Dettes extérieures: les fonds vautours combattus à l’ONU

08/12/2014

En septembre 2014, le Conseil des droits de l'homme a adopté une résolution proposée par l'Argentine qui condamne les fonds vautours et confie au Comité consultatif la tâche d’établir un rapport sur l'impact de leurs activités sur les droits humains. Au même moment, l'Assemblée générale des Nations Unies à New York adoptait également une résolution liée aux fonds vautours et décidait de lancer des négociations sur cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine. Plus que jamais, les fonds vautours sont dans le viseur de l'ONU.

La dette extérieure continue d'être un fardeau pour la plupart des pays du Sud, mais désormais également pour de nombreux pays du Nord1. Phénomène nouveau, les principaux créanciers ne sont plus des entités publiques mais en majorité privées. Selon les données de l'ONU, « la dette à long terme a représenté en 2013 environ 72% de l’encours total de la dette, et elle était principalement due à des créanciers privés.(…) La part de la dette à court terme a quant à elle augmenté, passant de 1,26 millier de milliards de dollars en 2011 à 1,35 millier de milliards de dollars en 2012, puis à 1,5 millier de milliards de dollars en 2013. »2 Sur cette somme, « les investisseurs étrangers détiennent actuellement 1000 milliards de dollars de la dette publique des pays en développement ou en transition, à l’exclusion des emprunts publics extérieurs3. Environ la moitié de cette dette a été contractée entre 2010 et 2012, principalement grâce à des apports de gestionnaires d’actifs étrangers attirés par les grandes différences de taux d’intérêt par rapport aux pays développés. »4

Cette situation confère un pouvoir incommensurable à ces créanciers privés parmi lesquels des entités appelées « fonds vautours » ne cherchent qu'à siphonner les ressources publiques par de multiples moyens, y compris judiciaires (voir encadré). Comment cela marche ? « Les fonds vautours achètent des crédits, souvent à très bas prix, dans le but d'engager des poursuites contre le débiteur pour l'amener à rembourser intégralement sa dette. Leurs taux de recouvrement représentent en moyenne 3 à 20 fois leur investissement, ce qui équivaut à des rendements (nets des frais de justice) de 300 % à 2000 %. Le modus operandi est simple : acheter une dette d’une entité en difficulté à un prix dérisoire, refuser de participer à la restructuration, puis recouvrer le montant total de la dette, souvent à la valeur nominale plus les intérêts, arriérés et pénalités, à travers un procès si nécessaire. »5

Définition des Fonds vautours

Selon l'Expert indépendant du CoDH sur les effets de la dette extérieure sur les droits humains, Cephas Lumina6, « L'expression 'fonds vautours' désigne des entités commerciales privées qui font l'acquisition, par achat, cession ou toute autre forme de transaction, ou parfois par le biais de procédures judiciaires, de dettes impayées ou en déshérence, en vue de réaliser un profit élevé. Dans le contexte de la dette souveraine, les fonds vautours (ou 'fonds de créances sinistrées', comme ils s'appellent souvent eux-mêmes) acquièrent en général la dette souveraine de pays pauvres défaillants (dont beaucoup sont des pays pauvres très endettés – PPTE) sur le marché secondaire à un prix très inférieur à la valeur nominale de celle-ci puis tentent, par la voie judiciaire, la saisie d'actifs ou des pressions politiques, d'en recouvrer le montant intégral, majoré d’intérêts, de pénalités et de frais de justice. »7

C'est l'amère expérience faite par plusieurs Etats dont le cas le plus connu est l'Argentine (voir encadré). Ce n'est donc pas par hasard que l'Argentine, avec l'appui de nombreux autres États, s'est engagée dans une campagne contre les fonds vautours et pour « un cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine ». En septembre dernier, l'Argentine a fait passer deux résolutions importantes à l'ONU. Voici un bref récit.

Conseil des droits de l'homme

Le 26 septembre 2014, le ministre des Affaires étrangères de l'Argentine, M. Héctor Marcos Timerma, s'est rendu à Genève pour présenter en personne un projet de résolution sur les fonds vautours au Conseil des droits de l'homme de l'ONU (CoDH). Ce projet de résolution affirme tout d'abord le lien entre la dette extérieure et la pauvreté ainsi que le développement en ces termes : « Le fardeau de la dette contribue à l’extrême pauvreté et à la faim, constitue un obstacle à un développement humain durable, à la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement, au droit au développement et, par conséquent, compromet gravement la réalisation de tous les droits de l’homme ».

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Selon le projet de résolution en question, « le système financier international ne s’appuie pas sur un cadre juridique solide permettant une restructuration cohérente et prévisible de la dette souveraine, ce qui augmente encore le coût économique et social du non-respect des obligations en la matière ».

Tout en déplorant que les fonds vautours, « par la voie judiciaire et par d’autres moyens, obligent les pays endettés à détourner des ressources financières dégagées par l’annulation de la dette et réduisent l’allégement de la dette de ces pays, ou atténuent les effets positifs qui peuvent en résulter, ce qui compromet la capacité des gouvernements de garantir le plein exercice des droits fondamentaux de la population », le projet de résolution condamne sans équivoque les activités des fonds vautours qui altèrent « la capacité des gouvernements de s’acquitter de leurs obligations en matière de droits de l’homme, surtout en ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels et le droit au développement ».

Par ailleurs, le projet résolution, constatant les failles et le caractère injuste du système financier mondial « engage les États à envisager la mise en place de cadres juridiques afin de restreindre les activités prédatrices des fonds rapaces dans leur juridiction ».

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Par ce projet de résolution, le Conseil des droits de l'homme a confié au Comité consultatif (son organe d'experts) la tâche d’établir un rapport sur l'impact des activités des fonds vautours sur les droits humains. Ce projet de résolution a été adopté par 33 voix contre 5, avec 9 abstentions, malgré la tentative des États-Unis d'empêcher son approbation8. Pour ces derniers, la résolution adoptée menace la stabilité des institutions financières internationales et l'aide au développement aux pays du Sud. Fait intéressant à relever, les alliés traditionnels de ce pays sur ce dossier tels que la France et l'Italie, qui votent de manière générale contre toute résolution sur la dette extérieure au Conseil des droits de l'homme arguant que c'est au sein du FMI et de la Banque mondiale qu'il faut en discuter, se sont abstenus.

Assemblée générale

Pendant que le Conseil des droits de l'homme siégeait à Genève, l'Assemblée générale de l'ONU achevait sa 68e session à New York lors de laquelle une résolution importante, présentée par la Bolivie, au nom du G77 et de la Chine, a également été adoptée sur le même sujet. Pour ces pays, « les fonds vautours ne doivent pas paralyser les efforts de restructuration de la dette des pays en développement, et ils ne peuvent avoir la priorité sur le droit qu’a un État de protéger son peuple en vertu du droit international. » Ils s'inquiètent également du sort réservé à l'Argentine car, disent-ils : « Aujourd’hui c’est de l’Argentine qu’il s’agit, mais de nombreux pays en développement, et même développés, ont subi par le passé le même comportement prédateur, et cela continuera de se produire si nous n’agissons pas maintenant. »9

Cas de l'Argentine

« Le contexte relatif à l’Argentine est le suivant. En 2014, la Cour suprême des États-Unis a donné raison à Thomas Griesa, un juge new-yorkais qui a condamné l’Argentine à indemniser des fonds vautours. Ceux-ci veulent faire un profit de 1 600% sur des titres de la dette argentine qu’ils ont achetés pour une bouchée de pain il y a quelques années. Comme l’Argentine jusqu’ici refuse de verser la somme voulue par les fonds vautours, le juge a fait bloquer sur un compte bancaire de la banque Mellon de New York la somme que l’Argentine y avait versée. Cette somme devait servir à payer les créanciers (il s’agit de sociétés financières privées : banques, fonds de placement, assurances…) qui ont participé en 2005 et en 2010 à une restructuration de la dette argentine. Par conséquent, à cause de cette décision du pouvoir judiciaire des États-Unis, l’Argentine est en suspension partielle de paiement. C’est une situation paradoxale : alors que le gouvernement argentin veut payer, un juge new-yorkais l’en empêche. »10

Pour le Secrétaire général de l'ONU, l'arrêt de la Cour suprême des États-Unis du 16 juin 2014 (République argentine c.NML Capital Ltd.) a « d’importantes conséquences pour les tiers (en l’occurrence les banques) qui font des versements au nom du Gouvernement argentin aux créanciers qui ont participé aux deux conversions de créances. »11 Pour lui, ce jugement « établit d’importants précédents juridiques qui pourraient a voir de profondes répercussions sur le système financier international et représente un important revers pour la restructuration de la dette souveraine internationale. »12

Cette résolution s’appuyait également sur le rapport du Secrétaire général, publié en juillet 2014, qui, en analysant le cas argentin, démontre les failles des arrangements internationaux concernant la dette extérieure : « L’affaire République argentine c. NML Capital Ltd. a montré les complications qui peuvent surgir en l’absence d’un mécanisme international de réaménagement de la dette. Les arrangements internationaux ponctuels de règlement des crises de la dette ont été source d’incohérence et d’imprévisibilité. Différents tribunaux ayant des interprétations très différentes des mêmes clauses contractuelles peuvent imposer un large éventail de décisions. La politique et les groupes d’intérêt peuvent influer sur les décisions et la restructuration de la dette, ce qui compromet la cohérence et l’équité. Les arrêts dans l’affaire République argentine c. NML Capital Ltd. ont rendu plus difficile toute restructuration future de la dette, les débiteurs ne disposant plus que de la pression morale et des relations internationales pour inciter les créanciers à la coordination. »13

C'est dans ce contexte que la résolution 68/304 a été adoptée par l'Assemblée générale le 9 septembre 2014, par 124 voix contre 1114, avec 41 abstentions15. Par cette résolution, l'Assemblée générale a décidé « d’élaborer et d’adopter à titre prioritaire, dans le cadre de négociations intergouvernementales au cours de sa 69e session, un cadre juridique multilatéral applicable aux opérations de restructuration de la dette souveraine, (…) ». Elle a également décidé « d’arrêter les modalités des négociations intergouvernementales et de l’adoption du cadre juridique multilatéral lors de la partie principale de sa 69e, avant la fin de 2014. »

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Comme l'a déjà affirmé à maintes reprises le CETIM et il est désormais largement admis que la dette est un obstacle majeur au développement des pays du Sud et à la mise en œuvre des droits économiques, sociaux et culturels. Elle menace même les économies des pays du Nord, comme cela est déjà arrivé à plusieurs reprises dans l'histoire récente16 et continue depuis 2008 dans plusieurs pays européens. Seule la réalisation d'un audit intégral sur la dette publique, dans un premier temps, peut permettre d'y voir plus clair, d'agir en conséquence et d'éviter la spirale de l'endettement. C'est ce que le gouvernement de Rafael Correa en Équateur a décidé en 2007-2009. C'est pourquoi, le CETIM milite depuis plus de deux décennies pour que des audits soient organisés afin d'identifier la légitimité des créances avancées, l'identité et les responsabilités des débiteurs et des créanciers et, subsidiairement, l'origine des capitaux prêtés. Ces audits devraient également apporter des réponses sur l'usage des emprunts et sur leurs conditionnalités. Le CETIM, en collaboration avec le CADTM et d'autres organisations, vient de publier un nouveau livre sur la dette qui pourrait servir de guide pour les démarches des mouvements sociaux, citoyens et élus à la réalisation des audits17.

Exemple du Liberia

« En 1978, le Liberia a emprunté 6,5 millions de dollars des États-Unis à la Chemical Bank, sise aux États-Unis. La banque a vendu la dette à FH International Financial Services Inc. et à Sifida Investment Company S.A., qui ont ensuite intenté une action en justice pour la récupérer devant un tribunal de New York. Le 19 juin 2002, le tribunal a rendu un jugement par défaut contre le Liberia condamnant ce pays à verser quelque 18,4 millions de dollars des États-Unis. Une fois le jugement rendu, la dette a été cédée plusieurs fois par FH International Financial Services et Sifida à des tiers puis de nouveau aux deux créanciers en faveur duquel le jugement avait été rendu. La dette a ensuite été cédée à Hamsah Investments Ltd. (fonds immatriculé dans les Îles Vierges britanniques) et à Wall Capital Ltd. (fonds immatriculé dans les Îles Caïmans).

«  En juin 2008, Hamsah Investments et Wall Capital ont engagé une procédure judiciaire devant la Haute Cour de Londres pour faire enregistrer par la justice britannique le jugement rendu par le tribunal de New York. Le 26 novembre 2009, la Haute Cour a ordonné au Liberia de verser aux plaignants plus de 20 millions de dollars des États-Unis, avec intérêts. Tout en prenant acte du fait que le Liberia était « à court d'argent » et en reconnaissant que le montant dû était une 'somme élevée', le tribunal a déclaré que le Liberia 'devait faire tout son possible'. Il a rejeté l'argument du Liberia, selon lequel il n'avait pu répondre à la plainte déposée devant le tribunal de New York en raison des difficultés financières qu'il connaissait, du fait notamment qu'il avait traversé une période de guerre civile. Le tribunal a également jugé que le s accords de rééchelonnement de la dette que le Liberia avait conclus avec ses créanciers du Club de Paris n'avaient pas d'incidence sur les obligations de l’État envers les sociétés privées. »18

A noter que, en 2010, le parlement britannique a voté une loi qui plafonne les remboursements que peuvent exiger les fonds vautours lorsque ceux-ci s’attaquent aux pays classé PPTE par la Banque mondiale. Les 20 millions de dollars réclamés au Liberia en 2009 devant la Haute Cour de Londres par les fonds vautours Hamsah Investments and Wall Capital ont ainsi été réduits à 2 millions19

 


1 A noter que la tendance dans de nombreux pays est également à l'augmentation de la dette intérieure qui reste préoccupante.

2 Rapport du Secrétaire général soumis à la 69e session de l'Assemblée générale de l'ONU, A/69/167, § 3, 22 juillet 2014.

3 Selon le même rapport, à la fin de l'année 2012, « les banques centrales étrangères ne détenaient qu’entre 40 milliards de dollars et 80 milliards de dollars de la dette publique des pays en développement ou en transition, sur un total d’environ 1000 milliards de dollars détenu par des étrangers. », A/69/167, § 40.

4 Idem, § 39.

5 Voir l'article intitulé « Fonds vautours et dette souveraine », http://www.afdb.org/fr/topics-and-sectors/initiatives-partnerships/african-legal-support-facility/vulture-funds-in-the-sovereign-debt-context/

6 Il a été titulaire de ce poste entre 2008 et 2014. Depuis mai 2014, ce poste est occupé par M. Juan Pablo Bohoslavsky.

7 Cf. Rapport de l'Expert indépendant présenté à la 14ème session du Conseil des droits de l'homme, A/HRC/14/21, § 8, 29 avril 2010.

8 Voir A/HRC/RES/27/30, adoptée le 26 septembre 2014. Ont voté en faveur : Afrique du Sud, Algérie, Arabie saoudite, Argentine, Bénin, Botswana, Brésil, Burkina Faso, Chili, Chine, Congo, Costa Rica, Côte d’Ivoire, Cuba, Émirats arabes unis, Éthiopie, Gabon, Inde, Indonésie, Kazakhstan, Kenya, Koweït, Maldives, Maroc, Mexique, Namibie, Pakistan, Pérou, Philippines, Russie, Sierra Leone, Venezuela, Viet Nam ; ont voté contre : Allemagne, États-Unis, Japon, République tchèque et Royaume-Uni ; se sont abstenus : Autriche, Corée du Sud, Estonie, France, Irlande, Italie, Macédoine, Monténégro et Roumanie.

9 Cf. A/68/PV.107, du 9 septembre 2014.

10 Voir l'article d'Eric Toussaint du 5 novembre 2014 intitulé « Argentine : des nouvelles encourageantes concernant la lutte contre la dette illégitime », http://cadtm.org/Argentine-des-nouvelles

11 Rapport du Secrétaire général soumis à la 69ème session de l'Assemblée générale de l'ONU, A/69/167, § 46, 22 juillet 2014.

12 Idem, § 47.

13 Cf. Rapport du Secrétaire général soumis à la 69ème session de l'Assemblée générale de l'ONU, A/69/167, §, 57 juillet 2014.

14 Allemagne, Australie, Canada, États-Unis, Finlande, Hongrie, Irlande, Israël, Japon, République tchèque et Royaume-Uni.

15 Albanie, Andorre, Arménie, Autriche, Belgique, Bosnie, Bulgarie, Chypre, Corée du Sud, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, France, Géorgie, Grèce, Islande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Mexique, Moldova, Monaco, Monténégro, Norvège, Nouvelle-Zélande, Papouasie-nouvelle-Guinée, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse et Ukraine.

16 Voir entre autres, Dette et droits humains, éd. CETIM, Genève, décembre 2007, p. 31, https://www.cetim.ch/fr/publications_dette.php

17 Un premier manuel pour l'organisation d'audit de la dette des pays du Sud a été pub lié en trois langues (anglais, français et espagnol) en 2006 fut rapidement épuisé (Menons l'enquête sur la dette ! Manuel pour les audits de la dette du Tiers Monde, co-édition CETIM et CADTM, https://www.cetim.ch/fr/publications_ouvrages/138/menons-l-enquete-sur-la-dette-manuel-pour-les-audits-de-la-dette-du-tiers-monde). Le nouveau manuel, mis à jour avec entre autres les expériences en Equateur, est disponible actuellement uniquement en espagnol Auditoría Ciudadana de la deuda pública – Experiencias y métodos, éd. CETIM-CADTM, 2014. Ses versions française et anglaise sont en cours de prépration.

18 Cf. Rapport de l'Expert indépendant déjà cité, A/HRC/14/21, §§ 15 et 16.

19 Voir l'intervention de Tim Jones, faite le 28 octobre 2014 lors du séminaire du CADTM portant sur les fonds vautours, http://cadtm.org/Que-peuvent-faire-les-Etats-pour,10871

Catégories Articles Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
Étiquettes Dette Fonds vautours
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