Violations des droits humains et accès à la justice pour les victimes de Chevron en Équateur

11/11/2014

VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS ET ACCÈS A LA JUSTICE POUR LES VICTIMES DE CHEVRON EN ÉQUATEUR1

Historique et effets des activités de Chevron (anciennement Texaco) en Équateur

Le 5 février 1964, la junte militaire qui gouvernait l’Équateur a octroyé en concession une extension territoriale d’à peu près un million et demi d’hectares au groupe Texaco Gulf en Amazonie équatorienne. Bien que la concession fut par la suite réduite, la zone sur laquelle est intervenu Texaco dépasse les 400’000 ha (dans les provinces d’Orellana et Sucumbíos)2.

L’entreprise Texaco a réalisé des travaux d’exploration et d’exploitation pétrolière dans des zones de jungle habitées par différentes communautés indigènes équatoriennes3. Après la phase d’exploration, au cours de laquelle ont été utilisé des explosifs et réalisées un nombre incalculable de forages rudimentaires, la compagnie Texaco a fini par perforer plus de 350 puits. Durant les activités de forage de chacun de ces puits, une grande quantité de déchets toxiques ont été produits, connus comme « boues de forage »4.

Du fait de leur haute toxicité, ces déchets doivent être stockés dans des conteneurs adéquats et traités de manière responsable. Texaco, loin de là, a creusé près de mille trous dans le sol qui faisaient office de fosses à ciel ouvert, sans aucun type de protection qui empêche les fuites par les parois et retienne les écoulements. Quand ces produits n’étaient pas déversés dans l’environnement, ils étaient simplement brûlés de manière intentionnelle par Texaco, avec des conséquences tout aussi néfastes pour les populations et l’environnement.

Par la suite, lors de la mise en exploitation des puits, ces mêmes piscines ont été utilisées par Texaco pour entreposer les eaux usées et autres résidus dangereux, alors que des citernes en acier auraient été nécessaires. L’entreprise a ainsi réalisé d’importantes économies, au détriment de la protection de l’environnement et des populations locales.

L’irresponsabilité de la compagnie ne s’arrête pas là malheureusement. Malgré des interdictions légales5 et contractuelles6, le contenu des « piscines » était simplement déversé dans les rivières et les cours d’eaux environnant. Texaco avait installé dans chaque « piscine » un rudimentaire système de drainage appelé « cou d’oie » et utilisé de manière systématique pour amener le contenu des fosses au cours d’eau le plus proche. Bien que Texaco connaissait les effets nocifs de ses activités7 et disposait de la technologie qui aurait pu éviter, ou du moins diminué considérablement, les dommages occasionnés par le déversement des ces substances toxiques dans l’environnement8, cette technologie n’a jamais été utilisée lors de ses opérations en Équateur9.

Si cette région était auparavant caractérisée par sa très grande biodiversité et ses abondantes ressources pour les habitants, désormais ces ressources ont disparu ou sont gravement endommagées par les hydrocarbures à cause de la contamination de l’eau et du sol, menaçant ainsi le droit à l’alimentation10 et à la santé11 de ses habitants.

Plusieurs peuples qui vivaient dans la région depuis des temps immémoriaux ont disparu ou ont été déplacés. La population Cofán a été réduite de 5’000 habitants à moins de 800. Ils ont été déplacés de leurs terres, tandis que la population Tetete fut exterminée complètement.

Les analyses de laboratoire réalisées par les experts mêmes de Chevron dans la zone où l’entreprise a opéré montrent une forte présence de TPHs dans les sols, ce qui démontre une présence généralisée d’hydrocarbures. Ils montrent également la présence d’autres éléments cancérigènes, comme le benzène, le toluène, les HAPs et des métaux lourds et/ou des agents anti-corrosifs, comme le chrome IV ou le mercure12. Il a été établi avec certitude que la présence de ces éléments dans les zones où Texaco a opéré résulte des activités d’exploitation pétrolière réalisées par cette entreprise.

Quant à la contamination des eaux de surface, il existe une déclaration du représentant légal de l’entreprise Texaco qui a reconnu dans une lettre publique13 avoir déversé plus de 60 milliards de litres d’eau usées dans les cours d’eau d’Amazonie. Les sources d’eau souterraine ont également été polluées, ce qui se confirme en sentant ou en buvant (pour autant que l’on ose), l’eau qui est extraite des puits. On note aussi une forte présence de TPHs et d’autres éléments comme le chrome VI (caractéristiques des hydrocarbures) qui proviennent des fuites et des infiltrations résultant du manque de protection des fosses dans lesquelles Texaco a déposé et enterré les boues de forage et autres polluants toxiques. Tous ces poisons se trouvent toujours dans l’environnement, causant des maladies de la peau, des infections vaginales et intestinales et d’autres problèmes du système respiratoire, reproductif et circulatoire, ainsi que de multiples types de cancer (gorge, estomac, reins, peau, cerveau) qui ont conduit à la mort de nombreuses personnes14.

Ainsi, en 26 ans d’exploitation pétrolière en Amazonie équatorienne, Texaco a souillé plus de 450’000 hectares d’une des zones de la planète les plus riches en biodiversité, détruisant les conditions de vie et de subsistance de ses habitants, provoquant la mort de centaines de personnes et une augmentation brutale des taux de cancers et autres graves problèmes de santé. Plus de 60 milliards de litres d’eaux toxiques ont été déversés dans les rivières, 880 fosses de déchets d’hydrocarbures ont été ouvertes, et 6.65 milliards de mètres cube de gaz naturel ont été brûlés à l’air libre.

Tentatives (et obstacles) afin d’obtenir justice contre Chevron

Le litige contre la compagnie Texaco a été présenté initialement à New York, qui en ce temps abritait le siège global de Texaco Inc., le 3 novembre 1993, à peine un an après que Texaco ait abandonné le pays. Près de 30’000 Équatoriens, indigènes et colonos, directement ou indirectement affectés par les activités de Texaco dans leurs territoires, ont ainsi présenté une plainte judiciaire.

En 2002, après neuf ans de procédure, sans avoir pu ne serait-ce que discuté de la pollution, les tribunaux étasuniens ont finalement accepté l’argument de Chevron (qui avait alors déjà fusionné avec Texaco)15 et décidé de rejeter la plainte présentée par les habitants équatoriens pour forum non conviniens, arguant que l’Équateur était le lieu le plus adéquat pour traiter ce cas16.

Poursuivant leur quête de justice, et se conformant à la décision de la justice étatsunienne, les populations affectées par les opérations de Chevron ont déposé plainte en Équateur le 7 mai 200317.

Mais, malgré la décision de la justice étasunienne, Chevron a contesté la compétence des juges équatoriens pour traiter ce cas, avec l’argument que Chevron n’avait jamais opéré en Équateur et que Chevron n’était pas l’entreprise qui avait succédé à Texaco car il n’y avait jamais eu de fusion.

Durant les premières années du procès en Équateur, les plaignants ont été persécutés par des forces armées de l’État équatorien qui étaient en fait engagées par Chevron pour des missions de sécurité et de renseignement18. Ces « entrées » de Chevron au sein des forces militaires ont également permis la falsification de rapports des services de renseignement et la suspension de mandats d’arrêt.

Chevron a également élaboré le plan playbook19 pour s’assurer que les experts ne trouvent que des échantillons propres. Une entreprise « indépendante » a également été crée par Chevron pour analyser les échantillons et donner une image d’impartialité20.

Le 14 février 2011, la Cour de Sucumbíos rendait finalement sa sentence et condamnait Chevron à payer près de 9 milliards de dollars étatsuniens en réparation pour financer le nettoyage des sols et des eaux contaminés, un programme de santé pour venir en aide aux victimes de cancer, pour récupérer la faune et la flore et récupérer la culture perdue. Chevron a également été condamné à payer des dommages punitifs au vu de la magnitude des dégâts causés et de la mauvaise foi démontrée par ses avocats durant tout le procès.

Cette sentence a été confirmée en appel le 3 janvier 2012, et elle a ensuite été soumise à l’examen de la Cour nationale d’Équateur, la plus haute instance judiciaire du pays. Cette même Cour a confirmé le 12 novembre 2013 la légalité de la sentence. Elle a confirmé tous les résultats des instances inférieures par rapport aux dommages environnementaux, mais a annulé la condamnation pour dommages punitifs21.

Ainsi, après 20 ans de procédures judiciaires complexes, les plaignants ont réussi à surmonter les nombreux obstacles et à obtenir gain de cause devant la justice, mais ils n’ont pas encore réussi à obtenir la réparation des dégâts causés.

Malgré sa défaite devant les tribunaux qu’elle avait elle-même choisis, Chevron se refuse toujours à reconnaître la sentence prise à son encontre. Et Chevron a décidé d’utiliser ses importantes ressources financières non pas pour remplir son obligation de réparation des dommages causés, mais pour financer une campagne internationale de diffamation et d’attaques contre les plaignants, les avocats qui les représentent et tout autre personne qui collabore en faveur de leur cause22.

Chevron a par ailleurs engagé et payé 15 millions de dollars étatsuniens à une entreprise du nom de Kroll pour surveiller les activités des collaborateurs et des sympathisants des victimes23. Chevron a également payé plus de 300’000 dollars étatsuniens un juge équatorien destitué pour corruption24 en échange de son témoignage pour faire condamner les plaignants aux États-Unis25. Ainsi, les mêmes tribunaux étasuniens qui se sont déclarés incompétents pour recevoir la plainte des victimes équatoriennes de Chevron et leur donner accès à la justice, les jugent désormais comme s’il s’agissait de criminels essayant d’extorquer des fonds à une compagnie innocente.

A cela il faut ajouter les tentatives de soudoiement des précédents gouvernements équatoriens et la forte campagne politique et médiatique lancée contre le gouvernement du Président Correa, au travers de plaintes devant des tribunaux d’arbitrage26 et d’une campagne internationale27 ainsi que les tentatives pour jeter le discrédit sur le système judiciaire équatorien. Nous nous trouvons face à un géant aux ailes totalement déployées qui après avoir empoisonné les terres en Amazonie équatorienne, cherche encore à bafouer et humilier les victimes qui ont osé déposer plainte.

De leur côté, les victimes, suivant le long chemin judiciaire que Chevron les oblige à emprunter, ont lancé des procédures judiciaires pour obtenir l’application de la sentence dans différents pays et ils font face à de nombreuses difficultés, à commencer par les honoraires des avocats, les problèmes de juridiction liés à la reconnaissance de la sentence étrangère ou même des pressions d’ordre politique28.

Après 21 ans de litige, l’impunité continue pour Chevron et les victimes de ses activités en Équateur attendent toujours justice et réparation.

La nécessité d’un instrument international contraignant

Le cas de Chevron est emblématique à maints égards et nous démontre, en particulier les effets destructeurs pour l’environnement et les populations locales d’activités d’extraction de matière premières réalisées par des sociétés transnationales (STN) sans aucun contrôle et le chemin tortueux que les victimes doivent emprunter pour obtenir justice et réparation. Les victimes font face à des acteurs extrêmement puissants, avec de forts réseaux d’influence et des moyens presque illimités, et elles ne peuvent pas toujours compter sur la coopération des États au sein desquels les STN ont leurs sièges, qui privilégient bien souvent les intérêts économiques de ces dernières par rapport à ceux des victimes de leurs activités à l’étranger.

Le système économique actuel accorde de nombreux droits et protections aux STN sans qu’il soit possible de les tenir responsables de leurs agissements et des violations des droits humains commises. Un système international qui reconnaît des droits mais pas des obligations aux acteurs les plus puissants de l’économie mondiale peut difficilement être qualifié de stable et d’équilibré. Il est clairement biaisé en faveur des STN et laisse sans recours les victimes de leurs activités.

Il s’agit d’une part de réviser les Traités économiques bilatéraux et multilatéraux qui subordonnent la souveraineté et les droits des peuples et des États au pouvoir des STN. D’autre part, l’adoption de normes contraignantes au niveau international est nécessaire pour compléter et soutenir les efforts au niveau national et garantir un réel contrôle des activités des STN et de leurs impacts sur les droits humains, ainsi que l’accès à la justice pour les victimes de leurs activités. Ces normes devraient notamment inclure la responsabilité solidaire entre la maison mère d’une STN et ses filiales, preneurs de licence ou sous-traitants. Elles devraient garantir l’accès à la justice dans les pays où les STN ont leurs sièges pour les victimes de leurs activités à l’étranger. Elles devraient enfin renforcer la coopération internationale judiciaire afin de faciliter l’exécution de sentences qui concernent des violations de droits humains commises par des STN.

Au vu de ce qui précède, le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) appelle le Conseil des droits de l’homme à créer un groupe de travail intergouvernemental avec pour mandat d’élaborer des normes contraignantes concernant les STN.

Il appelle également tous les gouvernements, et en particulier le gouvernement des États-Unis, à faciliter l’accès à la justice pour les victimes des activités de Chevron en Équateur et à coopérer pleinement en vue de l’exécution de la sentence de la justice équatorienne.

Lire la déclaration écrite du CETIM

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