Le projet d’extraction d’or et de cuivre de Tampakan et les violations des droits humains dans le South Cotabato (Philippines)

11/11/2014

LE PROJET D’EXTRACTION D’OR ET DE CUIVRE DE TAMPAKAN ET LES VIOLATIONS DES DROITS HUMAINS DANS LE COTABATO SUD (PHILIPPINES)1

Le projet d’extraction de cuivre et d’or à Tampakan concerne la 7ème plus grande mine de cuivre non exploitée dans le monde2. Une fois exploitée, elle sera la plus grande mine d’or et de cuivre d’Asie du Sud-Est. Détenue majoritairement par Glencore-Xstrata, avec quelques parts possédées par Indophil, une entreprise australienne, la mine est gérée par une filiale locale, Sagittarius Mines, Inc. (SMI). L’ensemble du domaine d’exploitation de la mine devrait s’étendre sur 10’000 hectares, sur les territoires de quatre provinces (South Cotabato, Sarangani, Davao del Sur et Sultan Kudarat), principalement constitués de forêts et de territoires ancestraux du peuple autochtone Blaan. La mine à ciel ouvert couvrirait 500 hectares et serait profonde de 785 mètres alors que cinq hectares seraient utilisés pour stocker les terres extraites et 49 hectares pour stocker les tas de minerais extraits. L’étude d’évaluation des impacts environnementaux menée par SMI3 a estimé que 5’000 personnes seront directement affectées, la plupart d’entre elles étant des autochtones, et devront être déplacées. Ce projet de minier aura un impact direct sur cinq bassins versants, environ 4’000 hectares de forêts anciennes et cinq territoires ancestraux des peuples autochtones.

Deux différents rapports en 20074 et 20085 font référence aux préoccupations des acteurs locaux par rapport à la possible pollution du lac Buluan en aval et des marais de Liguasan en amont, ce qui provoquerait des dommages aux terres agricoles et aux zones de pêche et mettrait sérieusement en danger les sources d’alimentation des populations autochtones et musulmanes tout en détruisant leurs conditions de vie. Ceci pourrait occasionné d’importants troubles sociaux Le rapport de 2008 recommandait que le projet de minier soit interdit, au vu des risques de pollution, d’érosion, d’ensablement, d’inondations et de glissements de terrain continus et dévastateurs. L’énorme impact négatif potentiel sur la sécurité alimentaire, les risques sismiques et la présence de conflits armés ont été également mentionnés. Dans les deux rapports, l’absence de consentement libre, préalable et informé (CLPI) du peuple Blaan fut également considéré comme une des raisons principales qui justifie l’opposition à ce projet, car le CLPI est une exigence légale dans la loi sur les droits des peuples autochtones.

L’histoire des violations des droits humains dans le cadre de ce projet minier a commencé dès l’arrivée de Western Mining Corporation (WMC), qui a obtenu le premier contrat minier pour Tampakan en 1995, en partenariat avec la compagnie locale Tampakan Group of Companies (TGC)6. Depuis 1997, WMC a fait face à de nombreuses contraintes dans le déroulement de ses opérations, à commencer par un cas déposé à la Cour suprême. En 2007, Xstrata7 a essayé de lancer le projet. Les violations systématiques des droits humains comprennent les cas de déplacement, l’absence de consultation, la désinformation, les menaces, les harcèlement et la non obtention du CLPI de la part du peuple Blaan. Un rapport soumis au Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 20028 documentait déjà ces violations. Aussi, en avril 2012, une mission d’enquête conduite par le Forum Tampakan9 a établi que : 1) Xtrata/SMI ont clairement violé l’ordre du gouvernement philippin de s’abstenir de conduire des activités de développement dans la zone concernée par le projet tant que la conformité de ce dernier en matière environnementale était encore en cours d’évaluation ; 2) le renforcement de la présence militaire et des forces de sécurité dans la région peut être relié à l’opposition croissante du peuple Blaan contre ce projet minier ; 3) des violations des droits humains ont été commis par l’entreprise minière lorsque les travaux d’élargissement de la route, pour les besoins de ce projet, ont occasionné la destruction de cultures et de fermes et que des maisons ont été brûlées ; 4) au moins quatre cas de harcèlement perpétuées par la police et les militaires ont été recensées lors du premier trimestre de 2012 ; 5) le couvre-feu imposé par les militaires en décembre 2011 a eu pour effet de violer la liberté de circulation, et la présence militaire a semé la peur parmi le peuple Blaan qui a alors craint s’aventurer dans la forêt pour chercher de la nourriture, sans compter l’interdiction de la construction de huttes ou d’autres demeures10 ; 6) des pratiques culturelles et des croyances religieuses ont été perturbées ou violées11,

Au moins trois cas d’exécutions extra-judiciaires sont directement liés à ce projet minier. En août 2012, Juvy Capion et ses deux fils furent tués dans le cadre de ce que les militaires ont dénommé un « affrontement armé », mais les évidences suggèrent qu’il s’agissait du meurtre de civils non armés. En janvier 2013, Kitari Capion fut assassiné par des membres d’un groupe paramilitaire, alors qu’il rentrait chez lui sur sa moto. En octobre 2013, le principal chef du peuple Blaan, Anting Freay, fut abattu par des militaires, qui ont encore évoqué un « affrontement armé ». Toutes les victimes sont des parents de Daguil Capion, le chef Blaan dont la mission est de défendre les terres ancestrales, en particulier contre le projet minier de Tampakan. Daguil Capion a été, à tort, désigné comme un insurgé communiste par les militaires. Ce procédé utilisé par l’État, consistant à taxer les militants Blaans anti-mine de « bandit » ou d’« insurgés », a pour objectif justifier leur arrestation et les attaques contre la communauté.

En juin 2013, une évaluation indépendante concernant les impacts sur les droits humains12 a mis en évidence cinq situations problématiques qui concernent le cas du projet minier de Tampakan : 1) une information incohérente et un manque de participation conséquente des peuples concernés ; 2) le fait de dispenser des services de base qui rendent dépendante la population du futur du projet13; 3) des rapports de force déséquilibrés entre SMI et les communautés affectées ; 4) insuffisances des mécanismes de réclamation existants ; et 5) l’accumulation de doléances et d’éléments pouvant déclencher des conflits violents. Le rapport souligne également les impacts conséquents du projet minier sur les droits humains ; il établit le lien entre la situation explosive et les risques élevés en matière de sécurité avec le projet minier ; il observe les hauts degrés de marginalisation et de discrimination à l’encontre des peuples autochtones ; et il note l’échec du gouvernement à honorer ses obligations en matière de droits humains.

Les cas de harcèlement et d’assassinat ont débouché sur le dépôt de plaintes pénales et la soumission de cas devant la Commission des droits humains des Philippines, les tribunaux locaux et les tribunaux militaires. Dans tous ces cas, les éléments militaires de la Task Force KITACO ont été accusés par les survivants et les témoins d’avoir perpétré ces crimes. La Task Force KITACO est composée de policiers, de militaires et de groupes d’auto-défense de civils (groupes para-militaires). Cette Task Force a été érigée en une « Force de défense des investissements » dont la mission est de protéger le projet minier. Des enquêtes parlementaires subséquentes sur le cas Tampakan ont révélé que SMI finançait les opérations et la maintenance de la Task Force KITACO14.

La Commission des droits humains des Philippines (CHRP) a, mené au moins deux enquêtes et dialogues de haut-niveau qui ont indirectement débouché sur un « re-positionnement » des militaires dans la région15. Cependant, ce re-positionnement n’a pas mis fin à la peur et aux restrictions à la liberté de circulation du peuple Blaan au sein de leurs territoires. Et en février 2014, une incursion militaire dans la région a occasionné un échange de tirs entre l’armée et des autochtones. La CHRP n’a pas émis de résolution finale sur les violations des droits humains concernant les cas mentionnés. Une Cour martiale se met lentement et laborieusement en place pour juger les militaires impliqués dans le massacre de Capion en août 2012, avec une participation limitée des organisations de la société civile, des communautés victimes et des survivants.

En décembre 2013, une conférence des peuples autochtones a émis une résolution contre le projet minier de Tampakan, en réunissant plus de 1800 signatures et empreintes digitales de Blaans, prouvant par la même l’existence d’une large résistance à ce projet16.

Dans cette pétition, les Blaan déclarent qu’ils ne sont plus intéressés à participer au processus de CLPI et réclame un certificat dans ce sens à la Commission nationale sur les peuples indigènes.

A part le peuple Blaan, les associations de paysans locaux et le Conseil national de l’agriculture et de la pêche (un important mécanisme du Département de l’agriculture incluant toutes parties concernées) s’opposent également à ce projet.

À ce jour, la situation se caractérise par : i) l’insistance de Glencore-Xstrata/SMI à poursuivre les négociations sur une proposition de déplacement de la communauté Blaan affectée, facilitée par le programme du NCIP, malgré l’opposition des populations Blaan affectées ; ii) ses efforts délibérés pour diviser le peuple Blaan17 en essayant de les appâter avec des propositions de bourses ou de projets de développement social ou, comme cela a été le cas plus récemment, l’installation de leaders autochtones « illégitimes » pour miner l’autorité des leaders coutumiers et traditionnels ; iii) des annonces publiques trompeuses suivant lesquelles le recrutement de groupes para-militaires et de la Task Force KITACO était parfaitement légal ; iv) la remise par le MICC d’un prix environnemental à Glencore-Xstrata, malgré les nombreuses violations; v) les besoins apparents de Glencore-Xstrata/SMI en matière de sécurité sont la raison principale pour laquelle un retrait complet des militaires positionnés dans la région n’a jamais été ordonné par le gouvernement philippin.

Le gouvernement philippin a tenté de réformer l’industrie minière via l’Ordonnance 79, publiée en août 2012. Le gouvernement avait apparemment l’intention de traiter les doléances des communautés affectées par le projet minier de Tampakan, mais jusqu’à présent cela n’a pas été fait. Les dispositions de l’ordonnance n’ont pas non plus été appliquées jusqu’à maintenant18.

La compagnie minière a failli à son devoir d’ appliquer pleinement les dispositions indiquées dans le certificat de respect des normes environnementales (ECC) délivré par le Bureau de gestion environnementale du Département de l’environnement et des ressources naturelles (Department of Environment and Natural Resources – DENR)19. Pendant ce temps, le bureau local du NCIP facilite la poursuite des activités de développement de Glencore-Xstrata, en particulier les négociations qui concernent le déplacement des Blaans, sans avoir obtenu leur consentement libre, informé et préalable, en violation directe des conditions de l’ECC.

Il faut également ajouter que le gouvernement provincial du South Cotabato, en juin 2010, a légiféré contre le projet en question à travers une ordonnance intitulée « le Code provincial de l’environnement » dont une disposition interdit les exploitations minières à ciel ouvert dans cette province. Le Département de l’intérieur et du gouvernement local (DILG) et le Département de justice ont écrit le 18 septembre 2012 au gouvernement provincial du South Cotabato pour lui demande de revoir et révoquer l’ordonnance locale interdisant les mines à ciel ouvert. Cette action menée par une branche de l’exécutif est une attaque directe portée à l’encontre de l’autonomie des gouvernements locaux, qui est pourtant reconnue dans la Constitution des Philippines et le Code du gouvernement local de 1991 (RA 7160).

Il faut noter que ces cas de violations de droits humains et de marginalisation des communautés pauvres rurales affectées par les mines résultent de l’application de la déficiente loi sur les mines de 1995 (RA 7962). Destinée à libéraliser l’industrie minière des Philippines en encourageant les investissements directs étrangers et en facilitant l’entrée des sociétés transnationales (STN), cette loi sur les mines est en conflit direct avec d’autres lois nationales20.

En mai 2014, le projet Tampakan a été redimensionné avec une réduction de 80% de ses fonds et de ses ressources humaines en 2014. Il n’est pas suspendu ou abandonné. Glencore/Xstrata a indiqué que leur nouvel horizon visé pour les opérations commerciales est 2019. L’entreprise s’est également engagé à chercher à satisfaire toutes les conditions réglementaires, dont l’obtention du consentement des peuples autochtones, ainsi qu’à prendre en compte l’interdiction locale des mines à ciel ouvert21.

Les Philippines se targuent d’avoir des lois et des politiques parmi les plus progressistes en matière de droits humains, d’environnement, de développement durable et de peuples autochtones. Cependant, leur mise en œuvre réelle laisse à désirer. Le cas du projet Tampakan démontre qu’un géant comme Glencore/Xstrata peu violer les lois nationales et locales, et commettre des violations des droits humains en toute impunité. C’est pourquoi, en cas de manquement au niveau national, un mécanisme de recours, basé sur des normes contraignantes est nécessaire au niveau international. Les mécanismes existants de type non contraignant ou les codes de conduite volontaires ne permettent justement pas de répondre aux problèmes et aux préoccupations en matière de droits humains au sein des industries d’extraction de matières premières en général.

De telles normes contraignantes devraient notamment inclure des dispositions assurant que les STN ne sont pas en mesure d’utiliser à leur avantage les forces armées et de sécurité de l’État ou de recruter des milices privées, ainsi que les industries d’extraction de matières premières ne sont pas permises dans les zones de conflits. Elles devraient également inclure des dispositions concernant les obligations extra-territoriales des États par rapport aux violations des droits humains commises dans d’autres pays par des STN ayant leurs sièges sur leurs territoires, ainsi que par rapport à l’obligation des STN de se se conformer et de respecter les politiques internes et les lois nationales. L’instrument international devrait aussi prévoir un mécanisme de plainte et d’application ainsi qu’un mécanisme pour surveiller, analyser et faire des recherches sur les activités des STN et leurs impacts sur les droits humains.

Le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) et Franciscans International demandent au gouvernement des Phillippines d’assurer la démilitarisation des territoires ancestraux et des alentours du projet minier ; d’émettre un certificat de la Commission nationale sur les peuples autochtones pour assurer qu’aucune nouvelle démarche ne sera entreprise concernant le processus de consentement préalable, libre et informé, étant donné que le peuple Blaan a déjà manifesté son opposition à ce projet dans leur pétition ; de respecter l’autonomie du gouvernement de la Province de South Cobato et le Code provincial sur l’environnement ; de mener un Dialogue de paix de haut niveau avec le peuple Blan pour désamorcer la situation de conflit dans la zone ; et de révoquer le certificat de respect des normes environnementales au vu du manque d’acceptabilité sociale.

Le CETIM et Franciscans International demandent par ailleurs au Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones, au Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et à l’Expert indépendant sur les droits humains et l’environnement de surveiller attentivement ce cas et d’effectuer une visite dans le pays.

Le CETIM et Franciscans International appellent également le Conseil des droits de l’homme à établir un groupe de travail intergouvernemental avec le mandat d’élaborer un instrument international contraignant pour contrôler les activités des STN et leurs impacts sur les droits humains, et garantir l’accès à la justice pour les victimes de leurs activités.

Lire la déclaration écrite du CETIM

Catégories Déclarations Justice environnementale
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