Commentaires concernant le rapport du Secrétaire général sur la réforme de l’ONU

11/11/2005

En rendant public son rapport sur la réforme de l’ONU le 21 mars 20051, le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan, a jeté un pavé dans la mare. Si le document en question porte le titre séduisant de « Dans une liberté plus grande : développement, sécurité et respect des droits de l’homme pour tous », son contenu n’est pas à la hauteur des enjeux actuels.

En effet, bien que le Secrétaire général affirme souhaiter promouvoir une réforme complète du système des Nations Unies, il ne touche en rien aux problèmes fondamentaux de l’ONU, comme nous pouvons le constater à la lecture attentive dudit rapport.

Bien entendu, l’ONU dans son ensemble nécessite une « réforme »2. Cependant, les remèdes proposés nous paraissent inadéquats.

I. Propositions du Secrétaire général sur le Conseil de sécurité

Le Secrétaire général est plutôt tendre avec le Conseil de sécurité, si on compare ses propos avec les critiques qu’il formule envers l’Assemblée générale et la Commission des droits de l’homme (« perte de prestige », « effritement de crédibilité », « baisse du niveau de compétence », etc.) alors que le bon fonctionnement démocratique du Conseil de sécurité est capital pour la paix et la sécurité de l’humanité entière. D’ailleurs, M. Kofi Annan ne propose rien pour démocratiser cette instance, car créer de nouveaux sièges permanents ou non ne changera rien à la donne.

En effet, M. Annan évite soigneusement de proposer la suppression du « droit de veto » au Conseil de sécurité, alors que c’est par ce biais que les cinq membres permanents font la pluie et le beau temps au sein de l’ONU. A quoi servirait l’augmentation du nombre des membres au Conseil de sécurité (cf. par. 170), si les cinq continuent à bloquer des sujets qui les fâchent ? Le Conseil de sécurité ne sera pas plus « représentatif » qu’aujourd’hui tant que le droit de veto persistera et on ne peut décemment pas parler de la démocratisation de l’ONU et de son bon fonctionnement.

Le Secrétaire général n’aborde même pas cette question et n’envisage nullement la possibilité de supprimer le statut des membres permanents, pourtant contraire au principe d’égalité de tous les Etats.

Le Secrétaire général n’aborde pas non plus la question du contrôle de la légalité des décisions prises par le Conseil de sécurité, étant donné que ces dernières vont souvent à l’encontre de la Charte3.

II. Le Secrétaire général propose l’institutionnalisation de la guerre préventive

Dans les paragraphes 122 à 126 de son Rapport (Recours à la force), le Secrétaire général propose d’institutionnaliser la doctrine de la guerre préventive formulée par le Président Bush dans son document « Stratégie de la sécurité nationale des Etats-Unis d’Amérique » présenté au Congrès des Etats-Unis le 20 septembre 2002.

Le Secrétaire général fait ainsi des interprétations abusives de l’article 51 de la Charte , se contredit lui même et affirme des contrevérités manifestes : « Les menaces imminentes sont pleinement couvertes par l’Article 51 de la Charte, qui garantit le droit naturel de légitime défense de tout État souverain, dans le cas où il est l’objet d’une agression armée » (par. 124 et souligné par nous). Or, l’article 51 parle de légitime défense quand un Etat est l’objet d’une agression armée et ne parle pas de menaces imminentes.
« Lorsque les menaces ne sont pas imminentes mais latentes, la Charte donne au Conseil de sécurité pleine autorité pour employer la force armée, y compris de manière préventive, afin de préserver la paix et la sécurité internationales » (par. 125 et souligné par nous). Certains juristes parlent d’un droit à la légitime défense anticipée qui découlerait de l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Mais il ne faut pas confondre mesures préventives, face à une menace réelle d’agression et légitime défense qui implique l’emploi des moyens militaires contre un agresseur actuel4.

Enfin, contrairement à ce que dit le Secrétaire général, en cas de menace contre la paix, le chapitre VII de la Charte ne préconise pas directement le recours à la force armée. Il propose des mesures provisoires graduelles, et ce n’est qu’en cas d’inadéquation de celles-ci que le Conseil peut entreprendre des actions telles que des démonstrations, des mesures de blocus et d’autres opérations exécutées par des forces aériennes, navales ou terrestres de membres des Nations Unies (art. 42).

Il est évident qu’en aucun cas, conformément à la lettre et à l’esprit de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité ne peut prendre l’initiative de déclencher une guerre.

III. Propositions du Secrétaire général sur la Commission des droits de l’homme (CDH)

Le Secrétaire général propose de « remplacer la Commission des droits de l’homme par un Conseil permanent des droits de l’homme composé de membres moins nombreux » et ajoute que « ceux qui seraient élus devraient respecter les normes les plus élevées relatives aux droits de l’homme » (par. 183 et souligné par nous).

Pourquoi vouloir créer un Conseil permanent des droits de l’homme, qui siègerait toute l’année, alors qu’il y a un partage de tâches bien établi entre :
·le Haut-Commissaire (qui travaille en permanence et qui peut intervenir à tout moment) ;
·les organes conventionnels (Comités des Pactes, qui siègent deux fois par an pour examiner les rapports soumis par les Etats parties et, pour certains d’entre eux, recevoir des plaintes) ;
·la Sous-Commission de la promotion et protection des droits de l’homme (qui siège une fois par an pour mener de nombreuses études) ;
·les procédures spéciales de la CDH (qui s’occupent pratiquement de toutes les thématiques et peuvent être saisies durant toute l’année).
Il faut ajouter que la CDH peut se réunir en session extraordinaire en cas d’urgence ! D’ailleurs, cette dernière s’est réunie à cinq reprises en session extraordinaire depuis 19925.

Un Conseil des droits de l’homme « moins nombreux » sera plus facilement l’objet de pressions de la part des Grandes puissances, en particulier des Etats-Unis.

S’agissant des membres du futur Conseil des droits de l’homme, le Secrétaire général suggère par ailleurs que « ceux qui seraient élus devraient respecter les normes les plus élevées relatives aux droits de l’homme ». Mais, qui va juger les qualités des candidats ? Ceux-ci seront-ils désignés par les Etats dits « démocratiques », modèles en matière de respect des droits de l’homme, les Etats-Unis en tête ? L’établissement des critères souffrira nécessairement de l’arbitraire. Ce futur Conseil ajoutera simplement de la sélectivité à l’arbitraire…

Concernant le mandat du futur Conseil, M. Annan a davantage précisé ses idées devant la CDH, lors de son passage à Genève le 7 avril dernier. Selon lui, la principale tâche du futur Conseil consisterait à « évaluer la manière dont tous les Etats s’acquittent de toutes leurs obligations en matière de droits de l’homme ». Pourtant cette tâche revient déjà aux organes conventionnels, c’est à dire aux Comités des Pactes et des Conventions, composés d’experts, chargés de la vérification de l’application par les Etats des Conventions ratifiées.

Le Secrétaire général propose également que le Haut-Commissaire aux droits de l’homme joue « un rôle plus actif dans les délibérations du Conseil de sécurité » (par. 144). Si l’intention est louable, la participation du Haut-Commissaire aux délibérations du Conseil de sécurité pourrait contribuer à ce que les grandes puissances intrumentalisent les droits humains au service de leurs propres stratégies hégémoniques.

Quant à la participation des ONG, elle est évoquée de manière marginale. Pourtant, c’est une question centrale. Il n’est pas sûr que les ONG disposent des mêmes possibilités qu’à la CDH dans le futur Conseil, étant donné que leur statut est géré actuellement par l’ECOSOC alors que l’on prévoit que le futur Conseil sera dépendant de l’Assemblée générale. Faut-il rappeler que les ONG ont un accès très limité à l’Assemblée générale, pour ne pas dire marginal, alors que leur participation et la marge de manœuvre dont elles jouissent à la CDH sont uniques dans le système onusien ? D’ailleurs, la CDH fait « concurrence » à l’Assemblée générale avec, cette année par exemple, cinq mille participants (délégués gouvernementaux et non gouvernementaux) et une centaine de ministres venus du monde entier.

Les propositions du Secrétaire général n’apportent pas d’amélioration au fonctionnement des mécanismes des droits humains de l’ONU mais au contraire les mettent en péril, étant donné qu’elles ne tiennent pas compte des mécanismes existants. Bien que d’aucuns soient séduits par les propositions du Secrétaire général, nous pensons que, malgré ses défauts et imperfections, la suppression de la CDH serait une grave erreur.

IV. ECOSOC – CNUCED

Sur le plan des questions sociales et du développement, M. Annan se contente de faire de bons vœux, répétés à longueur de sommets mondiaux depuis trois décennies, tels que : lutte contre la pauvreté, financement du développement, attribution de 0,7% du budget des pays riches à l’aide publique au développement, etc. Il continue à louer le « mérite » et le « rôle » du secteur privé : la principale tâche des gouvernements serait la création des « conditions propices pour des investissements privés ». Il ne propose presque rien concernant le FMI et la Banque mondiale, dont on connaît l’énorme pouvoir et le fonctionnement non démocratique, si ce n’est de les « encourager » à renforcer la participation des pays en développement. Il ne dit rien non plus de l’OMC qui, depuis sa création, a marginalisé la CNUCED.

V. Groupes régionaux

Le Secrétaire général reste silencieux sur l’avenir des groupes régionaux, pourtant établis pour assurer une « répartition géographique équitable » et donner un caractère un tant soit peu universel aux décisions prises, mais les réduit de facto à quatre dans ses propositions concernant l’élargissement du Conseil de sécurité (voir encadré N° 5, pages 50 et 51 du document de K. Annan, A/59/2005). Ainsi, le Groupe de l’Europe de l’Est disparaît. Il sort également les Etats-Unis du Groupe occidental, les mettant dans un Groupe appelé « Amérique » qui n’existe pas actuellement6.

Il est vrai que le Groupe occidental, d’une géographie hétéroclite7, est sur le point d’absorber le Groupe de l’Europe de l’Est. On peut en tout cas déjà constater que les nouveaux membres de l’Union européenne et les pays candidats s’alignent systématiquement sur la position de l’Union européenne et/ou sur celle des Etats-Unis.

Si l’on suit la géographie mondiale, ce qui est logique, et met fin aux groupements idéologiques et politiques : il faudra mettre le Canada dans le nouveau groupe « Amérique » ; l’Australie, la Nouvelle Zélande, Israël et la Turquie dans le groupe « Asie/Pacifique ».

En pratique, la question semble être encore plus complexe, si l’on se réfère à la nouvelle « Communauté des démocraties », déjà sélectionnée par les Etats-Unis8 ! Va-t-elle bientôt rendre inutiles les groupes régionaux ? Quelle marge de manœuvre resterait-il alors à la communauté internationale face aux diktats étasuniens ?

Conclusion

Le sens de la réforme proposée par le Secrétaire général est de garder et de renforcer l’emprise des grandes puissances, les Etats-Unis en tête, sur le système onusien. Le paragraphe 169 de son rapport ne peut être plus clair : « Le Conseil de sécurité doit être largement représentatif de toutes les réalités du pouvoir dans le monde d’aujourd’hui. …il faudrait : a) Conformément à l’Article 23 de la Charte, associer davantage à la prise de décisions ceux qui contribuent le plus à l’Organisation sur les plans financier, militaire et diplomatique (c’est nous qui soulignons) »

Compte tenu des rapports de forces actuels, dominés par les Etats-Unis, les sociétés transnationales et le néolibéralisme, nous avons de sérieuses réserves sur l’apport d’une réforme engagée dans de telles circonstances et doutons qu’elle conduise à un progrès pour les peuples et la démocratie.

Il semble qu’avant tout le Secrétaire général veuille donner un coup de pouce au projet étatsunien de « reprendre en main »9 l’ONU.

Les propositions du Secrétaire général prennent le contre-pied de ce dont les Nations Unies ont besoin de façon urgente : respect absolu des buts et principes de la Charte, reformes démocratiques profondes, indépendance par rapport aux grandes puissances et par rapport au pouvoir économique transnational10, objectivité, impartialité et non sélectivité dans l’action.

Une réforme visant à rétablir le rôle des Nations Unies au service de la paix et du développement humain devrait suivre la direction inverse que celle qui est proposée. Il faudrait accorder aux petits pays, qui n’ont pas de projets hégémoniques ou mondiaux, qui ne se consacrent pas au commerce des armes à l’échelle planétaire comme le font les membres permanents du Conseil de sécurité, les mêmes droits et la même participation que les Grandes Puissances, en ce qui concerne l’adoption de décisions.

A notre avis, il faudra revoir le fonctionnement de l’ONU, système actuellement basé sur l’association des Etats et non des peuples, comme cela devrait être selon l’indication contenue dans la préambule de sa Charte ; des Etats représentés bien souvent par des gouvernements qui bafouent la volonté de leurs peuples au profit des intérêts d’une élite minoritaire. Tant que les structures de l’ONU ne seront pas modifiées pour la rendre démocratique, toute tentative de réforme relèvera de la perpétuation de la loi du plus fort.

Finalement, il semble que ce sont les mécanismes onusiens en matière de droits humains qui feront les frais de la réforme proposée, dont la Commission des droits de l’homme et la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme (SCDH).

C’est pourquoi il est plus qu’urgent que la SCDH se prononce sur ces propositions.

Catégories Campagnes Déclarations DROITS HUMAINS Sociétés transnationales
Étiquettes
bursa evden eve nakliyat