L’extension des droits civiques : “la nouvelle citoyenneté”

11/11/1993

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

L’extension des droits civiques à tous les ressortissants d’un pays a été une longue conquête démocratique, encore inachevée en bien des endroits: passage du vote censitaire, lié à la fortune des citoyens, au droit de vote “universel”, conquête du droit de vote et d’éligibilité par et pour les femmes, abolition des discriminations selon des critères de races ou de religions, abaissement de l’âge civique, etc.

Toutes ces formidables conquêtes, pour lesquels tant de militantes et de militants se sont épuisés, tant d’intellectuels se sont engagés, tant de sang a été versé, sont demeurées jusqu’ici dans une logique, celle de la NATIONALITE: seuls les détenteurs et détentrices de la nationalité d’un pays sont considérés comme ses citoyens. Le concept moderne de citoyenneté, ce fondement de la démocratie, s’est construit parallèlement à l’affirmation des Etats-Nations, avec toutes les dérapages nationalistes et chauvins auxquels ils ont parfois, et même souvent, été associés. L’autre, le non-citoyen, la non-citoyenne est confondu avec l’étranger, l’étrangère.

Le monde est cependant en plein bouleversement. La mobilité des gens s’est accentuée et dans certains pays, ces “non-citoyens” sont une portion importante de la population: ils vivent dans un pays, ils y travaillent, y paient les impôts, y élèvent leurs enfants, mais ils n’ont pas leur mot à dire sur la marche de la cité.

Le monde est en plein bouleversement, la production ne connaît plus de frontières, les marchandises et les capitaux circulent d’un point à un autre du globe, la mondialisation de l’économie est achevée, les décisions se prennent à une échelle toujours plus vaste par une poignée toujours plus réduite de gens, le pouvoir réel des Etats semble se restreindre de plus en plus. Des régions sont délaissées, la concurrence internationale bouleverse tout, les crises se propagent à l’échelle de la planète comme une tâche d’huile, à une vitesse fulgurante, et beaucoup de gens, dans quelque pays que ce soit, craignent pour leur avenir.

Le nationalisme, le chauvinisme exacerbé, refont surface. Un peu partout, des propagandistes d’extrême droite tentent de s’emparer du désarroi d’un partie de la population pour faire vibrer la fibre nationaliste, propager la haine, la xénophobie, l’ostracisme et le racisme, le repli sur soi.

En réponse à ces crispations racistes, “ethniques”, face à ces poussées fascisantes dont l’Europe de l’Est comme de l’Ouest sont notamment le théâtre, l’idée de “NOUVELLE CITOYENNETE” s’impose comme la réponse des démocrates aux défis de notre époque. Une citoyenneté non plus fondée exclusivement sur la nationalité, mais sur la RESIDENCE, une citoyenneté ou l’autre, le non-citoyen n’est pas le ressortissant d’une autre nation, mais où tous les êtres humains sont d’abord considérés comme les citoyens d’une même planète, d’un seul monde.

Car la plupart des problèmes aujourd’hui sont devenus planétaires en même temps que chacun et chacune ne peut participer à la recherche de solutions que là où il vit.

La NOUVELLE CITOYENNETE postule pour toutes et pour tous le droit de vote et d’éligibilité là où ils/elles résident, après un délai à définir. Elle ne postule pas l’assimilation, la naturalisation des citoyens étrangers qui résident dans un pays, elle ne leur demande pas de rejeter leur nationalité, leur culture d’origine, mais fait de cette diversité une richesse. Au lieu de réfléchir en terme d’exclusion, elle réfléchit en termes de solidarité, au lieu d’affirmer la primauté des intérêts de la nation, elle proclame l’égalité et la fraternité nécessaires entre les peuples. Au lieu de préconiser la passivité et l’abdication civiques, elle appelle à une prise en charge active des problèmes de la communauté par toutes et tous. Elle étend les droits, mais aussi les responsabilités de chacun et chacune, elles faits de toutes et tous des citoyens responsables.

Propager l’idée de “NOUVELLE CITOYENNETE”, basée sur la résidence et sans exclusive, lutter pour la réalisation de ce nouveau droit civique, est faire oeuvre puissante contre la haine raciale et le chauvinisme national porteur de violences.

Dans la revue Equinoxe (No 4, automne 1990, pp. 63-70), Laurent Moutinot s’est employé à

“rechercher au coeur des droits de l’homme les principes qui doivent nous guider dans le débat et les méthodes de raisonnement qui doivent nous permettre de les résoudre”.

Permettez-nous, Monsieur le Président, pour terminer cette intervention de citer cet éminent penseur:

“L’EGALITE entre les hommes (qui fait partie de la substance même de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, CETIM) pose une règle de principe qui pourra nous guider dans le débat. Des situations identiques ou assimilables doivent être traitées de même manière, sans oublier que des situations différentes doivent être traitées différemment, car il n’y a pas de pire inégalité que de traiter de manière égale des situations dissemblables!”

“Le principe de SOLIDARITE doit également intervenir dans le débat (…)

Cette idée de solidarité clôt d’ailleurs la Déclaration de 1948, à son article 29: “L’individu a des devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible”.

“Définir le droit de vote en fonction de l’intégration sociale, de la participation du travailleur à la vie économique et de la contribution de chacun à l’impôt est un acte de solidarité, fondé sur l’idée d’égalité. Solidarité, parce que la comparaison de la situation des nationaux et des étrangers – non compris les touristes, immigrés récents et autres gens de passage – montre clairement que chacun se débat dans les mêmes problèmes, participe aux mêmes finances publiques et vit sur le même territoire. Egalité, parce que le caractère semblable et solidaire des situations des nationaux et des étrangers commande de les traiter de manière identique, comme elle justifie de traiter différemment l’étranger établi de l’hôte de passage.

“Le débat du suffrage universel, ainsi posé, est immanent en ce sens qu’il définit les sujets et les objets du droit de vote par comparaisons, par analogies, par intérêts, par responsabilités. On peut ainsi justifier le droit de vote aux étrangers parce qu’ils sont intéressés à la chose publique, parce qu’ils paient leurs impôts, etc… On peut aussi fixer des limites par comparaisons entre des degrés d’intégration divers. Le débat immanent est toujours utilitaire. (…)

“La nationalité décrite, en 1789 déjà et en 1948 encore, comme l’appartenance à une communauté, avec les droits que ce système confère aux individus et à la collectivité, reste certainement un bon critère de limitation du droit de vote. Si l’on vient aujourd’hui à critiquer ce critère de limitation du droit de vote et que l’on songe à le rejeter, ce n’est pas tant que le lien entre l’individu et la société soit nié – c’est plutôt le contraire qui est affirmé – mais que la définition actuelle de la nationalité est vidée de son sens, notamment par le phénomène des migrations. (…)

“L’acquisition de la nationalité dépend d’un rattachement objectif préexistant, que celui-ci soit fondé sur la filiation (système du ius sanguinis) ou sur le lieu de naissance (système du ius terris). Dans ces systèmes, la naturalisation demeure l’exception.

“Il faut aujourd’hui repenser la nationalité pour privilégier des systèmes d’adhésion des individus à la communauté à laquelle ils appartiennent.

“Parallèlement, il faut admettre que les attaches de chaque individu puissent être multiples et que l’on puisse être italien de naissance, suisse de résidence et français par mariage. La multinationalité, impliquant une appartenance multiple, est certainement une réponse adéquate aux migrations de notre temps. Cela implique que la définition même de la nationalité privilégie l’élément positif qui est le rattachement à une communauté au lieu de privilégier l’élément négatif de la distinction avec l’autre.

“On doit aussi réfléchir, à la perspective d’un dépassement de la nationalité, à la TRANSNATIONALITE, intégrant une juxtaposition d’appartenances. Nous savons bien, en Suisse, être genevois avant d’être suisse ou d’Anniviers avant d’être valaisan. Il faudra certainement parvenir très rapidement en Europe (ou ailleurs, CETIM) à ce système de nationalités superposées, réseau d’appartenances locale, régionale, puis internationale et s’ouvrir même sur d’autres continents. (Fin de citation).

Permettez, Monsieur le Président, ces trois précisions pour terminer:

1o Nous avons, pour simplifier, parlé de droit de vote. Il va de soi, comme déjà indiqué en début de cette intervention, que nous visons par là l’entièreté des droits civiques: droit de vote et droit d’éligibilité. Ces deux droits sont pour nous totalement indissociables; il ne saurait y avoir de demi-citoyens (comme c’est encore le cas en beaucoup d’endroits en Suisse par exemple, pour les fonctionnaires d’Etat qui n’ont pas le droit d’être élus).

2o Cette extension, ou plutôt cette refonte des droits civiques, à tous les résidents d’un territoire donné, ne peut s’accomoder d’aucune restriction selon l’origine, continentale ou autres, de ces nouveaux citoyens. Tout autre système, limitant l’acquisition de cette nouvelle citoyenneté par exemple aux ressortissants européens, ou de la CEE, même s’il marque en un sens un “progrès”, ne quitte pas la logique ancienne et encourt même le danger de conforter une approche raciste, sur des bases simplement élargies.

3o Les délais fixés à l’obtention des droits civiques par un nouveau résident, ne doivent pas être pensés pour renforcer la situation de précarité et de sur-exploitation dont sont victimes souvent les nouveaux arrivants, légaux ou clandestins, mais pour faciliter leur intégration.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

nous espérons avoir ainsi alimenté la réflexion quant à des mesures propres à améliorer la situation et à faire respecter les droits de l’homme et la dignité de tous les travailleurs migrants et vous remercions de votre attention.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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