Droits de l’homme en Turquie

11/11/1998

[Dans le cadre de sa séance du 21 mai 2012, le Comité de l’ECOSOC sur les ONG a pris acte du fait que la période de suspension de deux ans du statut consultatif du CETIM prendrait fin en juillet 2012. Lors de cette même séance, la Turquie (qui avait sollicité que cette sanction soit prononcée contre le CETIM) a déclaré qu’elle ne s’opposerait pas à la restitution au CETIM de son statut, tout en relevant le fait que le site internet du CETIM continuait à inclure les déclarations ou interventions litigieuses, qui selon la Turquie « violent la terminologie de l’ONU ». La Turquie a donc exigé que le CETIM prenne immédiatement les mesures nécessaires pour adapter le contenu de son site internet à la terminologie des Nations Unies. La Turquie a enfin annoncé qu’elle allait « suivre attentivement les activités du CETIM » et qu’elle se réservait le droit de solliciter à nouveau le retrait ou la suspension de son statut en cas de « nouvelles violations de la résolution 1996/31 ».

Au vu de ce qui précède, le CETIM tient à apporter expressément la précision suivante :
Dans toutes les déclarations ou interventions émanant ou souscrites par le CETIM portant sur les violations des droits humains dans ce pays, les termes :
1) « Kurdistan » ou « Kurdistan turc » (entité juridique reconnue en Irak et en Iran mais pas en Turquie) devront se lire « provinces kurdes de Turquie » ou « provinces du sud-est de la Turquie » et « Diyarbakir » devra se lire « chef-lieu » de ces provinces ;
2) « Guérilla kurde/Guérilleros » ou « Combattants kurdes » devront se lire « Forces armées non étatiques » ou « Groupes armés illégaux » (termes utilisés dans les documents et instruments internationaux).

Pour de plus amples informations, prière de se référer au dossier de défense du CETIM concernant la plainte de la Turquie à son encontre auprès du Comité des ONG de l’ONU en mai 2010.]

Monsieur le Président,

La situation des droits de l’homme en Turquie ne cesse de se détériorer ces dernières années et nous l”avons dénoncée à maintes reprises. Le drame est que le rythme des violations augmente avec le temps: exécutions extrajudiciaires et arbitraires, disparitions forcées et involontaires, pratique systématique de la torture, arrestations arbitraires… Il faut ajouter à cela le déplacement forcé de quelques quatre millions de paysans kurdes dans leur propre pays avec toutes ses conséquences économiques, sociales et culturelles. Par ailleurs, le gouvernement turc a récemment élaboré un projet de loi pour la modification du code pénal turc actuel. Selon nos informations, ce projet vise d’une part, à museler davantage les médias et les ONG, et d’autres part, à renforcer l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme. Un commentaire sur ledit projet se trouve en annexe de notre intervention.

Monsieur le Président,

Un rapport récent, établi sur la demande du Premier ministre turc Mesut Yilmaz sur le scandale dit “Susurluk”1, a confirmé le lien entre la mafia, l’extrême droite, les forces de sécurité et les milices gouvernementales. Selon ce rapport (cf. entre autres Hürriyet du 13 janvier 1998), des criminels recherchés sont utilisés pour des “missions spéciales” par le service de renseignements turc (MIT) et la direction de sûreté. Les “missions spéciales” se traduisent par l’enlèvement et l’assassinat de militants des droits de l’homme, d’avocats, de journalistes, d’opposants politiques, de militants de la cause kurde, pour ne mentionner que ceux-ci. Malgré ces révélations, désormais “officielles”, aucun responsable de ces actes n’a été arrêté.

Monsieur le Président,

Il semble que le gouvernement turc est incapable de prendre des mesures efficaces pour mettre fin aux violations abominables des droits de l’homme, connues de tous. Par contre, l’attitude incohérente et irresponsable des gouvernements des pays membres de l’Union Européenne vis-à-vis de ce pays ne peut que réconforter le gouvernement turc.

En effet, d’une part, les gouvernements des pays membres de l’Union Européenne ont refusé l’adhésion de la Turquie lors de leur sommet sur l’élargissement de l’UE à Luxembourg le 13 décembre 1997, évoquant notamment les violations persistantes des droits de l’homme, la non volonté des autorités turques de trouver une solution négociée à la question chypriote et une solution politique à la question kurde. C’est une initiative qu’on a saluée. Cependant, d’autre part, quelques semaines plus tard, ce sont ces mêmes pays qui ont fait preuve de double standard face à l’afflux des réfugiés kurdes en Italie (durant la période de Noël 1997). Au début, les autorités italiennes avaient annoncé l’accord du droit d’asile aux réfugiés kurdes alors que les autorités allemandes ont appelé le gouvernement turc à trouver une solution politique à la question kurde. Mais, finalement les autorités des pays de l’UE, faisant partie de l’espace Schengen, n’ont pas trouvé mieux que de convoquer leurs chefs de police et celui de la police turque, pour prendre des “mesures sécuritaires” à l’égard des Kurdes. Par ailleurs, les autorités d’Allemagne fédérale ont interdit l’été dernier le passage sur leur territoire d’un train baptisé “Train Européen pour la Paix”. Ce train, transportant plusieurs centaines de citoyens européens, devait relier Bruxelles à Diyarbakir (entre 26 août et 1er septembre 1997), capitale du Kurdistan turc, pour apporter un message de paix et de solidarité de la société civile européenne aux peuples turc et kurde. En outre, ce sont des pays membres de l’UE qui se refusent depuis des années de prendre l’initiative de l’adoption d’une résolution par votre commission, et ce, malgré une résolution adoptée récemment dans ce sens par le Parlement européen le 14 janvier 1998. Peut-on en déduire que les violations des droits de l’homme en Turquie sont moins graves que celles commises en Haïti ou à Cuba ?

A l’instar de cet exemple, il est flagrant de constater qu’une fois de plus les pays occidentaux adoptent des positions contradictoires de politiques extérieures selon les différentes instances régionales et internationales, et ce, suivant leurs “intérêts supérieurs”. Dès lors tout leur discours sur le respect des droits de l’homme devient dérisoire. Compte tenu que les intérêts sont dictés par les nouveaux maîtres du monde, émanant des milieux économiques et financiers, les politiques nationales y sont trop souvent soumises. C’est pourquoi il est temps que l’ONU, en tant qu’organisation des peuples des Nations unies, retrouve la place qui lui revient dans les relations internationales, en particulier pour faire respecter tous les droits de l’homme pour tous.

Monsieur le Président,

Le CETIM souhaite par ailleurs dénoncer la demande d’extradition engagée par le Chili à l’encontre de Patricio Ortiz, détenu depuis septembre dernier en Suisse. Suite à son évasion des prisons chiliennes, Patrizio Ortiz a déposé une demande d’asile en Suisse en juillet 1997 pour avoir été sauvagement torturé et arbitrairement incarcéré au Chili. Opposant à la dictature du Général Pinochet, Patrizio Ortiz s’est vu condamné sans preuve par un tribunal militaire quand un tribunal civil l’avait acquitté dans la même affaire. La situation qui prévaut au Chili en matière des droits de l’homme nous préoccupe vivement : la torture est encore une pratique courante, les détentions de prisonniers politiques nombreuses et les garanties liées à toute entraide judiciaire2 ne sont en l’état pas réunies par le régime chilien. C’est pourquoi, le CETIM demande à la Commission des droits de l’homme d’intervenir auprès des autorités suisses afin qu’elles ne donnent pas suite à la demande d’extradition du Chili, pays avec lequel la Suisse n’a d’ailleurs conclu aucun accord en la matière, et d’exiger la libération immédiate de Patrizio Ortiz.

Merci de votre attention.

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Commentaires extraits d’une analyse sur le projet de loi pour la modification du code pénal turc, effectués par Maître Ercan Kanar, Président de la section d’Istanbul de l’Association des droits de l’homme de Turquie (IHD).

Dans le nouveau code pénal, le principe de l’établissement du délit par la loi (nulla pene sin lege) est bafoué. Les délits politiques y sont formulés d’une manière floue, en laissant ainsi toute ambiguïté quant à leurs interprétations. On peut légitimement penser que le but recherché est de protéger le régime. De nouveaux concepts, laissant libre cours à l’arbitraire des magistrats, sont introduits comme par exemple : “le risque de commettre un délit”, “le risque de mette en péril l’ordre établi”, “l’affaiblissement de l’indépendance de l’Etat”, “les agissements contre les intérêts nationaux”, etc. Par ailleurs, la définition du terme “délits contre des forces étatiques”, mentionné dans plusieurs articles, est très floue.

En général, les articles réprimant la liberté d’opinion et d’expression ainsi que la liberté confessionnelle sont maintenus dans le nouveau code pénal. Le cadre de certains articles a été toutefois révisé en apportant plus de restrictions à ces dites libertés. Par exemple, des écrits traitant des problèmes socio-économiques pourraient être punissables sous le chapitre “propagation intentionnelle de fausses informations “. De même, le lancement de campagnes en faveur des prisonniers d’opinion ou la prise de position en leur faveur pourraient être répréhensibles.

1) Selon l’article 363, la proposition par exemple de l’abrogation des articles “immuables” de la constitution par la voie pacifique pourrait être passible de perpétuité3.

2) L’alinéa 1er de l’article 356 prévoit la condamnation de ceux qui s’adonnent à « l’affaiblissement de l’indépendance de l’Etat ». Selon cet article, défendre la primauté du droit international sur la législation nationale pourrait constituer un délit.

3) L’article 359 punit “toute action contre les intérêts nationaux”. Cette conception ouvre la porte à l’arbitraire le plus total : quelles actions seront considérées comme telles ? Qui décidera ce qui est “contre les intérêts nationaux ?”; comment et selon quels critères ?

4) L’article 382 prévoit en temps de guerre la répression pour toute diffusion de “fausses informations” considérées comme “exagérées, intentionnelles”, pouvant “perturber le moral de la population”, prêter à l'”inquiétude” ou susciter “l’enthousiasme” ; etc.

5) Les articles 386, 388, 394, 396, 398 répriment toute divulgation de “secrets d’Etat”, comme par exemple la procuration ou la divulgation d’informations qui “doivent rester confidentielles pour des intérêts politiques”. Le concept “d”intérêts politiques” est-il défini ? Il est évident qu’ils peuvent changer selon la période et la conception des magistrats. Ces derniers deviennent donc prisonniers des décisions du cabinet ministériel.

6) L’article 451 réprime la divulgation de toute information par les médias sur les délits commis (par des anciens fonctionnaires) sous prétexte de protéger l’Etat.

7) L’alinéa 2 de l’article 442 stipule que les fonctionnaires de l’Etat en service “ne sont pas obligés” de témoigner sur des délits dont ils ont connaissance. Le législateur veut ainsi protéger des opérations extrajudiciaires et instaurer l”impunité sur des actes illégaux.

8) L’article 454 vise à interdire l’expression de toute opinion sur l’indépendance judiciaire

9) La modification de l’ancien article 312 introduit la notion du “risque de mettre en péril l’ordre établi”. Quels sont les critères de ces risques ? Quel est « l’ordre établi » ? La liberté d’expression et d’opinion est également visée.

Un point positif peut être évoqué dans le cadre du projet de modification du code pénal : la suppression de la peine de mort. Le projet de loi prévoit 30 ans de prison effective pour les prisonniers condamnés à perpétuité. Cependant, ils doivent purger leur peine en partie en isolement et sous un régime de haute surveillance

Si cette modification du code pénal devient effective, l’arbitraire et l”impunité seront renforcés en Turquie.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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