Violation des droits humains commises par des sociétés transnationales en Colombie. Le cas Nestlé

11/11/2003

La Colombie souffre depuis des décennies d’un grave conflit social, politique et armé1. Force est de constater que de nombreuses sociétés transnationales sont mêlées d’une manière ou d’une autre au conflit, en collaborant avec les forces de sécurité étatiques et privées, voire avec les groupes paramilitaires. Ainsi, non seulement elles deviennent complices des violations des droit humains, mais, de plus, elles favorisent la corruption, minent l’Etat de droit en respectant pas les législations nationale et internationale en vigueur. Dans le cadre de la présente déclaration, nous essayerons d’examiner le cas de Nestlé dans ce pays.

Nestlé : une entreprise suisse en Colombie2

Depuis la fin du 19ème siècle les produits Nestlé sont importés en Colombie. La Compañía Colombiana de Alimentos Lácteos (CICOLAC S.A.) a été fondée en 1944 par l’entreprise américaine Borden Inc. et Nestlé. Cette dernière a créé peu après l’Industria Nacional de Productos Alimenticios (INPA S.A.) et construit sa première usine à Bugalagrande. En 1985, le nom de INPA S.A. est changé en Nestlé de Colombia S.A.3. Aujourd’hui Nestlé dispose de trois usines en Colombie4. Le siège national de l’entreprise se trouve à Bogota.

Nestlé met le développement économique et social en danger

Nestlé représente en Colombie un acteur important sur le marché laitier. Des organisations sociales, des producteurs de lait et des politiciens ont dénoncé le fait que, malgré la production suffisante du pays, de grandes quantités de lait en poudre de qualité moindre avaient été importées pendant les dernières années5. En 2001, 25’125 tonnes de lait en poudre ont été importées. La part de Nestlé était selon des sources différentes soit de 8’539 tonnes6 soit de 15’000 tonnes7. Selon ses propres indications, Nestlé a acheté en 2001 177 millions de litres de lait frais en Colombie, plus que jamais auparavant. Selon les indications du syndicat national des travailleurs de l’industrie alimentaire (SINALTRAINAL), la part du lait colombien utilisé dans la production a baissé de 70% à 50% et l’entreprise CICOLAC, qui avait acheté en 1997 encore un million de litres de lait par jour dans la région « Atlántico », n’en achète aujourd’hui que 400’000 litres. Par ailleurs, Nestlé a baissé à plusieurs reprises le prix d’achat du lait. Nestlé aurait donc pu acheter plus de lait frais de la production nationale et contribuer ainsi au développement économique et à la stabilité sociale dans ces régions grièvement touchées par le conflit.

Nestlé importe aussi d’autres matières premières et produits de base en quantités croissantes. Ainsi, plus de 100’000 sacs de café de mauvaise qualité étaient importés du Pérou et du Vietnam au moment où la production colombienne vivait une crise grave. Le cacao est importé de plus en plus de l’Équateur. Alors que la production de bouillon était assurée autrefois par l’achat de poules locales, on importe aujourd’hui un concentré de poule des Etats-Unis.

Nestlé organise depuis la Colombie un marché triangulaire pour le lait en poudre, en profitant du Plan Vallejo8. Nestlé utilise des droits de faveur en important du lait en poudre bon marché, en prétendant le transformer en produits destinés à l’exportation. Souvent, ce lait en poudre est seulement remballé dans des petits sachets ou éventuellement traité avec un peu de lait frais pour être exporté au Venezuela en bénéficiant de subventions à l’exportation9. Ainsi, Nestlé pousse la politique favorisant les exportations jusqu’à l’absurde, ne crée presque aucune plus-value pour la Colombie et trouble le marché laitier vénézuélien.

D’après SINALTRAINAL, Nestlé essaie de réduire les salaires et les prestations sociales, entre autres en remplaçant des employés fixes, engagés pour une durée indéterminée depuis des longues années, par des employés à contrats de durée limitée. Ainsi, Nestlé met en danger les droits essentiels des travailleurs, comme le droit de l’employé et de sa famille à l’éducation et à la santé. Cela à un moment où l’éducation et la santé sont de plus en plus privatisées et où toujours plus de gens n’ont pas accès à ces droits fondamentaux10.

Nestlé viole la législation colombienne

L’Institut Colombien de l’Agriculture (ICA) décrétait en août et septembre 2001 l’interdiction d’importation de produits de porc et de veau en provenance de l’Argentine, de l’Uruguay et de la Grande Bretagne ainsi que celle des produits laitiers11. Cette mesure avait été prise pour éviter l’épidémie de fièvre aphteuse. Malgré cela, Nestlé a importé 1,2 million de kilogrammes de lait en poudre en provenance de l’Argentine.

A plusieurs reprises, Nestlé a utilisé pour ses produits des matières premières contaminées ou périmées. D’une part, des quantités considérables de la boisson au chocolat Milo, de sel, de produits céréalières, de café au lait et de lait en poudre ont été bloqués à cause de contaminations alléguées par le syndicat. D’autre part, des matières premières périmées ont été utilisées. L’Institut National de Surveillance des Médicaments et de l’Alimentation (INVIMA) confirme dans une lettre que des pâtes Fideli périmées en juillet et août 2002 avaient été saisies le 10 octobre 2002 chez Nestlé à Bugalagrande. A la même occasion, environ 25 tonnes de lait en poudre qui devaient être consommées avant le 28 janvier 2002 ou le 1 juillet 2002 avaient été saisies12.

Le 25 novembre 2002, l’INVIMA et le département de sécurité (DAS) ont confisqué à Armenia 200 tonnes de lait en poudre importées périmées13. Nestlé s’est défendu en disant que le produit était prévu pour l’utilisation industrielle et ne comportait aucun risque pour la santé14. La confiscation du produit a été effectuée sur la base du titre XII (contravention à la santé publique), chapitre I de l’article 372 du code pénal (cp) (corruption de denrées alimentaires), l’article 373 cp (imitation ou simulation de denrées alimentaires) ainsi que de l’article 306 cp (usurpation de marques et brevets).

Plusieurs conseillers communaux de Valledupar ont porté plainte (Acción de tutela) à la 5ème cour civile de Valledupar le 23 juillet 2002, pour dénoncer la pollution constante du fleuve Guatapurí par les déchets et les eaux usées de l’usine CICOLAC SA. Ils ont invoqué le fait que l’usine mettait en danger l’approvisionnement en eau des quartiers pauvres, dont les habitants utilisent l’eau directement du fleuve. CICOLAC S.A. violait ainsi l’article 86 sur l’utilisation des eaux publiques de la loi sur les ressources naturelles (Código Nacional de Recursos Naturales)15.

Nestlé viole les droits de travail et les droits syndicaux dans sa société affiliée CICOLAC S.A.

Le contrat collectif de travail existant dans l’entreprise CICOLAC a pris fin en février 2002. Suite à cela, SINALTRAINAL a soumis le 28 février 2002 à la direction de l’entreprise un catalogue de revendications. Au début des négociations, Nestlé a essayé de faire signer un contrat complètement nouveau, qui élimine des droits substantiels. Au moment où le délai de négociation prévu par la loi avait expiré, le syndicat envisageait une grève. Celle-ci a été annulée en raison de plusieurs menaces d’assassinats à l’égard de syndicalistes. Selon les témoignages du syndicat, les menaces sont dues en partie au fait que Nestlé avait abaissé le prix du lait pour les éleveurs de bétail et menacé de fermer l’usine, tout en accusant le syndicat SINALTRAINAL d’être l’unique responsable. Suite à ces accusations, des menaces de la part des éleveurs de bétail et des paramilitaires ont été proférées contre les syndicalistes à Valledupar16. Jusqu’à ce jour, Nestlé a refusé de reconnaître publiquement le travail des syndicats et de se distancer de toute menace et utilisation de la force contre leurs travailleurs. En octobre 2002 et mars 2003, SINALTRAINAL a essayé, avec le soutien de différents syndicats suisses et des mouvements sociaux, de prendre contact avec la direction générale de Nestlé pour pouvoir surmonter les problèmes en Colombie. Nestlé a refusé deux fois la discussion sous divers prétextes17.

Dès lors, le syndicat a revendiqué l’instauration d’un tribunal arbitral qui s’est prononcé en faveur de Nestlé le 8 mai 2003, peu après le retrait du représentant des travailleurs qui dénonçait le manque de garanties pour un procès équitable. En effet, les représentants de Nestlé et du gouvernement s’opposaient à accepter les preuves du représentant des travailleurs. En plus de diverses violations du droit visant l’affaiblissement du syndicat, Nestlé exerce une pression permanente sur les travailleurs pour qu’ils acceptent le nouveau contrat de travail, avec des menaces de licenciement18.

Conformément au contrat collectif de travail en vigueur du 1er mars 2000 au 28 février 2002, la CICOLAC S.A. et SINALTRAINAL se sont mis d’accord pour étudier en février 2002 le catalogue de revendications du syndicat en vue d’un nouveau contrat19. Un contrat collectif de travail reste en vigueur aussi longtemps qu’un nouveau contrat n’a pas été négocié entre l’entreprise et les représentants des travailleurs. Jusqu’à l’adoption d’un nouveau contrat, le contrat existant est toujours renouvelé pour une période de six mois, sauf si l’une des deux parties annonce par écrit au moins 60 jours avant l’expiration du délai son intention de résilier le contrat. Nestlé n’a pas respecté cette règle et a annoncé, sans respecter le délai, son intérêt de résilier le contrat collectif de travail et de le remplacer par un nouveau contrat. Nestlé restait donc liée par le contrat collectif de travail existant et n’est donc pas en droit de mettre en œuvre unilatéralement les termes d’un nouveau contrat.

Pourtant, selon la législation colombienne, des conflits collectifs peuvent être soumis à un tribunal arbitral volontaire, selon l’article 452 § 2 de la loi du travail (Código sustantivo del Trabajo, CST). Selon l’article 453, ce tribunal est constitué de trois représentants : un représentant de l’entreprise, un des syndicats ou des travailleurs et un troisième représentant nommé par l’accord de deux parties, ou, s’il s’avère impossible de s’accorder, nommé par le ministère du travail. L’article 133 du Código de Procedimiento Laboral dit : Si un des représentants du tribunal arbitral manque, un remplaçant doit être nommé selon les mêmes procédures. Si une des parties refuse de nommer un remplaçant, celui-ci est nommé après un délai de trois jours par les deux autres représentants. Un tribunal arbitral incomplet ne peut pas prendre une décision (article 456 CST). L’article 134 ajoute que l’audition se fait sur la base d’explications données par des témoins ou des documents et preuves livrés. Le tribunal peut par ailleurs demander des preuves, interroger des gens, faire des inspections et demander des explications (article 457 CST). Enfin, une décision rendue par un tribunal arbitral a le caractère d’un contrat collectif de travail et ne peut pas être valide pour une durée excédant deux ans (article 461 § 1 et 2 CST). Pour la décision rendue dans l’affaire CICOLAC S.A., une durée contraire aux dispositions légales de trois ans était fixée.

Conclusion

Contrairement aux affirmations de l’entreprise selon laquelle elle s’efforce d’être un modèle dans la domaine des droits de l’homme et met l’accent sur le développement social des régions où elle travaille20, cet exposé montre que Nestlé viole la législation colombienne et bafoue les normes internationales en vigueur, en polluant l’environnement, en utilisant des produits périmés ou contaminés qui mettent en danger la santé publique et en exerçant une forte pression sur les droits des travailleurs et les droits syndicaux.

Au vu de ce qui précède, l’Association Américaine de Juristes le Centre Europe – Tiers Monde (CETIM) demandent à la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme d’intervenir :

– auprès du gouvernement colombien afin que celui-ci exerce son devoir de respecter et de faire respecter les normes internationales en matière de travail et de droits humains, ainsi que la législation nationale y relative par les Sociétés transnationales (STN) agissant sur son territoire, en général, et par Nestlé, en particulier ;

– auprès du gouvernement suisse afin qu’il veille à ce que les entreprises suisses agissant à l’étranger respectent les droits humains et qu’il les poursuive en cas de violations de ces droits.

Par ailleurs, l’AAJ et le CETIM demande au Groupe de travail de la Sous-commission sur les activités et méthodes de travail des STN d’établir clairement les responsabilités des gouvernements des pays d’origines et des pays hôtes des STN.

Catégories Cas Déclarations DROITS HUMAINS Sociétés transnationales
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