Question de la mise en oeuvre du droit au développement

11/11/2004

Monsieur le Président,

Il est heureux de constater que l’on ne polémique plus sur le fait que le droit au développement est un droit de l’homme, ni sur son contenu. En effet, toute la question est de savoir comment mettre en œuvre ce droit, ce qui est d’ailleurs le mandat de ce Groupe. Nous ne pouvons qu’encourager le Groupe de travail dans cette voie.

Ceci étant dit, il ne suffit pas de reconnaître et/ou affirmer certains principes et droits, mais il faut les appliquer. A nos yeux, le principal obstacle pour la mise en œuvre du droit au développement réside dans le système économique international injuste qui empêche les peuples de décider de leurs politiques de développement. Pourtant, la Déclaration sur le droit au développement prévoyait déjà il y a dix sept ans l’instauration d’« un ordre économique international, fondé sur l’égalité souveraine, l’interdépendance, l’intérêt commun et la coopération entre tous les Etats et [visant] à encourager le respect et la jouissance des droits de l’homme » (art. 3). Il est grand temps de prendre des mesures concrètes si l’on veut éviter que les inégalités sociales criantes débouchent sur toutes sortes de conflits.

Parmi ces mesures, il faut tout d’abord démocratiser le FMI, la Banque mondiale et l’OMC. Ces trois institutions dominent actuellement l’économie mondiale et n’ont fait qu’aggraver la situation économique et sociale dans le monde. Bien qu’elles soient publiques, ces institutions privilégient les intérêts privés, faisant fi des principes démocratiques et de bonne gouvernance qu’elles exigent des Etats. Il n’est un secret pour personne qu’au FMI et à la Banque mondiale, le vote est fonction du capital apporté par l’Etat membre1 et que la transparence n’existe pas dans ces institutions, ni à l’OMC. Il n’est pas tolérable que ces institutions échappent au contrôle démocratique.

La deuxième mesure à prendre serait de rompre avec les préceptes du « Consensus de Washington » qui véhicule le mythe selon lequel la croissance économique égale prospérité, égale meilleur respect des droits de l’homme. Il faut se rendre à l’évidence : il est établi aujourd’hui que cette croissance ne profite qu’aux intérêts privés, détenus par une infime minorité dans le monde, et qu’elle est source de violations graves des droits de l’homme. Les réflexions sur le développement aujourd’hui remettent en cause le fonctionnement de l’économie actuelle basée essentiellement sur le pétrole, ressource non renouvelable, néfaste pour l’environnement et la santé, sans parler des conflits armés qu’elle génère avec toutes ses conséquences. D’ailleurs, la croissance est-elle infinie ou illimitée ? Bien sûr que non, puisque, comme son nom indique, l’économie ne vise que le marché, c’est à dire le marché solvable. Tenant compte de la situation catastrophique dans le monde, nul besoin d’être prophète pour deviner que ce marché « solvable » se rétrécira de plus en plus. C’est peut-être ces réflexions qui ont poussé M. Joseph E. Stiglitz, ex-économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale, de passage à Genève la semaine dernière, à déclarer que « quand le capitalisme perd la tête, il n’est plus rentable»2.

La troisième mesure à prendre serait de rendre effective la coopération internationale. Celle-ci doit privilégier l’intérêt général et préserver les services publics. Cette coopération va bien au-delà du fameux 0,7 % du PIB, par ailleurs loin d’être atteint. Elle implique la coopération de tous aux objectifs de développement que se fixe chaque nation pour satisfaire les besoins fondamentaux de sa population. En outre, Selon le représentant de l’OMC qui est intervenu au séminaire la semaine dernière, cinquante milliards de dollars américains par an suffiraient pour la réalisation des Objectifs du millénaire. Lorsqu’on sait que les Etats-Unis à eux seuls dépensent actuellement quatre cents milliards de dollars par an dans les armements, l’effort à consentir pour l’aide au développement est minimal. Bien entendu, il faut que les gouvernements cessent de servir les intérêts privés en procédant à une sous-enchère fiscale et tolérant les paradis fiscaux qui permettent aux sociétés transnationales de s’exhonérer de l’impôt, privant ainsi l’Etat d’une manne importante.

La quatrième mesure consistera à retirer à l’OMC les négociations sur l’agriculture, car au-delà du choix de production et de développement dans l’agriculture, le fait de mettre les industriels en concurrence avec les petits paysans revient à condamner ceux-ci à la famine. En effet, il ne peut exister un « libre-échange » entre le pauvre et le riche, le puissant et le faible, les deux étant par définition inégaux, et ne disposant pas des mêmes moyens, ni des mêmes capacités. En retirant à l’OMC les négociations sur l’agriculture, on évitera une catastrophe humanitaire, à savoir l’ajout d’un milliard de paysans privés de ressources à un milliard d’affamés dans le monde.

La cinquième mesure à prendre est l’annulation de la dette extérieure des pays du Sud. C’est une question capitale, car la dette asphyxie l’économie de ces pays, les obligeant à consacrer presque toutes leurs ressources au service de la dette. Faut-il le rappeler, de nombreuses études indépendantes démontrent que la dette a été déjà remboursée plusieurs fois et que son maintien est un choix politique. En effet, elle est un levier politique pour asservir les peuples du Sud.

Monsieur le Président,
Lorsqu’on parle du droit au développement de l’être humain, nous l’entendons bien sûr dans toutes ses dimensions : physique, intellectuel, moral et culturel. Si nous avons abordé dans cette intervention surtout l’aspect économique, c’est parce qu’il influe sur tous les autres aspects.

Catégories Campagnes Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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