Situation du peuple sahraoui

11/11/1997

Monsieur le Président,

Depuis la dernière session de la Commission des Droits de l’Homme de mars dernier, le Centre Europe – Tiers Monde, CETIM, se voit obligé de constater que bien peu de choses ont changé pour le peuple sahraoui. Vie précaire, vie d’exil dans les camps de réfugiés sur territoire algérien, vie humiliante sous occupation dans les zones du Sahara occidental toujours administrées par le Maroc. Dès sa fondation, le CETIM a lutté pour le droit à l’autodétermination des peuples pour un respect actif et réel qui l’a amené à se solidariser avec de nombreuses luttes d’indépendance à travers le monde. Il est donc bien légitime que le CETIM continue à vous faire part de ses préoccupations relatives à l’occupation du Sahara occidental par le Maroc depuis 1975, et cela malgré le fait que la Communauté internationale, par la voix du Conseil de Sécurité, ait décidé d’un Plan de paix à mettre en oeuvre dans cette région.

Aujourd’hui au Sahara Occidental, les visiteurs sont particulièrement bien suivis dans leurs déplacements. En effet, dans son rapport 1996, le Département d’Etat des Etats-Unis signale la difficulté d’entrer au Sahara Occidental, difficulté que nous avions déjà dénoncée à plusieurs reprises. Ce rapport précise que “le Maroc limite l’accès au Sahara Occidental” et “des journalistes impartiaux et des organisations internationales de défense des droits humains ont parfois eu des problèmes pour s’y rendre”. La liberté de mouvement y est limitée, les voyageurs parfois soumis à des interrogatoires, voire même emprisonnés par les forces de sécurité; la police et les autorités paramilitaires réagissent de façon particulièrement dures contre les Sahraouis du Sahara Occidental qui sont suspectés de sympathie pour l’indépendance et le Front Polisario.

Dans ce tragique conflit, la force d’inertie, le silence et l’oubli de la Communauté internationale donne sa pleine mesure; en somme, une amnésie générale. Se souvient-on encore, dans quelque Chancellerie d’Etat, que le Conseil de Sécurité a voté, voici 7 ans, un Plan de paix sur la question du Sahara Occidental ? La Communauté internationale ne reconnaîtrait-elle que la force et le profit? Dès l’adoption de la résolution relative au Plan de paix du Conseil de Sécurité, les Etats sont devenus, par leur absence de volonté politique, eux aussi, des violateurs des droits humains au Sahara Occidental.

Cette expérience démontre que la Communauté internationale pose actuellement dans la balance des relations bilatérales ou multilatérales la question des droits de l’homme. Elle n’agit pas par souci moral mais privilégie les intérêts stratégiques ou les rapports économiques. Dès lors, on comprend mieux son absence de position face aux violations des droits de l’homme perpétrées par le Maroc à l’encontre du peuple sahraoui. A notre connaissance, aucun Etat membre permanent du Conseil de Sécurité, n’a engagé sa crédibilité et ses forces afin d’exiger du Maroc qu’il respecte le Plan de paix de l’ONU et qu’il réponde notamment aux nombreuses interrogations suscitées par les disparitions volontaires.

La règle du double langage, des faux espoirs meurtriers tue finalement le Plan de paix de l’ONU pour le Sahara Occidental. Aujourd’hui, nous aimerions que se brise l’indifférence des Etats. Nous aimerions voir se lever des pays courageux. Mais faut-il vraiment être courageux pour faire respecter des textes adoptés? Ne s’agit-il pas simplement d’appliquer quelques principes de justice? Nous souhaiterions que des Etats interviennent auprès du nouveau Secrétaire général afin de s’assurer de son engagement et soutien. En effet, ses deux prédécesseurs n’ont pu cacher leur sympathie pour le Maroc en le laissant asseoir son administration au Sahara Occidental, tels la tenue d’élections et le déplacement des populations. En laissant la répression se poursuivre sans protester, ils ont permis au Plan de paix de s’enliser dans l’indifférence. Vous avez au Sahara Occidental une situation claire de décolonisation, un conflit régional qui pourrait se résoudre facilement si la Communauté internationale décidait de contraindre le Maroc à suivre l’esprit et la lettre du Plan de paix initial. Les Nations Unies pourraient ainsi se féliciter d’avoir su enfin se donner les moyens de faire respecter ses décisions.

Dans cette situation de non guerre et de non paix mais d’occupation réelle du territoire du Sahara Occidental, les conditions de vie des citoyens sahraouis s’aggravent. Plus de cent familles ont manifesté à la fin de 1996 devant le siège provincial de la ville de Smara. Les manifestants ont notamment demandé du travail et un logement où ils puissent vivre dignement. Les arrestations de Sahraouis sont très fréquentes et on peut craindre le pire quand on lit les rapports pour 1996 de l’Organisation Marocaine des Droits de l’Homme (OMDH) et de l’Association Marocaine pour les Droits de l’Homme (AMDH). Ces deux organisations constatent que l’année 1996 a marqué une authentique régression en ce qui concerne le respect des droits de l’homme au Maroc. L’emploi habituel de la torture de la part des forces de sécurité se poursuit, les atteintes aux libertés individuelles et collectives sont graves. Au moins neuf personnes, note l’AMDH, seraient mortes sous la torture et les mauvais traitements subis dans des Commissariats de police.

Depuis que Monsieur Emmanuel Roucounas, juriste indépendant, a été nommé par le Secrétaire général des Nations Unies, dans le cadre du Plan de paix, nous avons l’impression qu’il a déjà obtenu quelques résultats. On se souvient de la libération des prisonniers sahraouis par le Maroc à la fin 1996. Le 14 février 1997, l’Association des familles des prisonniers et disparus sahraouis a remis à Monsieur Roucounas une liste annotée des Sahraouis qui sont détenus au Maroc pour des raisons politiques. On peut compter parmi ces personnes les centaines de disparus sahraouis dont on est sans nouvelle parfois depuis vingt ans. Les familles des disparus n’abandonnent toutefois pas l’espoir de les revoir. Elles pensaient que le Plan de paix les aiderait dans cette démarche; il n’en a encore rien été. L’impatience grogne de partout. Une nouvelle génération sahraouie se lève. Aura-t-elle la patience des aînés ? La guerre risque-t-elle de s’étendre dans la région ? A tant vouloir jouer avec les droits reconnus mais non respectés du peuple sahraoui, la Communauté internationale peut craindre une explosion populaire, fruit de son attentisme complaisant.

A titre de conclusion Monsieur le Président, dans ce conflit, il faut imaginer de nouveaux dispositifs pour rompre avec la logique actuelle du fait accompli. A ce sujet, le CETIM propose une collaboration entre Etats et ONG marocaines, sahraouies et internationales, afin de décrisper la situation et de servir de médiateur entre le Maroc et le Front Polisario, ceci afin de permettre une dynamique de paix et explorer de nouvelles stratégies de résolution de la question. Le CETIM, défenseur depuis de nombreuses années du droit à l’autodétermination, est disposé quant à lui à participer à toute proposition qui irait dans le sens de la paix et du respect des droits de chaque peuple.

Monsieur le Président, je vous remercie de votre attention.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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