Monsieur le Président,
Comme chacun le sait, le Rwanda a vécu, il y a bientôt trois ans de cela, l’un des plus grands drames de l’histoire humaine: un génocide froidement planifié et, fait d’autant plus horrifiant, prévisible. Tous les signes annonciateurs en avaient été décrits, ici même, longtemps à l’avance. Depuis lors, ce petit pays fait face à des défis d’une gravité exceptionnelle: reconstruire l’unité nationale, relever le pays après l’extermination d’une grande partie de ses cadres et la destruction de la plupart de ses infrastructures, accueillir plus d’un million de réfugiés, juger les responsables des massacres. La tâche est énorme. Le Rwanda aurait besoin d’aide. Pourtant, là ne s’arrête pas ses malheurs. Le Rwanda est, de plus, écrasé pas sa dette extérieure. Malgré un programme d’ajustement structurel imposé par le FMI, celle-ci s’est considérablement alourdie entre 1990 et 1994 pour atteindre aujourd’hui près d’un milliard de dollars, soit 90% du PIB rwandais. Son service absorbe 55 millions de dollars par an, 46% des exportations du pays.
Un tel endettement n’a évidemment, en soi, rien d’exceptionnel. Quinze années de politique du FMI nous y ont habitués! Ce qui l’est plus, c’est d’apprendre que les derniers prêts consentis par les différents bailleurs, entre 1990 et 1994 justement, ont pratiquement tous servi à une seule chose: la guerre et la préparation du génocide de 1994. Telles sont les premières conclusions d’une étude menée par le professeur Michel Chossudovsky et l’économiste Pierre Galand, président du Forum pour un contrat de génération Nord-Sud. Autrement dit, et de façon raccourcie, le peuple rwandais rembourse aujourd’hui les bailleurs de ses bourreaux!
Qu’on en juge:
1) La grande majorité des prêts accordés au Rwanda, entre 1990 et 1994, l’ont été pour un programme d’ajustement structurel décidé un mois seulement avant le début de la guerre contre le Front Patriotique Rwandais. Le début de la guerre n’a cependant pas modifié le plan.
2) De fait, ces fonds n’ont pas servi au programme d’ajustement structurel, mais à une économie de guerre et, dès 1993, à la préparation du génocide. Suite au feu vert donné par le FMI en novembre 1990, l’armée gouvernementale s’est gonflée en un éclair de 5’000 à 40’000 hommes. Une bonne partie de cet argent a servi à l’achat de matériel militaire, de munitions ou d’armes blanches, des machettes notamment, armes pour lesquelles 3/4 de million de dollars ont été dépensés et dont on connaît le sinistre usage. D’autres fonds ont été utilisés pour l’importation de produits agro-alimentaires, d’uniformes, de carburant, de boissons alcooliques destinés aux membres des Forces armées ou aux milices, ainsi qu’à leur famille. Des milliers de jeunes délinquants ont été enrôlés dans les milices et armés grâce aux mêmes ressources financières.
3) Le versement de ces fonds a bien été bloqué pendant quelques mois en 1992-1993 par les bailleurs de fonds internationaux. Toutefois il a repris, après la conclusion des accords d’Arusha.
4) Pour parvenir à ses fins, le gouvernement en place de 1990 à 1994 s’est livré à de très nombreuses manipulations et détournements de fonds. Cependant, de graves manquements semblent aussi imputables aux bailleurs de fonds, notamment aux institutions financières internationales et en particulier à la Banque Mondiale. Pour le moins, celles-ci n’ont pas fait preuve de la vigilance nécessaire.
5) Enfin, après son effondrement et sa fuite à Goma, l’ancien régime a continué à jouir de crédits en recourant à une prétendue “antenne de la Banque nationale rwandaise”. Il a pu ainsi passer de nouvelles commandes d’armes ou autres. Certaines banques privées comme la Banque Nationale de Paris, la City Bank, la Dresder Bank, semblent avoir accepté d’honorer ces lignes de crédits.
Monsieur le Président,
Le principe de la continuité de l’Etat veut que le nouveau gouvernement d’un pays soit tenu d’honorer les dettes du gouvernement précédent. Ce principe se présente comme intangible bien que parfois moralement difficilement soutenable lorsque cela revient, en pratique, à tenir des peuples responsables du paiement de dettes contractées par des dictateurs imposés de l’extérieur. C’est pourquoi le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) préconise depuis longtemps que toutes les composantes de la dette extérieure fassent l’objet d’un examen attentif pour en séparer la partie légitime, qui seule devrait être retenue et éventuellement annulée, de sa partie illégitime pour laquelle toute prétention des créanciers devrait être écartée du droit international public.
Face à la gravité des crimes commis, au demeurant imprescriptibles, rendre le peuple rwandais redevable de la dette contractée par ses propres bourreaux est, en l’occurrence, totalement inconcevable et inacceptable. Au vu de ces faits exceptionnels, de l’usage réel des fonds prêtés, des manquements des bailleurs, de la situation et des besoins actuels du Rwanda, la dette contractée par ce pays entre 1990 et 1994 doit être purement et simplement annulée sans autres conditions. Il ne s’agit pas d’aide, par ailleurs des plus nécessaires, encore moins d’un cadeau, mais d’un acte de réparation minimum, nonobstant d’autres réparations auxquelles le Rwanda pourrait par la suite prétendre.
Dans l’attente de la publication des conclusions de l’enquête menée par MM. Chossudovsky et Galand, qui demeure aujourd’hui confidentielle, le CETIM s’affirme d’ores et déjà prêt à s’associer à toute campagne d’ONG allant dans ce sens.
Monsieur le Président,
Pour conclure, le CETIM réitère son appel pour que la Commission demande aux rapporteurs spéciaux examinant des situations dans divers pays, de faire spécifiquement référence dans leurs rapports à la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, comme le précise la résolution 1995/15. Enfin le CETIM attire votre attention sur son intervention écrite au titre de ce point de l’ordre du jour sous la cote E/CN.4/1997/NGO/44.