Cas de violations des droits humains et environnementaux par Shell dans le Delta du Niger au Nigeria

11/11/2014

CAS DE VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS ET ENVIRONNEMENTAUX PAR SHELL DANS LE DELTA DU NIGER AU NIGERIA

Introduction

Depuis 1956, quand l’exploitation du pétrole en quantité commerciale a commencé dans le delta du Niger au Nigeria, les communautés n’ont eu aucun répit. Depuis plus de 50 ans, le pétrole est le premier produit d’exportation du Nigeria. Près de la moitié de sa production a été effectuée sous la supervision de Shell. Les dégradations environnementales ont été massives, issues de déversements fréquents d’hydrocarbures et du torchage du gaz, qui ont engendré une diminution des capacités de pêche, de mauvaises récoltes et un appauvrissement croissant. Depuis la fin des années 1980, les forces armées, soutenues par la compagnie pétrolière Shell, ont recouru à l’oppression et à la répression face aux protestations populaires. L’impunité règne pour les coupables de violations des droits humains et de non-respect des normes environnementales. Par conséquent, il est impératif de mettre en place des normes mondiales et des mécanismes de contrôle des compagnies pétrolières.

Violations des droits humains et environnementaux par Shell

Les cas de bouleversements environnementaux et sociaux entraînant des violations des droits humains sont nombreux. Nous présentons çi-dessous certains d’entre eux. Le torchage du gaz se poursuit sans relâche. Au Nigeria, Shell dispose d’une centaine de torchères qui brûlent jour et nuit, produisant autant de CO2 que 2 millions de voitures. Ce gaz pourrait être destiné à d’autres usages, par exemple à la production d’électricité. Les zones humides autrefois fertiles du delta du Niger sont aujourd’hui devenues, à cause des fuites de pétrole, le terrain de la plus grande catastrophe pétrolière au monde. Déjà à l’époque coloniale, le gouvernement britannique était pleinement de cette situation problématique, mais il n’a jamais pris aucune mesure1.

De nombreuses études démontrent les effets dévastateurs du torchage du gaz sur les populations et l’environnement, comme le montre un rapport récent (2011). Ce dernier s’intéresse plus particulièrement au impacts du torchage sur sur le peuple Ogoni et son environnement. Par exemple, la pollution sonore, les démangeaisons et éruptions cutanées, l’inconfort généré par les lumières issues du torchage 24h/24h et sept jours sur sept la poussière et la suie noires qui se répandent dans les maisons, sur les aliments et les habits, portent atteinte à la qualité de vie et aux droits des populations à vivre dans un environnement sain dans lequel elles puissent pleinement s’épanouir2.

Sur le plan de la santé, le torchage du gaz entraîne des pluies acides qui acidifient les lacs et les cours d’eau et endommagent les cultures et la végétation. Cela a un effet corrosif sur les toitures des habitations. C’est un agent cancérigène reconnu qui affecte la santé humaine : il peut entraîner des malformations chez les nouveaux nés ou des fausses couches, et augmente le risque de maladies respiratoires et de cancers, entre autres troubles qui ont causé la mort prématurée de centaines de personnes . La teneur en soufre des pluies acides réduit les rendements agricoles, affectant les moyens d’existence des populations. Des communautés témoignent du fait que la contamination par les hydrocarbures des ignames et du poisson ont altéré le goût de ces derniers aliments

Violation des lois nationales

Au Nigeria, une loi sur la ré-injection du gaz est entrée en vigueur en 1984, interdisant le torchage du gaz . C’est ainsi que les compagnies pétrolières ont interdiction de pratiquer cette méthode en continu et ne sont autorisées à le faire qu’après obtention d’un permis spécial obtenu auprès du ministre responsable. Cependant, les conditions d’obtention de ce permis ne sont pas connues. Le permis détenu par Shell n’est pas rendu public, les populations locales se sont donc pas en mesure de déterminer les motifs justifiant son octroi. En outre, l’amende infligée pour le torchage par mètre cube est trop faible pour avoir un effet dissuasif sur les compagnies pétrolières.

Les promesses répétées de Shell

Suite aux pressions exercées par les populations nigérianes, le gouvernement et les organisations environnementales, Shell a promis de mettre un terme au torchage du gaz. Mais Shell n’a pas encore tenu ses promesses et use de son influence politique et économique sur le gouvernement national afin de repousser toujours plus cet objectif3.

En réalité, et selon le rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) paru en 2011, Shell ne se conforme ni à son règlement intérieur ni aux réglementations nationales, ce qui rend impératif l’établissement d’un mécanisme international contraignant.

La communauté Iwherekan et le cas de brûlage à la torche du gaz

La campagne pour mettre un terme au torchage du gaz menée par Environmental Rights Action/ Friends of the Earth (ERA/ FoEN) s’est internationalisée et a abouti à une plainte contre Shell, déposée devant un tribunal national par une coalition d’ONG locales, internationales et par la communauté Iwherekan en tant qu’« affaire-test ». L’incapacité du gouvernement à enrayer le torchage a poussé la communauté Iwherekan de l’État du Delta à poursuivre Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited (SPDC) pour sa pratique continue du torchage. Le 14 novembre 2005, la Haute Cour fédérale de Benin City a ordonné l’arrêt du torchage du gaz, déclarant qu’il constituait une « violation flagrante des droits humains fondamentaux à la vie et à la dignité, qui incluent le droit à un environnement sain, sans poison ni pollution »4.

Shell a affiché un mépris total à l’égard du système judiciaire nigérian, aucun plan de retrait détaillé n’ayant été présenté. En dépit des lois inscrites de longue date contre le torchage au Nigeria, et du fait du report répété des échéances pour mettre un terme à cette pratique, celle-ci perdure, avec son lot de conséquences graves pour la santé des populations des environs, d’où la nécessité d’une juridiction supérieure afin de contraindre Shell à cesser le torchage.

Le cas de 4 agriculteurs nigérians à La Haye

Plus de 60 % de la population de la région dépend, pour sa subsistance, de l’environnement naturel du delta du Niger. Les pratiques environnementales destructrices de Shell ont sévèrement affecté les populations locales, les déversements de pétrole ayant dévasté les terres agricoles, les étangs piscicoles et pollué les sources d’eau potables.

Entre 2004 et 2007, les déversements d’hydrocarbures par Shell ont détruit les étangs de pêche et les terres agricoles au sein des communautés de Bodo et Goi.

ERA/ FoEN et Milieudefensie, leur organisation sœur basée aux Pays-Bas, ont porté plainte contre Shell devant la Cour de La Haye, pour obtenir des mesures visant à endiguer et réparer cette catastrophe écologique, ainsi quedes réparations pour les victimes pour la perte de leurs moyens de subsistance (dont les terres et étangs piscicoles détruits au sein des communautés de Goi, Oruma et Ikot Ada Udo).

En 2004, une fuite très importante d’hydrocarbures est survenue dans le pipeline Trans-Niger qui traverse le pays ogoni pour rejoindre le terminal d’exportation de Bonny. Barizaa Dooh, un des plaignants, possède un élevage de volailles, une boulangerie et des étangs de piscicultures, que le déversement de pétrole a détruits , ainsi que d’autres terres agricoles. De plus, ces fuites et les incendies ont rendu la zone inhabitable. Les anciens résidents de Goi, qui vivent maintenant répartis au sein de communautés voisines moins touchées, continuent néanmoins de se réunir à la mairie au bord de l’eau aussi souvent que possible afin de rester unis et de garder l’espoir de vivre à nouveau ensemble dans un futur proche.

En 2005, la communauté Oruma dans l’État du Bayelsa a subi un déversement d’hydrocarbures issu des installations de Shell qui a détruit les étangs de poissons, les terres et les arbres, la communauté ayant ainsi perdu ses sources de subsistance.

Dans le cas du déversement en 2007 à Ikot Ada, la communauté a été victime de la pollution de ses terres et étangs.

La Cour néerlandaise a jugé que Shell et sa filiale SPDC n’étaient pas responsables des déversements survenus à Oruma, Goi et Ikot Ada Udo entre 2004 et 2007. SPDC a cependant été tenu responsable pour n’avoir quasiment rien fait afin d’empêcher le sabotage qui a entraîné le déversement. La Cour a jugé que dans le cas du déversement à Ikot Ada Udo, SPDC aurait pu prévenir le sabotage en bouchant plus tôt le puits5.

L’affaire est actuellement en appel pour contraindre Shell à payer des compensations, mais Shell continue d’échapper à la justice, non pas sur le fond de l’affaire mais pour des raisons techniques et procédurales. Les droits des pêcheurs ont clairement été violés étant donné que toute la communauté a dû quitter son village d’origine et s’éloigner du lac acide de Goi que la compagnie Shell a laissé derrière elle dans les rivières et zones humides de la communauté.

Le rapport du PNUE sur l’Ogoniland

Les Ogoni, une communauté rurale très soudée d’agriculteurs et de pêcheurs, est un des peuples indigènes vivant dans l’État de Rivers. Leur territoire, l’Ogoniland, était autrefois considéré comme le grenier alimentaire de l’État de Rivers6. La dégradation de l’environnement se généalisant, les Ogoni ont lancé en 1990 une campagne pacifique afin de stopper la dévastation par Shell de leur environnement, via l’organisation qui les représente, le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (The Movement for the Survival of the Ogoni People, MOSOP). Les Ogoni ont attiré l’attention du monde entier suite à une protestation publique massive contre Shell à l’initiative du MOSOP, qui exigeait des compagnies pétrolières et du gouvernement qu’ils dépolluent l’environnement et s’acquittent de compensations et de redevances adéquates à l’égard des régions productrices d’hydrocarbures.

Les cas de dégradations environnementales, entraînant protestations populaires et assassinats d’activistes par l’État avec la complicité de Shell sont connus7.

Le rapport sur la pollution de l’Ogoniland, élaboré par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et publié le 4 août 2011, démontre clairement que le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni, mené par le leader défunt Ken Saro-Wiwa, n’exagérait pas quand il soutenait que de graves injustices et violations des droits humains étaient infligées au peuple Ogoni. L’évaluation du PNUE présentée au Président Goodluck Jonathan a révélé une pollution par hydrocarbure dans les eaux de surface des cours d’eau de l’Ogoniland jusqu’à une profondeur de huit cm et dans les eaux souterraines qui alimentent les puits d’approvisionnement en eau potable de 41 sites, dont le cas grave de Nisisioken Ogale à Eleme dans l’État de Rivers. Le rapport révèle également que les sols ont été pollués par les hydrocarbures jusqu’à cinq mètres de profondeur dans 49 sites observés, tandis que du benzène, une substance chimique connue pour être cancérigène, a été trouvé dans l’eau potable à des niveaux 900 fois supérieurs à ceux considérés comme acceptables par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). De plus, le rapport met en évidence la destruction des activités de pêche et l’environnement fortement dégradé des zones humides de l’Ogoniland, en voie d’extinction. Cela conduit à la perte irréparable des moyens de subsistance et près de 30 années seront nécessaires afin de décontaminer8 le site. En janvier 1997, malgré la répression croissante, plus de 80 000 Ogonis ont célébré le « Ogoni Day ». Quatre personnes ont été blessées par balle, 20 ont été arrêtées, torturées et détenues. Selon le MOSOP, « au cours des derniers mois, depuis l’anniversaire de l’assassinat décidé par voie judiciaire du leader Ogoni Ken Saro-Wiwa et de huit autres personnes, une vague effrayante de terrorisme d’État s’est abattue dans la région avec le déploiement de plus de 2000 soldats armés. Les Ogonis sont menacés d’extinction complète »9. Le Conseil Œcuménique des Églises a publié un rapport confirmant la situation désastreuse qui règne dans le delta : « C’est un état de siège silencieux qui règne encore aujourd’hui dans l’Ogoniland. Les intimidations, viols, arrestations, tortures, pillages et fusillades par les soldats se poursuivent »10.

Le fait que Shell et le gouvernement nigérian n’aient pas mis en œuvre les recommandations du PNUE est plus déroutant et témoigne du niveau élevé d’impunité. Le PNUE a recommandé la mise en place du fond de dé-pollution et de restauration doté d’un milliard de dollars pour procéder à une décontamination initiale, la création d’un centre de santé, la distribution de matériels de secours et l’installation de panneaux d’avertissement aux abords des lacs acides qui font office de piscines pour les enfants Ogoni. A ce jour, rien n’a été fait pour restaurer l’environnement ou réparer les injustices et les violations des droits humains.

Le déversement issu de la plate-forme pétrolière de Shell à Bonga

Le déversement d’hydrocarbures issu de la plateforme pétrolière de Shell à Bonga est survenu le 20 décembre 2011. Quarante mille barils de pétrole brut se sont déversés dans l’océan Atlantique, affectant les pêcheurs qui tirent leurs moyens de subsistance des eaux. L’annonce du National Oil Spill Detection and Response Agency (NOSDRA, Agence nationale de détection et de réaction face aux déversements d’hydrocarbures) ordonnant aux pêcheurs de quitter les eaux a conduit les pêcheurs à suspendre leurs activités. Le suivi de la directive du NOSDRA, du 22 décembre 2011 au 23 avril 2012, entraîna des difficultés et des pertes de revenus pour plus de 30 000 pêcheurs des cinq États du delta du Niger.

Les communautés ont affirmé que des dispersants chimiques très dangereux, tels que Slick gone NS, Corexit 9500 et 9527 et Biosolve entre autres, que Shell Petroleum Development Company of Nigeria Limited a utilisé pour fragmenter les nappes de pétrole le 20 décembre 2011 dans le champ off-shore de Bongo, se sont ensuite dispersés dans les zones de pêche et ont entraîné la propagation de maladies au sein des communautés.

Des affections ont touché les communautés, parmi lesquelles des troubles mentaux ; de l’hypertension ; des irritations au niveau des yeux ; des lésions au nez, à la gorge et sur la peau ; des vomissements et saignements rectaux ; des lésions hépatiques et rénales ; de courtes pertes de mémoire et des états de confusion ; des problèmes respiratoires ; des fausses couches ; la présence de sang dans les urines.

Suite au déversement à Bonga, le NOSDRA a imposé une amende de cinq milliards de dollars à Shell Petroelum Development Company11. Le directeur général de la Nigerian Maritime Administration and Safety Agency( NIMASA, Administration pour la sécurité maritime ), Patrick Akpobolokemi, avait précédemment déclaré, lors d’une audience publique organisée par la Chambre des représentants du Comité sur l’Environnement, que l’agence maritime évaluait à 6,5 milliards de dollars le montant des compensations et dédommagements à verser aux communautés affectées par le déversement d’hydrocarbures12.

Ni les activités de plaidoyer au niveau local et international, ni les agences nationales de réglementations n’ont réussi à contraindre Shell à modifier ses pratiques et à respecter les droits humains dans le delta du Niger dans tous les cas évoqués. Aucun ne s’est soldé en faveur des communautés et aucune mesure réparatrice n’a été mise en œuvre. Shell refuse de respecter les agences de réglementations, les gouvernements nationaux et les lois du pays, donnant l’impression que l’organisme réglementé est devenu l’organisme de réglementation. Un tel degré impunité témoigne de la nécessité impérieuse de mettre en place un mécanisme international obligeant les compagnies à rendre des comptes, plutôt que des mécanismes à caractère volontaire et non contraignants.

Ce mécanisme contraignant devait être appliqué de manière uniforme à l’échelle mondiale. Le Traité l’instituant devrait inclure des mesures préventives relatives aux violations des droits humains et environnementaux plutôt que l’actuel régime d’indemnisations, inefficace et exposé aux manipulations. Le consentement préalable, libre et éclairé doit être une condition à l’ouverture de négociations avec les communautés.

Lire la déclaration écrite du CETIM (en anglais)

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