Ne pas confondre le combat pour la démocratie et le respect des droits humains avec «le terrorisme»

11/11/2006

Combattre le terrorisme et respecter ou faire respecter les droits humains relèvent d’un même système de protection incombant à l’Etat.

Avec les événements tragiques du 11 septembre 2001 et l’adoption, par le Conseil de sécurité de l’ONU, de la résolution 1373/2001, la communauté internationale et plus particulièrement les pays démocratiques comme les instances internationales se sont trouvés face à un immense défi : combattre le fléau du terrorisme au niveau mondial tout en respectant les valeurs universelles des droits humains et en oeuvrant pour davantage promouvoir ces mêmes valeurs. Il s’agit, entre autres, de ne pas confondre « le terrorisme » avec le combat pour la démocratie et le respect de ces valeurs universelles dans lequel sont engagés des mouvements d’opposition aux régimes tyranniques.

Tenant compte de cette distinction, le Parlement européen avait même, peu avant la tragédie du 11 septembre, rappelé que « les actes terroristes au sein de l’Union Européenne doivent être considérés comme des actes criminels qui visent à modifier, dans des Etats de droit, des structures politiques, économiques, sociales et environnementales, en menaçant concrètement d’utiliser la violence ou en recourant à cette dernière, se distinguant par là d’actes de résistance dans des pays tiers contre des structures étatiques qui ont elles-mêmes recours à des méthodes terroristes»1.

Cette distinction a été répétée en d’autres occasions. « Il faut tout mettre en œuvre pour qu’il n’y ait jamais de confusion entre lutte contre le terrorisme et lutte contre certaines oppositions dérangeantes et ce danger existe réellement », avait, en novembre 2001, mis en garde Monsieur Louis Michel, ancien ministre belge des Affaires étrangères, avant d’avertir qu’il ne faut pas que « la lutte contre le terrorisme touche en rien au niveau d’exigence et de qualité démocratique de nos sociétés »2. En effet, combattre le terrorisme et respecter ou faire respecter les droits de l’Homme, relèvent tous d’un même système de protection incombant à l’Etat.

Il faut aussi rappeler que l’adoption de la décision-cadre n° 2002/475 du Conseil de l’Union européenne qui fixe le droit commun en matière de lutte contre le terrorisme, a été accompagnée par une déclaration jointe au procès verbal dans laquelle le Conseil de l’Union déclare que cette décision « concerne les actes qui sont considérés par tous les États membres de l’Union européenne comme des infractions graves à leur législation pénale, commises par des individus dont les objectifs constituent une menace pour leurs sociétés démocratiques respectueuses de l’État de droit et pour la civilisation sur laquelle ces sociétés sont fondées. C’est dans ce sens qu’elle doit être entendue et on ne saurait, sur son fondement, faire valoir que le comportement de ceux qui ont agi dans le but de préserver ou de rétablir ces valeurs démocratiques, comme cela a été notamment le cas dans certains États membres durant la deuxième guerre mondiale, pourrait être aujourd’hui considéré comme ressortissant à des actes ‘terroristes’. Elle ne peut pas non plus être prise comme fondement pour inculper de terrorisme des personnes exerçant leur droit fondamental d’exprimer leur opinion, même si elles commettent ce faisant des infractions »3.

Or, il convient aujourd’hui de s’interroger sérieusement sur les conséquences de certaines politiques adoptées au nom de la lutte cotre le terrorisme car, depuis l’adoption de la résolution 1373/2001, « certains organes régionaux et de nombreux Etats ont approuvé des mesures antiterroristes qui sont incompatibles avec les normes relatives aux droits de l’homme reconnues sur le plan international »4. Cette situation a même amené des rapporteurs spéciaux et des experts indépendants de l’ONU à adopter une déclaration conjointe à l’occasion de leur réunion annuelle à Genève en juin 2003, dans laquelle ils se sont dits « profondément préoccupés par la multiplication des politiques, législations et pratiques adoptées par de nombreux pays au nom de la lutte contre le terrorisme, qui portent atteinte à la jouissance de la quasi-totalité des droits de l’homme »5.

Parmi ces mesures, il faut notamment souligner celles qui visent à introduire des mouvements d’opposition aux régimes particulièrement répressifs, sur des « listes de terroristes » et qui posent ainsi de graves problèmes tant du point de vue juridique qu’au regard des droits fondamentaux reconnus au niveau universel, y compris par la Convention européenne des droits de l’homme.

L’exemple de formations d’opposition iraniennes

C’est le cas, par exemple, de certaines formations d’opposition iraniennes inscrites sur des listes de « personnes, groupes et entités » qualifiés de « terroristes » comme celles établies par le Conseil de l’Union Européenne sous forme de « position commune » ou de « décision commune ». Une démarche qui, à travers le monde, a provoqué de vives réactions au sein de l’opinion publique comme parmi les juristes, les parlementaires et les membres des sociétés civiles6.
Cette situation devient encore plus préoccupante lorsqu’une telle mesure s’inscrit dans le cadre des considérations politiques et commerciales ou relatives aux efforts entrepris pour persuader la République Islamique d’Iran de suspendre ses activités nucléaires. En effet, selon une dépêche de l’Agence France Presse datée du 21 octobre 2004 rapportant un accord conclu entre les négociateurs européens et le gouvernement iranien, « si l’Iran obtempère (en matière nucléaire) […], nous (les pays membres de l’Union européenne) continuerons à considérer les Moudjahiddines du Peuple d’Iran comme une organisation terroriste »7!

Il s’agit donc d’un détournement flagrant de la procédure de la « liste » dans la mesure où cette dernière est utilisée comme un moyen de pression diplomatique au service des compromis politiques et non comme un instrument de lutte contre le terrorisme.

Ainsi, on comprend mieux la position du Parlement européen qui, dans une résolution adoptée en novembre 2002, regrette que « les mesures que le Conseil (de l’Union européenne) a adoptées le 27 décembre 2001 par “procédure écrite” constituent une construction juridiquement complexe, qui semble viser à contourner le contrôle démocratique du Parlement européen », et que « le Conseil ne l’ait pas consulté sur la liste des organisations terroristes et qu’aucune disposition n’ait été prise quant à une consultation du Parlement sur les mises à jour régulières de cette liste, ce qui risque de perpétuer et d’aggraver l’absence relative de contrôle démocratique dans ce domaine ». Selon les parlementaires européens : « Le choix d’une base juridique qui relève du troisième pilier pour la définition de la liste des organisations terroristes, […] revient à exclure toute consultation et tout contrôle effectif à la fois par les parlements nationaux et par le Parlement européen, et à éluder la juridiction de la Cour de justice »8.

Conséquences pour les personnes concernées

Il faut surtout s’indigner devant la portée d’une telle désignation purement politique et ses conséquences tragiques sur la vie privée de chacun des membres, militants ou sympathisants de ce mouvement car, suite à cette qualification, ils sont souvent considérés comme des « terroristes » sans être directement concernés par ces listes, subissant ainsi de graves injustices même en exil. A travers les pays européens, de nombreux cas sont signalés dans lesquels des autorités ou des instances administratives se sont appuyées sur cette qualification générale afin de priver des personnes physiques de leurs droits les plus élémentaires comme la liberté d’expression ou le respect de la vie privée.

Cette situation pose d’autant plus de problèmes que « les Etats qui ont adopté des mesures reposant sur des définitions extrêmement divergentes du terrorisme et des infractions terroristes, non seulement établissent ces listes […] mais omettent aussi en général de prévoir un contrôle juridictionnel ou le droit de contester les décisions initiales d’inclusion dans ces listes. […] En outre, la fiabilité et l’exactitude des renseignements sur lesquels s’appuient les Etats pour établir ces listes, souvent considérés comme confidentiels, ont suscité des questions »9. Il faut donc noter que les intéressés sont privés de toute possibilité de contester efficacement l’action de l’Etat dans la mesure où ils ignorent les raisons qui ont motivé cette décision. Ainsi, ils sont considérablement désavantagés lorsqu’ils décident de l’attaquer en justice.
Faut-il rappeler que la Cour européenne des droits de l’Homme qui réaffirme systématiquement l’importance de la lutte contre le terrorisme et le droit légitime des sociétés démocratiques de se protéger contre ce fléau10, même si elle admet à ce titre des restrictions éventuelles aux droits garantis, mis à part les droits intangibles, refuse absolument que la conciliation nécessaire entre des droits antagonistes puisse aboutir à la disparition complète des droits de l’individu ? Or, les atteintes résultant d’une telle inscription peuvent à certains égards menacer gravement l’exercice de ces droits notamment par l’absence de protection juridictionnelle qui caractérise pratiquement l’ensemble de ces mesures.

Cette défaillance en matière de procédure équitable et de droit à une protection juridictionnelle garantie aux justiciables par le droit international des droits de l’Homme, s’ajoute à d’autres violations dues à cette qualification. Il s’agit, en effet, d’atteintes graves :

-aux droits de la défense. A ce sujet, certes, la jurisprudence accepte que l’urgence ou les circonstances liées à l’ordre et la sécurité publique puissent atténuer le poids de cette obligation sans pour autant aboutir à priver un individu de son droit de recours. Le refus de laisser jouer cette garantie à l’occasion de l’inscription sur les « listes »11 va au-delà d’une simple restriction. Elle prive l’intéressé d’une partie essentielle de sa protection juridictionnelle, d’une part en le laissant dans l’ignorance des raisons factuelles justifiant son inscription ; et, d’autre part en l’empêchant de développer, devant les autorités concernées, une argumentation contraire.

-au droit au juge. Il fait partie du droit à un recours effectif qui doit permettre aux intéressés de disposer des voies de recours afin de se prévaloir d’un droit garanti notamment par les instruments internationaux des droits de l’homme ; voies quasiment inexistantes dans cette affaire des « listes ».

-à la présomption d’innocence. Car, c’est à l’évidence une déclaration de culpabilité pour actes terroristes qui, d’une part, incite le public à croire en celle-ci et, de l’autre, préjuge, dans le cadre d’une inscription injuste et injustifiable, de l’appréciation des « faits » d’ailleurs non précisés, par les juges compétents.

-au principe de légalité. Celui-ci réclame que la loi pénale définisse clairement les éléments de l’infraction. « Cette condition se trouve remplie lorsque l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité »12. Ce qui est, ici, loin d’être le cas.

Dans ces conditions, il s’avère indispensable et même urgent de prendre des mesures nécessaires pour mettre fin à cette violation en remédiant à ces problèmes et surtout en rayant des « listes » en question tout mouvement politique dont l’objectif consiste à rétablir dans son pays d’origine la démocratie et un Etat de droit respectueux des valeurs universelles des droits de l’homme.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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