Violations des droits humains commises par les sociétés transnationales en Colombie

11/11/2007

La Colombie souffre depuis plusieurs décennies de graves conflits sociaux, politiques et armés1. De nombreuses sociétés transnationales (STN) sont impliquées dans ce conflit d’une manière ou d’une autre, en collaborant avec les forces de sécurité étatiques et privées, de même qu’avec les groupes paramilitaires. Malgré la démobilisation supposée des groupes paramilitaires soutenus par l’armée, certains d’entre eux continuent à tuer et à menacer des défenseurs des droits humains2. Les STN se rendent non seulement complices des violations des droits humains, mais stimulent également la corruption et minent l’Etat de droit en ne respectant pas la législation nationale et internationale. Dans le cadre de la présente déclaration*, nous tenterons d’examiner le cas du consortium de STN propriétaires de la mine de charbon El Cerrejón en Colombie.

Les sociétés transnationales propriétaires de El Cerrejón

El Cerrejón est l’entreprise opérant dans la mine à ciel ouvert la plus grande du monde. Elle se situe dans la région de La Guajira au nord-est du pays. La compagnie El Cerrejón est le résultat de l’alliance entre les entreprises BHP Billiton plc (Australie), Anglo American plc (Royaume-Uni) et Xstrata (Suisse)3 pour l’exploitation de la mine.

Déplacements forcés des communautés indigènes et afro-colombiennes

Depuis 1983, date du début de l’exploitation, les activités de El Cerrejón et son expansion continue ont entraîné le déplacement forcé de communautés indigènes wayuu4 ainsi que des communautés afro-colombiennes dans la région. La présence historique des wayuu dans la péninsule de La Guajira remonte à plus de 3000 ans et celle des afro-colombiens à environ deux siècles.

En septembre 1981, une grande partie du territoire appartenant depuis des siècles à la communauté wayuu de Media Luna a été usurpé pour construire le port d’embarquement de charbon de El Cerrejón. L’entreprise minière et le communauté se sont vivement affrontées lors d’une négociation, allant jusqu’aux menaces physiques. Les wayuus voulaient obtenir une juste indemnisation leur permettant une réinstallation sur un autre territoire et le déplacement des cimetières. Mais la communauté a dû finalement céder, sans obtenir ce qui était attendu. De la même manière, les communautés Caracoli et Espinal qui s’étendaient sur 1000 hectares de terres et où vivaient 350 indigènes wayuu ont été déplacées en 1991 et leurs villages détruits.

Le dépeuplement le plus grand, jusqu’à aujourd’hui, réalisé dans le cadre de El Cerrejõn s’est produit en août 2001 et visait le corregimiento5 de Tabaco. L’entreprise Intercor, en accord avec les autorités locales, obligea des familles afro-colombiennes à quitter leur territoire ancestral, ce qui représentait le déplacement d’environ 1 200 personnes. Depuis 1997, les entreprises associées Carbocol-Intercor proposaient aux populations de Tabaco de leur donner une certaine somme d’argent pour qu’elles acceptent individuellement d’être délogées et cèdent leurs droits sur ce territoire. Cette proposition était socialement irresponsable et a divisé la communauté entre ceux qui ont vendu et sont partis, et ceux qui résistèrent et cherchèrent un relogement de la population, afin de conserver leur unité sociale et leur désir de continuer à partager un destin commun, conservant les traditions agricoles et les élevages leur permettant de survivre. Pour expulser ceux qui n’acceptèrent pas la misérable compensation monétaire qui leur était offerte, l’entreprise eut recours, entre autres, à des pressions telles que la suppression des services publics et des services à domicile, la destruction par le feu du cimetière et de quelques habitations, l’interdiction de transiter par le territoire, la déviation de l’eau du fleuve au bénéfice de la compagnie. Grâce à l’appui de la force publique et en présence des fonctionnaires du ministère public, tous les habitants ont finalement été expulsés brutalement.

Dans le cas de Tabaco, des STN, avec la complicité et la solidarité de l’Etat colombien, sont responsables du saccage, de l’exploitation et du déplacement forcé de tout le corregimiento. Les d’habitants de Tabaco qui n’avaient pas accepté de vendre leurs droits de propriété virent leurs maisons et leurs biens détruits. Ceux qui les avaient cédés, l’avaient fait sous pression, ce qui enlève à cette vente tout caractère libre et légitime. Devant cette situation alarmante, la communauté lança une série d’actions juridiques tendant à protéger ses droits et à obtenir assistance. C’est ainsi qu’en mai 2002, la Cour suprême de justice ordonna au maire de la municipalité de Hatonueva (Guajira) de reconstruire Tabaco sur un lieu adéquat6. Malgré le fait que la Junta Pro Reubicación de Tabaco, le comité de relogement de Tabaco, ait trouvé un terrain convenable et qu’elle ait donné des directives précises quant à la reconstruction du village, le jugement ne fut jamais appliqué. Les STN qui possèdent El Cerrejón devraient indemniser la communauté afin de lui permettre de s’acheter ce terrain et reconstruire Tabaco. Actuellement, les conditions de vie de la communauté se détériorent chaque jour davantage à cause du déplacement, touchant ainsi l’identité ethnique et culturelle de ce peuple ancestral7.

Détérioration des conditions de vie des communautés vivant proches de la mine El Cerrejón

Afin d’étendre ses opérations, El Cerrejón a manifesté, en janvier 2007, son intention d’entrer en négociation avec trois villages : Chancleta, Roche et Patilla, situés dans les environs proches de la mine, concernant leur déplacement. Ces négociations devaient, selon les promesses du consortium, être transparentes et porter sur le dédommagement et la réinstallation des habitants concernés. Or de telles négociations n’ont toujours pas commencé, et on ne sait même pas quand elles vont débuter. Pendant ce temps la pression, pour obliger les résidents à vendre individuellement leur terre et leurs dépendances à des prix défavorables pour eux, augmente. Etant donné la situation précaire des habitants, chaque fois plus de familles se retrouvent dans une situation désespérante et n’ont d’autre choix que de vendre leurs biens. De cette manière, l’unité et l’autodétermination des communautés sont ébranlées, la volonté de résister brisée. La situation des populations vivant dans la zone la plus proche de l’exploitation minière est des plus préoccupante. Le village de Roche est sur le point d’être expulsé pour les besoins de l’expansion de la mine, et il est urgent de trouver des solutions collectives et satisfaisantes pour les habitants de ce village.

La situation de Tamaquitos est également inquiétant car ce village wayuu se trouve aussi situé dans les environs de la mine. Il ne risque pas d’expulsion, mais il se trouve actuellement isolé, puisque d’une part les fermes environnantes ont déjà été acquises et occupées par les entreprises minières, et que d’autre part, la disparition déjà mentionnée de Tabaco réduit fortement les possibilités d’échanges sociaux et économiques. En conséquence, le travail manque et les zones de culture ou d’élevage ne sont plus disponibles. Il est devenu très difficile pour cette communauté de continuer à survivre, d’autant plus que les résidents n’ont pas accès aux transports publics, à l’éducation, aux services de santé, aux ressources alimentaires. Les entrepreneurs actuels de la mine de El Cerrejón se sont montrés indifférents face aux problèmes de cette communauté et n’ont pas exprimé le souhait d’ouvrir des négociations. En somme, aussi bien les déplacés de Tabaco que les habitants de Roche, Chancleta, Patilla et Tamaquitos se trouvent dans une situation très critique.

Les opérations de la mine de El Cerrejón contribuent à la détérioration de l’état général de santé et à la pollution environnementale

Dans la région de La Guajira, le groupe indigène wayuu et les communautés afro-colombiennes qui vivent proches de la mine de charbon de El Cerrejón ont été historiquement opprimées et continuent à lutter pour survivre et maintenir l’existence de leurs communautés. Mais comme si cela ne suffisait pas, l’air dans cette zone est pollué par des particules provenant de l’immense mine de charbon à ciel ouvert. Cette situation est très probablement à l’origine des maladies et morts prématurées dont souffre la population. Les habitants disent que l’eau des rivières qu’ils utilisent dans la zone de El Cerrejón est contaminée. La pollution environnementale fait certainement partie des facteurs qui contribuent à la santé précaire et aux handicaps qui frappent les habitants de cette partie de La Guajira8. Il en est de même pour la malnutrition dont souffre les habitants de la zone. Ils sont appauvris et ont été privés par la compagnie de El Cerrejón de la terre qu’ils occupaient pour l’élevage de leurs troupeaux. Par ailleurs, l’impact psychologique très négatif occasionné par la présence de forces de sécurité privées, des unités de l’armée nationale et des paramilitaires est une expérience oppressante pour ces peuples9. Leur marginalisation constitue enfin un obstacle de plus au droit à la santé des habitants des zones rurales de La Guajira.

Conclusion

Contrairement à ce qu’affirme l’entreprise, selon laquelle cette dernière s’efforcerait d’être un modèle dans le domaine des droits humains et représenterait une avancée dans le développement social des régions où elle est active10, l’exemple exposé dans la présente déclaration montre que le consortium composé par Anglo American, BHP Billiton y Xstrata, détenant El Cerrejón se moquent des droits des populations autochtones et afro-colombiennes. El Cerrejón porte une agressivité systématique à l’encontre des communautés installées près de la mine. Cette violence se matérialise par l’achat des terres productives dans chaque région, aggravant l’isolation de chaque village et en supprimant toutes sources de travail. De plus, la pollution de l’environnement et des sources d’eau et de nourriture pour les troupeaux ont des effets très négatifs, à court et à long terme, sur la santé de la population vivant proche de la mine. Selon les indices de pauvreté établis par les Nations Unies, les habitants de ces villages seraient des morts vivants, puisqu’ils ne réunissent plus les conditions minimales nécessaires à leur survie, souffrant sans cesse et de façon continue des violations des droits humains de la part de El Cerrejón.

Il est intéressant de noter que les trois STN précitées ont chacune adhéré au Global Compact et que visiblement elles ne respectent pas les termes de leurs engagements. Cela démontre une fois de plus que les codes volontaires sont inconsistants, inefficaces et inadaptés. C’est pourquoi un encadrement juridique des activités des STN au niveau international est indispensable.

Vu ce qui précède, le Centre Europe – Tiers Monde (CETIM) et l’Association américaine de juristes (AAJ) demandent :

– au gouvernement colombien d’exercer son devoir de respecter et faire respecter les normes internationales en matière de droits humains, ainsi que la législation nationale, aux sociétés transnationales actives sur son territoire en général et aux trois STN (Anglo American, BHP Billiton et Xstrata) en particulier ;

– aux gouvernements de l’Australie, du Royaume-Uni et de la Suisse qu’ils veillent à ce que leurs STN agissant à l’extérieur des territoires nationaux respectent les droits humains et qu’ils enquêtent en cas de violations de ces droits ;

– au Conseil des droits de l’homme de créer un groupe de travail en vue d’examiner et d’adopter les Normes sur les sociétés transnationales adoptées en 2003 par la feue Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme, tout en prévoyant un mécanisme de suivi.

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