Violations des droits des travailleurs et des droits syndicaux dans l’usine Maruti Suzuki India Ltd

11/11/2013

En juillet 2012, des dizaines de travailleurs de l’usine de Manesar de l’entreprise automobile Maruti Suzuki India Limited (MSIL) – située dans l’État du Haryana dans le nord de l’Inde – ont été licenciés et détenus sans inculpation. Leur faute ? Avoir exercé leur droit d’association et affiliation à un syndicat de leur choix. La raison ? Les droits des travailleurs et les droits syndicaux, dont le droit à la liberté d’association, le droit à la négociation collective et le droit à un salaire égal pour un travail égal, ne sont pas respectés par la direction de MSIL.
En effet, depuis quelque temps, les employés de MSIL-Manesar soulevaient régulièrement, auprès de la direction, les problèmes relatifs à leurs conditions de travail et de respect du droit du travail, dont :
− La fatigue physique et psychologique associée à l’obligation de produire une voiture toutes les 45 secondes environ.
− Le manque de temps de repos suffisant pour les repas et les pauses toilettes.
− Une structure salariale dans laquelle jusqu’à la moitié de la rémunération mensuelle est basée sur la productivité ainsi que sur d’autres facteurs subjectifs (prendre une journée de maladie coûte aux travailleurs un quart de cette rémunération discrétionnaire, par exemple).
− Une moyenne de deux heures supplémentaires non rémunérées par jour.
− Le recours à une main-d’œuvre hautement précaire, où 75% des travailleurs sont engagés par le biais de la sous-traitance, ou sont stagiaires ou apprentis. Ces travailleurs gagnent considérablement moins que les travailleurs employés à durée indéterminée et ne bénéficient pas de la sécurité de l’emploi ou de sécurité sociale.

Comme rien n’avançait et estimant que le syndicat « jaune » créé par la compagnie, Maruti Udyog Kamgar Union (MUKU), ne représentait pas leurs intérêts, les travailleurs de MSIL-Manesar décidèrent de créer un syndicat indépendant. Ce processus débuta formellement en 2011. Après une longue période de lutte pour la reconnaissance de leur syndicat par le ministère du Travail de l’État de Haryana, le nouveau syndicat fut enregistré, en mars 2012, au nom de Maruti Suzuki Workers Union (MSWU). Cependant, dès le début, MSIL refusa de négocier de bonne foi avec ce syndicat.

1. L’incident et les arrestations
Le 18 juillet 2012, soit deux mois après le refus de MSIL de négocier avec le MSWU, un superviseur eut des propos dégradants à l’encontre de la caste d’un travailleur qui soulevait une question liée à la production. Ce travailleur fut immédiatement suspendu. Le syndicat protesta et exigea le retrait de la suspension du travailleur, ou la suspension des deux personnes impliquées : le superviseur et le travailleur. Alors que les négociations avaient lieu entre le syndicat et la direction, la violence éclata soudain dans l’usine MSIL-Manesar. Il y a de fortes raisons de croire que la direction de MSIL avait fait entrer des provocateurs dénommés « videurs » sur le lieu de travail, déguisés en ouvriers, afin d’inciter à la violence et de créer un prétexte pour réprimer le syndicat nouvellement formé.

Dans le cadre de cette situation tendue, un incendie se déclara. Alors que l’information sur les violences et l’incendie se propageaient, des travailleurs des autres départements de l’usine se précipitèrent hors de leurs lieux de travail. Les forces de police, qui avaient été présentes depuis le matin mais n’avaient jusqu’alors pas été appelée à agir, intervinrent et se mirent à arrêter arbitrairement des travailleurs de MSIL-Manesar. Un nombre important de cadres, de travailleurs et de policiers furent gravement blessés. Le directeur général adjoint des ressources humaines, Avanish Dev, décéda dans l’incendie.

L’origine de l’incendie et les circonstances de la mort de M. Dev sont encore à déterminer. Il convient de noter que, en vertu des règlements de l’entreprise, aucun travailleur n’est autorisé à entrer dans les locaux de l’usine avec une boîte d’allumettes, et que tout le monde est minutieusement fouillé par des agents de sécurité à l’entrée. Les zones de production et les bureaux sont surveillés par des caméras en circuit fermé et la police a récupéré le disque dur contenant les images du 18 juillet. Cette information aurait dû, vraisemblablement, permettre d’inculper certaines personnes et d’en disculper d’autres assez rapidement. En effet, les médias de l’époque ont rapporté que la police avait examiné les images et avait commencé à procéder à des arrestations sur la base de celles-ci et d’autres preuves. Toutefois, quatre jours plus tard, selon ces mêmes médias, la police affirme que les disques durs de vidéo-surveillance récupérés avaient été endommagés et qu’aucune image ne pouvait être récupérée.

Cent quarante sept travailleurs de Maruti Suzuki ont été arrêtés dans le sillage des violences dans l’usine de Manesar, le 18 juillet 2012. Ils sont encore aujourd’hui maintenus en détention sans inculpation ou sans possibilité de libération sous caution. De plus, beaucoup ont été soumis à des sévices et des tortures. Des mandats non soumis à caution sont toujours en cours contre 66 travailleurs. Onze autres personnes liées à la lutte du MSWU – travailleurs, membres de leur famille et sympathisants – ont été récemment (en mai 2013) arrêtés lors d’une manifestation à Kaithal.

Le 22 août 2012, dans un acte clair de représailles contre ceux qui exercent leur droit d’association et d’affiliation à un syndicat de leur choix, MSIL a licencié sommairement 546 travailleurs permanents et 1800 travailleurs contractuels – un pourcentage élevé d’entre eux étant connus pour être des figures clés, des membres ou des sympathisants du MSWU.

Le fait que la police ait arrêté les membres syndicaux clés à l’usine MSIL-Manesar et que des membres syndicaux d’autres usines aux alentours aient également été suspendus ou licenciés, laisse fortement à craindre que certaines personnes ont été ciblées à la demande de la direction de MSIL-Manesar.

Pourtant, au jour d’aujourd’hui, il n’y a pas eu d’enquête indépendante sur la violence ou le conflit du travail sous-jacent. Seules les 11 personnes arrêtées à Kaithal ont été libérées il y a peu, après une longue procédure judiciaires. La police de l’Etat de Haryana semble avoir transgressé ses pouvoirs de manière à constituer une ingérence grossière et inappropriée dans les conflits du travail, tout en manquant à son devoir de maintenir l’ordre.

2. Les arrestations « collatérales » et la répression d’Etat
Le 24 janvier 2013, plusieurs mois après l’incident, la police a arrêté un des membres du Comité provisoire du MSWU alors qu’il s’apprêtait à intervenir lors d’une conférence de presse.
Le coût humain des violations des droits des travailleurs à Maruti Suzuki India Ltd est difficile à quantifier. Les difficultés économiques suite à une perte d’emploi, la tension psychologique causée par la persécution d’État, les impacts sur la santé physique et la stigmatisation sociale de personnes désignées comme criminelles, ne sont pas seulement subis par les travailleurs. Des familles et des communautés entières sont touchées par les pratiques MSIL et la répression d’État.

Cependant, les pouvoirs publics n’ont fait aucun effort pour ouvrir le dialogue ou proposer une médiation. Ils ont décidé à la place d’avoir recours uniquement à la force. C’est ainsi que après l’agression brutale de syndicalistes du MSWU, les familles et les communautés se sont mobilisées pour réclamer justice pour les travailleurs licenciés et détenus. Les autorités ont réagi avec un déploiement massif des forces de police et des restrictions sur le droit de réunion ; des manifestations ont été violemment réprimées et des dizaines de travailleurs et des dirigeants syndicaux ont été arrêtés. Une tactique particulièrement troublante employée par la police, et largement documentée par les groupes de défense des droits humains dans la région, consistait à harceler, menacer, battre et détenir en garde a vue les membres de la famille d’une personne réputée en fuite, et ce jusqu’à ce qu’elle se rende.

La répression des droits civiques et politiques, tels que le droit à la protestation pacifique et la manifestation, représente une attaque frontale contre leurs droits syndicaux car, comme souligné par le Comité de la liberté syndicale de l’OIT, « un mouvement syndical vraiment libre et indépendant, ne peut pas se développer dans un climat de violence et d’incertitude. »

3. La situation aujourd’hui
Le Comité provisoire MSWU a signalé la présence d’un grand nombre de policiers à l’intérieur du site de MSIL-Manesar. Cela est inquiétant car cela crée un climat de peur qui n’est pas favorable aux travailleurs souhaitant pouvoir se réunir et s’associer librement.
Les leaders syndicaux de la zone industrielle de Gurgaon, Dharuhera et de Manesar dénoncent la collusion entre des instances de directions et les autorités de l’Etat de Haryana pour empêcher la formation et l’enregistrement des syndicats de leur choix. Ces compagnies déploient, avec l’appui d’un Département du travail très complaisant, tout type d’efforts pour contrer l’organisation syndicale libre en enregistrant des syndicats « jaunes » sponsorisés par la compagnie et en obligeant les travailleurs d’y adhérer. Dans toute la région, la présence policière, ainsi que la présence de « videurs » parrainés par la direction des compagnies crée une atmosphère de peur qui n’est pas propice à l’organisation syndicale.

Selon les syndicats de la zone industrielle, la famille des entreprises Suzuki affiche un anti-syndicalisme extrême, là où le climat est déjà très hostile. A Suzuki Powertrain, où les moteurs sont fabriqués, la compagnie a tenté de démanteler le syndicat des employés de Suzuki Powertrain et de le remplacer par le MUKU, prétextant que, puisque les compagnies – Suzuki Powertrain et Maruti Suzuki – ont fusionné, les syndicats devraient faire de même. A l’usine de Suzuki Powertrain et Suzuki Two Wheeler, les leaders syndicaux restent suspendus sans salaire, suite à leur participation dans une grève solidaire des travailleurs de MSIL-Manesar.

Ces violations des droits du travail et droits syndicaux à MSIL-Manesar nécessitent une réaction urgente car une justice retardée est la négation même de la justice. Un mouvement syndical large –en Inde, à travers l’Asie du Sud-est, et dans le monde entier – a exprimé sa solidarité envers ces travailleurs, soulignant l’importance d’une résolution juste de la crise, non seulement pour les droits des travailleurs en Inde mais pour le secteur automobile à l’échelle mondiale. Pour les travailleurs automobiles à travers le monde, l’intensité de la pression au travail et l’érosion des conditions de travail à MSIL montre que l’Inde serait prête à mener une politique de « nivellement vers le bas » dans ce secteur, institutionnalisant ainsi l’utilisation d’une main d’œuvre bon marché, corvéable à merci et non syndiquée dans l’industrie automobile globale.

Conclusion
Le Centre Europe – Tiers Monde (CETIM) et l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD) exhortent le gouvernement indien à faire respecter le droit du travail et les deux Pactes internationaux relatif aux droits humains (comprenant les droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels) par l’État de Haryana et l’entreprise MSIL et à ratifier en particulier les Conventions de l’OIT n° 87 (liberté syndicale) et n° 98 (négociation collective).

Nos organisations demandent au gouvernement indien de prendre en urgence les mesures suivantes :
− La libération immédiate des 147 travailleurs MSIL actuellement détenus à la prison de Bhondsi (Gurgaon).
− La fin des arrestations arbitraires des travailleurs, qui cherchent à défendre leurs droits, par la police de l’État de Haryana. Cette dernière doit également mettre fin au harcèlement des travailleurs et de leurs familles.
− La constitution d’une commission d’enquête indépendante et impartiale pour enquêter sur l’étendue des événements qui ont conduit aux violences du 18 juillet 2012, ainsi que des événements ultérieurs, y compris la torture des travailleurs en prison.
− La réintégration de tous les travailleurs licenciés, le 18 juillet 2012 et après, qu’ils soient permanents ou contractuels.
− La mise en place de négociations, de bonne foi, entre le MSIL et le syndicat librement choisi par les travailleurs.

Nos organisations appellent le Conseil des droits de l’homme à s’assurer de la mise en œuvre par l’État indien de ses engagements internationaux en matière de droits humains sur tout l’étendu de son territoire.

Nos organisations demandent également aux détenteurs de mandat suivants : le Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression, le Rapporteur spécial sur le droit d’association et de réunion pacifique ainsi que le Groupe de travail sur la détention arbitraire d’effectuer une visite en Inde, en particulier dans l’État de Haryana.

28 Août 2013

Lire le déclaration orale du CETIM

Catégories Cas Déclarations DROITS HUMAINS Sociétés transnationales
Étiquettes
bursa evden eve nakliyat