Quelles solutions pratiques à la dette du tiers-monde

11/11/1994

Monsieur le Pésident,

Comme le souligne avec force le PNUD dans son dernier Rapport mondial sur le développement humain:

“L’endettement est un frein puissant à la croissance économique et à l’investissement dans le développement humain des pays en développement. Pendant la seule année 1992, ces derniers ont dû assumer un service de la dette de 160 milliards de dollars, soit plus de deux fois et demie le montant de l’aide publique au développement, ou 60 milliards de plus que le flux des capitaux privés vers les pays en développement pendant la même période”. (p. 67).

Les programmes d’ajustement structurel (PAS) du FMI, dont la maîtrise de la dette est pourtant le motif déclaré, n’ont rencontré à cet égard qu’un échec aussi patent que significatif:

“La dette extérieure cumulée des pays en développement a été multipliée par quinze en deux décennies”, poursuit le même Rapport. “De 100 milliards de dollars en 1970, elle passait à environ 650 milliards en 1980 pour dépasser 1 500 milliards en 1992. A cause du service de la dette, les pays en développement payent aujourd’hui davantage qu’ils ne reçoivent.” (…)

“En dépit de nombreuses tentatives pour trouver une solution satisfaisante, la dette totale des pays en développement continue à croître.” (Ibidem, pp. 67-68).

Plus grave encore, comme de nombreuses ONG n’ont cessé de le dénoncer, les PAS ont imposé d’énormes souffrances, autant inhumaines que contre-productives, aux populations pauvres du Sud, et maintenant de l’Est.

Le “problème” de la dette est avant tout politique

Il y a quelques années, le problème de la dette du Tiers Monde faisait la Une des journaux: on craignait alors que l’un ou l’autre pays du Sud fortement endetté ne déclare banqueroute et que, tel un château de cartes, le système financier international ne s’effondre; les banquiers occidentaux imprudents tremblaient dans leur culotte et, faisant fi de leurs professions de foi néolibérale, appelaient les riches Etats du Nord et les institutions financières internationales à leur rescousse. Que diable, il fallait en toute hâte consolider leur bilan!

Le temps a passé et l’effet principal de la politique du FMI à cet endroit a été de “normaliser” la dette: bien que celle-ci ait plus que doublé depuis ce fiévreux branle-bas, les créanciers sont maintenant rassurés: les intérêts tombent; tout “baigne dans l’huile”, ou presque! Le mécanisme est rodé. Au plus grand ravissement des banques “le problème de la dette des pays pauvres n’est pas près d’être résolu”! (PNUD).

Tout porte à croire que la perpétuation de la dette du Tiers Monde résulte d’une volonté politique délibérée

Il est d’une part certain que des déséquilibres financiers internationaux continueront à s’accumuler aussi longtemps que les structures de l’économie mondiale seront placées sous le signe de l’échange inégal. Contrairement aux affirmations du PNUD, les thèses de Samir Amin et d’autres n’ont ici, quant au fond, rien perdu de leur actualité. De plus, les pressions économiques qui ont présidé à la genèse de la dette du Tiers Monde – surabondance de capitaux en quête de placement, création frénétique de débouchés industriels artificiels, etc. – ne sont pas près de se résorber.

Mais d’autre part, tout porte à penser que le maintien en l’état de la dette du Tiers Monde résulte d’une volonté politique délibérée: la dette a constitué un levier formidable pour mettre les pays du Sud à genou, tout en fournissant le plus souvent à leurs classes dirigeantes un cache-sexe bienvenu dans la mise en oeuvre de politiques antisociales. Le FMI a été l’instrument de ce bras de fer, frayant du même coup la voie aux accords du GATT/OMC (dont les conséquences seront assurément catastrophiques pour la grande majorité des populations pauvres du globe). Il s’agissait pour les transnationales de casser toutes velléités des nations du Sud d’affirmer leur souveraineté, de définir leur propre voie de développement. De simple organisme technique, le FMI s’est vu, grâce à la dette, promu aux avant-postes de la politique mondiale. En bref, non seulement d’un juteux rapport, la dette est avant tout, un fantastique instrument de pouvoir.

L’élimination de la dette actuelle du Tiers Monde ne poserait pas grand problème, tout au moins techniquement.

Lors d’une précédente intervention (45ème session de la Sous-commission), le CETIM faisait part de propositions réalistes élaborées par divers mouvements: tout d’abord, examiner la légitimité de chacune des créances composant la dette. Autrement dit envisager chacune d’entre elles sous l’angle de la co-responsabilité, du partage du risque, dans le langage des économistes. Partant de ce principe:

1) Procéder à des audits sur la légitimité ou la légalité des créances avancées, sur l’identité et les responsabilités des débiteurs et des créanciers et, accessoirement, sur l’origine des capitaux prêtés;

2) Sur la base des éléments réunis, constituer une commission juridictionnelle, internationale et indépendante, chargée d’évaluer: a) les parts de responsabilités pour les prêts accordés; b) l’origine des capitaux initialement prêtés, la direction prise par les capitaux disparus.

Subsidiairement:

3) Geler les avoirs à l’étranger des dirigeants des pays endettés. (A eux de faire valoir la légitimité de leur enrichissement);

4) Enquêter sur les libéralités et les cadeaux fiscaux qui ont permis aux banques occidentales de provisionner leurs pertes.

Resteraient alors les dettes reconnues comme légitimes. Rien ne nous permet de présupposer quel en serait le montant exact. Mais, même à retenir le chiffre actuel de 1 500 milliards de dollars, ce montant serait aisément et très rapidement remboursable. Il suffirait pour cela de reprendre la proposition avancée en 1978 déjà par le prix Nobel en économie Tobin – pour freiner l’explosion des flux financiers à caractère purement spéculatif – et judicieusement remise à l’ordre du jour par le PNUD (ibidem, p. 69): lever une taxe sur les transferts internationaux de capitaux.

“Les transactions quotidiennes sur les marchés des changes sont passées de 290 milliards de dollars en 1986 à plus de 700 milliards en 1990. En 1994, ces flux financiers incontrôlables atteindront 1 300 milliards de dollars par jour.” (Clairmont et Cavanagh, Le Monde Diplomatique, mars 1994).

Avec une taxe de 0,3%1 la dette, quelle que soit sa portion légitime, serait pratiquement remboursée en moins d’une année!

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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