (Les Amis de la Terre France et Survie) ont collaboré avec quatre associations ougandaise (AFIEGO, CRED, NAPE/Amis de la Terre Ouganda et NAVODA) pour mettre Total en demeure en juin 2019 pour le non-respect de ses obligations légales.
Suite à la négation de l’entité en question, les associations ont assigné la compagnie en justice en octobre 2019, sur la base de la nouvelle loi française sur le devoir de vigilance.
Pour rappel, cette loi impose aux multinationales françaises d’élaborer et de publier un « plan de vigilance », détaillant les risques pour les droits humains et l’environnement identifiés dans leurs activités, ainsi que des mesures concrètes et adéquates pour prévenir les atteintes graves à ces droits et atténuer ces risques dans leurs activités partout dans le monde.
Les entreprises doivent donc s’assurer que ces mesures sont effectives et mises en œuvre dans toutes leurs activités, y compris celles effectuées au travers de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs à travers le monde, et rendre compte des résultats obtenus publiquement. Si une entreprise ne respecte pas ces obligations, elle peut être poursuivie en justice.
Ce qui est reproché à Total est précisément de ne pas avoir identifié de manière effective les risques d’atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, malgré l’adoption d’un nouveau plan de vigilance en 2020. Dès lors, si les risques ne sont pas identifiés de manière précise, il est impossible de mettre en place des mesures de vigilance efficaces.1
En janvier 2020, le tribunal de grande instance de Nanterre s’est déclaré incompétent pour statuer sur la demande faite par les associations françaises et ougandaises, statuant que l’affaire devait être confiée à un tribunal de commerce. Cependant, les tribunaux de commerce sont des instances d’exception, composées de juges non-professionnel·les qui sont élu.es par des milieux d’affaires. Le jugement de ce cas dans un tel tribunal aurait donc clairement été à l’avantage de la multinationale. A l’issue d’une longue procédure d’appel, le collectif d’associations a finalement obtenu gain de cause devant la Cour de cassation le 15 décembre 2021 : l’affaire sera jugée sur le fond devant le tribunal judiciaire de Nanterre.2
Il s’agit d’une première victoire pour la population ougandaise. Cependant, la procédure est encore longue et incertaine. Pendant ce temps, malgré des alertes répétées sur le danger que représentent les activités de Total en Ouganda – y compris celles de quatre Rapporteurs spéciaux de l’ONU -, la situation reste inchangée. Pire, la compagnie continue et intensifie ses chantiers, causant déjà des dommages irréversibles à l’environnement et menaçant la sécurité des personnes qui tenteraient de s’opposer aux projets.
C’est ce qu’a rapporté Maxwell Atuhura, intervenant au nom du CETIM et des Amis de la terre international, lors du débat tenu le mardi 22 mars dans le cadre de la 49e session du Conseil des droits de l’homme à Genève. M. Atuhura, militant des droits humains ougandais, a témoigné des menaces, arrestations et emprisonnements arbitraires opérés par le gouvernement ougandais, que subissent les militant·es qui s’opposent aux projets. Ainsi, il a appelé le Conseil, et par son biais la communauté internationale, à déployer les mécanismes nécessaires pour rappeler aux États français et ougandais leurs obligations internationales afin qu’ils agissent pour mettre fin aux violations flagrantes des droits humains et environnementaux ayant lieu en Ouganda avant qu’il ne soit trop tard.
Le cas de Total en Ouganda nous démontre que ni les normes volontaires internationales ni les lois nationales ne sont respectées pour garantir une réparation adéquate et l’accès à la justice. L’échange de terres et les compensations proposées n’ont pas été suffisants pour permettre aux personnes déplacées de retrouver des conditions de vie dignes. Les normes volontaires n’ont pas non plus permis d’avancer dans la responsabilisation de l’entité violatrice, à savoir la multinationale Total. Cela nous rappelle encore une fois la nécessité d’élaborer des cadres juridiques contraignants pour réguler les activités des STN et s’attaquer aux mécanismes qui leur permettent d’échapper à la justice en toute impunité. C’est pourquoi le CETIM continue à plaider dans le cadre onusien en faveur d’un traité international contraignant qui puisse représenter un véritable rempart contre l’impunité de ces entités, en établissant des mécanismes solides et efficaces de responsabilisation et d’accès à la justice.
Pour lire la déclaration de Maxwell Atuhura en anglais cliquez ici
1 Voir note « Total Ouganda, Première action en justice sur le devoir de vigilance des multinationales : où en est-on ? », publiée par Les Amis de la Terre France et Survie, octobre 2020 et article « Un cauchemar nommé Total », site des Amis de la Terre France, 20 octobre 2020.
2 15 décembre 2021, Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, pourvoi n° 21-11.882.