Monsieur le Président,
Depuis la dernière session de la Commission des droits de l’homme de 1997, la situation concernant le peuple sahraoui et son droit légitime à l’autodétermination s’est considérablement modifiée. En effet, la nomination de Monsieur James Baker comme Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU en mars 1997 a permis l’ouverture de négociations entre les deux parties qui ont abouti aux accords de Houston du 14 au 16 septembre 1997. A l’issue de trois jours de discussion à huis clos, Monsieur James Baker a annoncé que les parties s’étaient mises d’accord sur le “code de conduite” à observer lors du référendum d’autodétermination. A nouveau, un grand espoir est alors né chez les Sahraouis, hommes et femmes habitant les camps de réfugiés, les zones libérées du Sahara occidental, les zones occupées par le Maroc et dans toute la diaspora des pays alentours et des pays européens.
Le processus d’identification a repris en décembre 1997 et il a été perturbé principalement par l’obstination des autorités marocaines à présenter dans les bureaux onusiens des personnes provenant de tribus “dites contestées”. Cette contestation ne date pas d’aujourd’hui. De source autorisée, nous pouvons dire à ce sujet, que Monsieur James Baker a pensé qu’il pouvait faire confiance au Maroc pour qu’il suive la ligne de conduite telle qu’elle avait été tracée à Houston et que cet Etat n’obstruerait pas le processus par une population manipulée qui ne peut qu’obéir aux ordres des autorités. Actuellement, les bureaux d’identification fermés du 27 février au 10 mars rouvrent peu à peu. La MINURSO étudie le problème posé par l’identification des personnes contestées que les uns veulent inclure malgré tout parmi les votants et que les autres refusent.
Il faut remarquer, que le Maroc a une curieuse façon de se préparer au référendum. En effet, sur trois points au moins, il organise pendant cette période pré-référendaire un climat peu favorable à la tenue d’un référendum juste et transparent et mène des campagnes d’intimidation haineuse et tenace, même contre les institutions onusiennes.
Commençons par les intimidations physiques dont sont victimes des Sahraouis habitant le Sahara occidental occupé. Depuis la reprise du processus du plan de paix, l’ONG AFAPREDESA, Association des Familles des Prisonniers et des Disparus Sahraouis, dont chacun reconnaît le travail de qualité et la véracité des informations malgré la précarité de son existence, a lancé des appels pour dénoncer des arrestations arbitraires de Sahraouis dans les zones occupées par le Maroc. Souvent, les personnes arrêtées se sont vues relâchées quelques jours plus tard sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre elles. Depuis le début de cette année, on a assisté à la mort suspecte d’au moins trois citoyens sahraouis dont un participait aux travaux de la commission d’identification. Prenons le cas du 14 février où un ouvrier de 34 ans s’est vu renversé et tué à Smara par un camion conduit par un ressortissant marocain. Ces faits n’ont fait l’objet d’aucune investigation de la part des autorités marocaines ce qui laisse à penser que l’accident était intentionnel. Une manifestation conduite par des proches de la victime qui exigeait une enquête a été dispersée violemment par les forces de sécurité marocaines. Cette perpétuelle insécurité qui sévit dans les zones du Sahara occidental occupé par le Maroc est préoccupante à quelques mois du référendum.
Que dire des campagnes de dénigrement du Front Polisario menée actuellement par le Maroc, dans différents pays, en Europe notamment, et ceci avec l’aide de transfuges sahraouis. Nous avons peine à considérer dans ces conditions que le Maroc soit sincère lorsqu’il dit être respectueux du plan de paix. Les campagnes menées par la presse marocaine peuvent également nous faire douter de la bonne foi marocaine. Ce que nous regrettons infiniment. Prenons quelques perles qui montrent comment est traitée l’ONU.
” Dans sa conférence de presse (à New-York le 4 février 1998), Monsieur Dunbar, (nouveau Représentant spécial des Nations-Unies pour le Sahara occcidental) a étalé tout simplement la version séparatiste de la question, qui constitue déjà un a priori inacceptable (Libération, journal de l’USFP du 9 février). “La patience a des limites: la collusion entre certains membres de la MINURSO et le POLISARIO est devenue flagrante (El Bayane du 14 février 1998). Quelques jours plus tard dans Maroc-Hebdo on pouvait relever des titres d’articles consacrés au référendum. Ceux-ci sont évocateurs: ” Le référendum n’aura pas lieu ” – ” La MINURSO déshonore sa mission “, ” Le POLISARIO est une cause fabriquée “, etc. Le nouveau premier ministre marocain lui-même a affirmé dans un interview à un quotidien russe que ” le résultat du référendum ne remettra pas en cause la souveraineté et l’unité territoriale marocaine. Le Sahara fait partie intégrante du Maroc “. La lettre du Secrétaire général de l’ONU au Président du Conseil de sécurité de février 1998 note une nette augmentation du climat anti-Polisario et parfois anti MINURSO dans la presse marocaine. Ce qui ressort de la presse marocaine aujourd’hui, c’est manifestement la surprise certaine de voir enfin les institutions onusiennes rester fermes sur le déroulement du processus de paix alors que jusque là la fermeté n’avait pas été leur vertu première. Dans cette honorable assemblée chacun en est convaincu, nous en sommes certains.
Nous avons de la peine à réprimer notre doute, vu ce que nous avons rapporté plus haut, que le Maroc est aujourd’hui déterminé à ce que le référendum ait lieu démocratiquement: le territoire qu’il occupe est toujours difficile d’accès. Il faut obtenir l’autorisation de la puissance occupante pour s’y rendre et la liberté de circulation n’est pas du tout garantie. Pour toutes ces raisons, nous aimerions, pour terminer, nous faire l’écho de toutes les prises de position (Union européenne; de nombreux pays, des ONG) conjurant l’ONU de poursuivre le processus du plan de paix, dans le timing imparti, pour aboutir à un référendum dont le résultat ne pourra être contesté. Ces demandes indiquent fréquemment que pour que ce référendum puisse se dérouler démocratiquement, des observateurs indépendants devraient pouvoir se rendre sur place, maintenant déjà, et assister au processus d’identification, puis à toutes les autres phases du plan de paix jusqu’au référendum. Nous pensons qu’il s’agit là d’une exigence légitime et nous espérons que l’ONU va pouvoir honorer cette demande.
Monsieur le Président, nous vous prions enfin d’intervenir au nom de la Commission des droits de l’homme auprès du Secrétaire général et de son Représentant spécial pour qu’ils poursuivent, avec fermeté et en étant fidèles à la lettre et à l’esprit du plan de paix, leur mission au Sahara occidental. Ce n’est qu’ainsi que les droits de l’homme et les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes pourront être respectés et que les peuples sahraoui et marocain pourront ouvrir une nouvelle page de leur histoire.
Monsieur le Président, je vous remercie.