Intervention au point 6c) : questions spécifiques se rapportant aux droits de l'homme, nouvelles priorités, en particulier le terrorisme. Déclaration écrite conjointe du CETIM et de l'AAJ.
E/CN.4/Sub.2/2003/NGO/34I. Après les attentats du 11 septembre 2001, le gouvernement des Etats-Unis, s’appuyant largement sur les médias et sur sa puissance militaire et économique, a su tourner rapidement cette situation à son avantage avec des arguments manichéens du style « ceux qui ne collaborent pas avec nous sont du côté des terroristes » – ce qui ne l’empêche pas de nier l’information requise par les juges et les autorités d’autres pays qui sont en train d’enquêter sur des activités terroristes1.
II. L’APRÈS 11 SEPTEMBRE : OFFENSIVE GÉNÉRALISÉE CONTRE LES DROITS ET LIBERTÉS ET ACCÉLÉRATION DE LA MILITARISATION DE LA PLANÈTE
Si avant le 11 septembre, la présence dominante des Etats-Unis dans le monde était déjà évidente, avec ses bases militaires, espions, instructeurs militaires, brigades pour combattre le trafic de drogue, ainsi qu’avec leurs interventions ouvertes dans la politique intérieure d’autres Etats, après le 11 septembre, cette présence a augmenté de façon considérable.
En effet, la mise en place de nouvelles mesures répressives dans plusieurs États leur ouvre la porte pour intervenir directement dans ces pays au nom de la « collaboration dans la lutte contre le terrorisme ». C’est ainsi que sous prétexte de la lutte contre le terrorisme des troupes américaines se déploient un peu partout dans le monde.
Après le 11 septembre, au nom de la lutte contre le terrorisme, s’est accéléré la régression des garanties pour l’exercice et la jouissance des droits et libertés dans la plupart des législations nationales et au niveau régional et international.
On nous explique que pour combattre efficacement le terrorisme et mieux défendre ainsi les droits humains fondamentaux, il est nécessaire de faire quelques entorses – temporaires affirme-t-on – au système des droits et garanties de la personne.
III. IMPUNITÉ DU TERRORISME D’ÉTAT
Puisqu’il s’agit de défendre les droits humains fondamentaux, pourquoi ne pas combattre toutes les formes du terrorisme, y compris le terrorisme d’Etat? Tout le terrorisme d’Etat et pas seulement celui attribué par les Etats-Unis à certains Etats.
Force est de constater que le terrorisme d’Etat existe bel et bien (de même que le terrorisme non étatique ou de groupes) que ce soit comme terrorisme national d’État ou de gouvernement, ou sous la forme de terrorisme international d’État.
La finalité du terrorisme national d’État qui se pratique à l’intérieur du pays même est de paralyser ou de détruire l’opposition politique ou idéologique et, si elle existe, d’annihiler l’opposition armée et l’éventuel soutien de la population à celle-ci.
Les peuples d’Amérique Latine et des Caraïbes ont fait l’expérience douloureuse de décennies de terrorisme d’État ou de gouvernement, avec pour conséquence des centaines de milliers de personnes assassinées, disparues et torturées. Ces crimes ont été commis pour la plupart par les 60000 militaires formés pour ces besognes à l’École des Amériques des Etats-Unis2 et avec la participation de l’Agence Centrale d’Intelligence (CIA).
Cette collaboration des Etats-Unis avec le terrorisme de gouvernement des dictatures latino-américaines ou d’autres régions est une forme de terrorisme international d’État.
Il y a d’autres formes de terrorisme international d’État, par exemple l’envoi d’agents dans d’autres pays pour commettre des attentats meurtriers, le soutien logistique à des actions terroristes dans d’autres pays et l’assassinat de personnalités étrangères3.
En situations de guerre, une forme de terrorisme internationale d’État ce sont les bombardements aériens terroristes destinés à saper la morale de l’ennemi et, surtout, de la population civile. Cette forme de terrorisme international d’État n’est pas récente : les bombardements terroristes de la population civile ont été employés déjà au 19ème siècle sous la forme de bombardements navals4. Au 20ème siècle, avec l’aviation, le phénomène a pris de l’ampleur et est devenu d’une cruauté sans précédents. L’Italie l’a utilisée en Ethiopie en 1935-36, le Japon en Chine en 1937-39, l’Allemagne et l’Italie pendant la guerre civile espagnole (Madrid 1936, Guernica 1937), l’Allemagne nazie et les alliés pendant la Deuxième Guerre Mondiale (Varsovie, Rotterdam, Londres, Dresde, Hiroshima, Nagasaki, etc.)5.
Cette forme de terrorisme international d’État fait partie actuellement de la doctrine militaire des Etats-Unis, qui l’a employée largement au Vietnam, au Panama, en Irak, en Yougoslavie et Afghanistan et à nouveau en Irak, en utilisant des armes interdites comme le napalm, la substance orange, les « cluster bombs », les bombes « faucheuses de marguerites », les bombes thermobaric, etc.
On peut donc dire que l’État emploie le terrorisme sous différentes formes, parfois de façon systématique et à grande échelle, alors que le terrorisme de groupes non étatiques est sporadique, pratiqué avec des moyens artisanaux et n’est généralement qu’en réaction au terrorisme d’État.
Parfois le terrorisme de groupes devient l’instrument (volontaire ou involontaire) du terrorisme d’État. Cela concerne autant le terrorisme « noir » que le « rouge », comme cela a été le cas en Italie, et on a pu constater à plusieurs reprises l’intervention des services de renseignement de l’État (la CIA américaine, le SISMI italien, par exemple) dans de telles activités6. Les rapports qu’existaient entre Al Qaeda et les services secrets des Etats Unis sont de notoriété publique et on ne sait pas quand ces rapports ont cessé, si tel est le cas.
Au début des années 90 la Commission de Droit International des Nations Unies, dans son projet de Code de crimes contre l’humanité a essayé d’inclure le crime de terrorisme international de l’État et des particuliers et même a approuvé en première lecture un article avec l’incrimination du terrorisme international d’État. Mais finalement il n’y a pas eu d’accord au sein de la Commission et le texte a disparu du projet7.
Par contre, aucune des Conventions internationales sur le terrorisme, d’avant le 11 septembre et aucune des normes internationales, régionales et nationales adoptées après le 11 septembre, traitent du terrorisme d’État.
Le terrorisme d’Etat ne figure pas non plus dans aucune des Conventions internationales sur le terrorisme d’avant le 11 septembre et de même que dans aucune des normes internationales, régionales et nationales adoptées après le 11 septembre.
IV. TENTATIVES DE DÉFINITION JURIDIQUE DU TERRORISME
Jusqu’à maintenant, toutes les tentatives de définition du terrorisme ont échoué, en raison, entre autres, des différentes approches, en particulier politiques, qui existent sur la question. Le Groupe de travail de la 6ème Commission et le Comité spécial de l’Assemblée Générale de l’ONU chargée d’élaborer un projet de convention générale sur le terrorisme ne sont d’ailleurs pas parvenus à progresser vers une définition juridique du terrorisme dans leurs réunions d’octobre 2001 et février 2002.
En décembre 1987, l’Assemblée Générale de l’ONU a approuvé la Résolution 42/159 : “Mesures pour prévenir le terrorisme international – qui met en danger des vies humaines innocentes ou provoque leur perte, et compromet les libertés fondamentales – et étude des causes sous-jacentes des formes de terrorisme et des actes de violence qui ont leur origine dans les afflictions, la frustration, les offenses et le désespoir et qui mènent certaines personnes à sacrifier des vies humaines, même la leur, avec l’intention de produire des changements radicaux”…
Ce texte semble plus une explication sociologique du terrorisme non étatique qu’un essai de définition juridique.
Un point très important est évoqué dans cette résolution de l’Assemblée Générale, dans le paragraphe 14 : on y fait une claire différentiation entre le terrorisme, d’une part, et la lutte pour la libération nationale, la liberté et l’indépendance des peuples soumis à des régimes racistes, à l’occupation étrangère ou à d’autres formes de domination coloniale, d’autre part. On y souligne également que le droit des peuples à chercher et à recevoir de l’aide.
D’ailleurs, les guerres de libération nationale figurent dans l’article 1, paragraphe 4 du Protocole I additionnel aux Conventions de Genève. Bien entendu, ces mouvements doivent respecter le droit international humanitaire.
D’une façon plus générale, il est nécessaire de ne pas confondre le terrorisme avec le « suprême recours à la révolte contre la tyrannie et l’oppression », comme le précise le troisième paragraphe du Préambule de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
En l’absence d’une définition générale du terrorisme en tant que délit, la communauté internationale à choisi l’approche sectorielle, en définissant comme terroristes des actes particuliers, dans toute une série de conventions internationales, mais omettant, comme on a déjà signalé, le terrorisme d’État.
Pour les spécialistes en droit pénal international, un point demeure parfaitement clair : « Sans définition précise du terrorisme, il est impossible d’établir l’infraction terroriste8. » La raison en est évidente: sans une définition précise du terrorisme la porte reste ouverte pour qualifier comme terroristes des activités que ne le sont pas. Et c’est cela qui est en train de se produire un peu partout dans le monde.
Le rôle du Conseil de Sécurité dans ce domaine a été analysé dans le document E/CN.4/2003/NGO/195 de l’AAJ et du CETIM ainsi que les décisions de l’Union européenne, les législations antiterroristes de certains pays dans le document E/CN.4/2003/NGO/177 et la Convention contre le terrorisme de l’Organisation des Etats Américains dans le document E/CN.4/2003/NGO/194.
Le Conseil de l’Europe a établi des listes de personnes et d’organisations qualifiées de terroristes, listes soumises à des révisions périodiques qui peuvent s’établir sans contrôle judiciaire (paragraphe 4 « in fine » de l’article 1er de la Position commune 931 du 27/12/01).
En juin 2003, le parti politique basque espagnol Herri Batasuna, déjà déclaré illégal en Espagne dans des conditions douteuses du point de vue constitutionnel, a été déclaré organisation terroriste par l’Union européenne. La qualification comme terroriste d’un parti politique parlementaire dans tout le territoire européen sans les garanties d’une procédure judiciaire régulière, même si on la justifie par ses liens présumés avec une organisation terroriste et si elle fait écho à la qualification comme terroriste de ce même parti par le Gouvernement des Etats-Unis, constitue un précédant très dangereux pour l’avenir de la démocratie en Europe.
V. CONCLUSION
Aux Nations Unies la Commission des droits de l’homme, la Sous-commission, quelques rapporteurs et le Haut-Commissaire aux droits de l’homme ont signalé qu’il ne fallait pas mener la lutte contre le terrorisme aux dépens des droits humains9.
Nous pouvons résumer en trois caractéristiques ce que nous venons de constater :
1) le flou entretenu sur la définition du terrorisme et des organisations terroristes permet d’élargir par analogie la qualification de terroristes à des personnes et organisations qui sont contre l’ordre établi mais qui ne sont pas terroristes;
2) sous prétexte d’efficacité dans la lutte contra le terrorisme on a supprimé des garanties pour les droits humains, ce que la Directrice européenne du 15 juillet 2002 appelle avec beaucoup d’élégance “certaines restrictions aux droits de la défense”; et
3) on a oublié le terrorisme d’État, sauf en ce qui concerne le renforcement de son impunité, avec les accords bilatéraux signés entre les Etats-Unis et plusieurs pays et l’ukase du Conseil de Sécurité du 12 juillet 2002 adressé à la Cour Pénale Internationale et renouvelé en juin 2003.
1) Le cas extrême est celui des cinq Cubains condamnés à de longues peines de prison pour espionnage aux Etats-Unis. Ces cinq Cubains s’étaient infiltrés dans des groupes de Cubains de Miami qui organisaient et menaient des attentats terroristes en territoire cubain depuis longtemps (bombes contre des hôtels fréquentés par des touristes, etc.). Le but des infiltrés était de détecter et de prévoir à temps les attentats terroristes afin de les déjouer. C’était l’application de la doctrine Bush : « légitime défense préventive », moins de guerres d’agression et des violations systématiques du droit international humanitaire. Le gouvernement états-unien aurait dû collaborer avec eux, mais en échange les cinq Cubains ont été condamnés à de longues peines de prison pour espionnage. C’est-à-dire que le gouvernement des Etats-Unis et le Tribunal qui a jugé les cinq ont identifié la tentative d’éviter des actes terroristes à Cuba comme un acte qui porte atteinte aux intérêts et à la sécurité nationale des Etats-Unis.
2) L'École des Amériques fut installée en 1946 dans le « Canal Zone », Panama. En 1984, elle fut transferée à Fort Benning (Georgia). Contestée même aux Etats Unis, elle fut fermée en 2000, pour être rouverte tout de suite sous un nouveau nom : Institut de défense pour la coopération de la sécurité de l'hemisphère. La déclassification de documents confidentiels ont permis de connaître les « manuels » de l'école pour l'apprentissage de méthodes telles que l'assassinat, la disparition, la torture et la persécution des proches de la "cible" principale. Entre ses élèves on remarque quelques noms tristement connus, tels que ceux des généraux ayant fait des coups d’Etat : Viola, Videla et Galtieri (Argentine), les dictateurs, Pinochet (Chili), Somoza (Nicaragua), Manuel Noriega (Panama), Stroessner (Paraguay), Hugo Banzer (Bolivie), Juan Melgar Castro et Policarpio Paz García (Honduras), Carlos Humberto Romero (El Salvador)…
3) Voir Congrès Américain, Commission Church, "Alleged Assassination Plots Involving Foreing Leaders, An Interim Report", U.S. Government Printing Office, November 18 1975. Voir aussi "The CIA's Nicaragua Manual, Psychological Operations in Guerrilla Warfare", Vintage Books, Random House, New York, 1985.
4) Pour exiger le paiement immédiat de 161 millions de bolívar - pour une dette que le gouvernement vénézuélien estimait à 19 millions- douze bâtiments de guerre d'Allemagne, d'Italie et de Grande-Bretagne bloquèrent en décembre 1902 les côtes vénézuéliennes et bombardèrent les ports.
5) Michel Veuthey, Guérilla et droit humanitaire, Collection scientifique de l'Institut Henry-Dunant, Genève, 1976, p. 96 y ss.
6) En Italie, les enquêtes de la Justice ont prouvé la participation des agents de la CIA à des attentats terroristes comme celui de Piazza Fontana, commis par des groupes d’extrême droite. Le 11/12/99 le juge Salvini, instructeur de l’affaire de Piazza Fontana, déclara dans une interview : « Je peux hasarder une hypothèse à propos de cette rencontre. Le Sénateur Gualtieri, comme beaucoup de son aile politique, a eu une attitude rigidement anti-américaine, jusqu’au moment où il n’avait pas retrouvé un rôle au gouvernement. Dès lors, personnellement, j’ai eu l’impression que, chaque fois qu’on parlait du rôle des Services états-uniens, les cheveux se dressaient sur sa tête… La rencontre concernait les composantes de la CIA impliquées dans l’organisation des attentats. Oui, mais on se comprenait très bien, sur ce point. C’était clair que les actes se référaient au CIC, la composante de la CIA liée au domaine militaire. On parle de la « Santabarbara » de ON, une grande ferme dans la campagne vénitienne, où …un infiltré des services américains, expert en explosifs, apprenait à monter des bombes sur une table. Une table pleine d’engins. On rentrait sans rien et on ressortait avec une bombe. Celui qui dirigeait le trafic c’était un agent des services américains » (www.clarence.com/contents/societa/ speciali/010702piazzafontana)
Les services de renseignement italiens (dont les liens avec la CIA sont connus) ont fait de leur mieux pour empêcher qu'on ne retrouve Aldo Moro vivant, après son enlèvement. Il fut ensuite assassiné par les Brigades Rouges. Aldo Moro, partisan du "compromis historique" avec le Parti communiste italien, gênait la classe politique italienne (qui l'abandonna à son sort) et inquiétait les Etats-Unis (Voir: Commission d'enquête parlementaire sur le terrorisme en Italie, 58ème session, 24/11/99, déclaration du sénateur Ferdinando Imposimato, ancien juge d'instruction de l'affaire Moro. Resoconto sommario della seduta n. 58 della commissione missione ...AUDIZIONE DEL SENATORE FERDINANDO IMPOSIMATO SUGLI SVILUPPI DEL CASO MORO (Viene introdotto il senatore Ferdinando Imposimato). ...notes3.senato.it/ODG_PUBL.NSF/ d2ae40b5070928254125684000390836/ d95cdd3e6c9d51efc125695a0031a060?OpenDocument - 4k -) . Voir aussi: Arthur E. Rowse, "Gladio: The Secret U.S. War to Subvert Italian Democracy," _Covert Action Quarterly_, Washington, D.C.,Number 49, Summer 1994 and, Anti-Fascist Action (AFA), "StayingBehind: NATO's Terror Network," _Fighting Talk_, London, Issue 11, May 1995.
7) Rapport de la Commission de Droit International (1995), Assemblée Générale, Supplément Nº 10 (A/50/10), par. 105 et ss.
8) Catherine Bourgues Habif, Le terrorisme international en : Droit International Pénal, sous la direction de H. Ascensio, E. Décaux et Alain Pellet, Edit. Pedone, Paris 2000, p. 459.
9) Voir les quatre rapports suivants : celui de Mme Hina Jilani, Représentante spéciale du Secrétaire général sur la question des défenseurs des droits de l'homme (E/CN.4/2002/106, par. 95 à 107) ; celui de M. Param Cumaraswamy, rapporteur spécial sur l'indépendance des magistrats et des avocats, (E/CN.4/2002/72, par. 28 et 38) et, par rapport à la législation approuvée récemment aux USA, le par. 208 ; celui de Mme Leila Zerrougui sur la discrimination dans le système de justice pénale, par. 15 à 24 (E/CN.4/Sub.2/2002/5 du 23 mai 2002) ; et, particulièrement, celui de Mme Kalliopi Koufa sur le terrorisme et les droits de l'homme (E/CN.4/Sub.2/2002/35 de 17 juillet 2002).