Forum Global de Nyéléni: Les luttes populaires écrivent-elle une nouvelle page d’histoire?

16/09/2025

Article publié dans Le Courrier du 16 septembre 2025
Par Raffaele Morgantini, Représentant du CETIM auprès de l’ONU

La troisième édition du Forum Global de Nyéléni s’est tenue début septembre au Sri Lanka. Après deux précédentes sessions consacrées à la souveraineté alimentaire puis à l’agroécologie, ce large rassemblement de mouvements sociaux s’est ouvert plus largement à une approche intersectorielle, appelant à « une transformation systémique ». Voici un compte rendu du CETIM.

Du 6 au 13 septembre, le Sri Lanka a accueilli le 3ᵉ Forum global Nyéléni (1), l’un des plus vastes rassemblements de mouvements sociaux et d’organisations de base au monde. Environ un millier de délégué·es venu·es de plus de 100 pays, représentant des centaines de millions de personnes, se sont réuni·es à Kandy pour affirmer une conviction partagée : la transformation systémique de nos sociétés n’est ni une utopie ni une option, mais une urgence incontournable.

Des représentant·es d’organisations paysannes, de pêche artisanale, de peuples autochtones, de communautés nomades et pastorales, de travailleur·euses sans-terre, de migrant·es, de mouvements féministes et antiracistes, de syndicats, d’organisations pour la justice climatique, de collectifs de jeunesse, de défenseurs de la santé publique et d’acteurs de l’économie sociale et solidaire étaient présent·es. Ils et elles étaient appuyé·es par des organisations de la société civile et des universitaires engagé·es. Cette multiformité inédite a donné corps à ce que les participant·es ont appelé un « mouvement des mouvements ». À une époque marquée par la montée des (néo)fascismes, des guerres et de crises multidimensionnelles systémiques, le Forum a démontré la capacité de forces de base à s’unir autour d’objectifs communs.

Une analyse partagée des crises globales

La Déclaration de Kandy, adoptée au terme des discussions, dresse un constat sévère de l’état du monde. Les participant·es dénoncent : la marchandisation croissante des biens communs, l’accaparement des terres et des mers, l’exploitation des classes travailleuses, la montée du patriarcat et des discriminations, la numérisation et la financiarisation qui créent de nouvelles formes d’oppression. Le génocide, les ingérences et les guerres en cours sont pointés comme des exemples tragiques de la collusion entre impérialisme, sociétés transnationales et pouvoirs étatiques corrompus.

Face à cette situation, le Forum a rappelé que la souveraineté alimentaire et énergétique, la paix et la solidarité entre les peuples, l’égalité de genre et la justice sociale ne sont pas des options, mais des conditions indispensables à la survie de l’humanité.

Des engagements communs

Au-delà du diagnostic, le 3ᵉ Forum global Nyéléni a permis d’adopter un ensemble d’actions et de campagnes coordonnées. Dès 2026 : une journée mondiale de mobilisation contre l’impérialisme, les guerres et l’utilisation de la faim comme arme et une journée annuelle Nyéléni pour maintenir la dynamique de convergence amorcée cette année.

Le Forum a également entériné la nécessité de créer des programmes de formation politique autour de la souveraineté alimentaire, de l’antiracisme et du féminisme de base. Le développement d’une compréhension commune de ces enjeux a été considéré comme indispensable pour consolider un imaginaire idéologique collectif et tracer des lignes d’action cohérentes.

Le renforcement des liens avec les syndicats a été identifié comme un axe stratégique majeur, établissant un dialogue entre les deux principaux sujets politiques transformateurs : les classes travailleuses rurales et urbaines dans toutes leurs composantes.

Du côté des campagnes, les délégué·es ont lancé plusieurs fronts communs : contre la privatisation de la santé, contre l’accaparement des terres et l’aquaculture industrielle, contre l’impunité des multinationales et pour leur encadrement juridique, pour un nouveau cadre commercial international fondé sur la souveraineté alimentaire, pour l’annulation des dettes illégitimes qui étranglent les pays du Sud.

Un moment fondateur pour un avenir partagé

Plus qu’un simple forum de discussion, la rencontre a constitué un véritable espace de mutualisation et de convergence, visant à bâtir une stratégie de transformation nourrie des alternatives et solutions portées par chaque secteur. La dimension de classe, féministe, anti-impérialiste et antiraciste du mouvement a été confirmée comme une boussole incontournable pour la suite.

En refermant ce 3ᵉ Forum, les mouvements réunis à Kandy ont affirmé haut et fort : « La transformation systémique, c’est maintenant et pour toujours. » Le défi est immense, mais la force collective, la solidarité internationaliste et la richesse des expériences partagées ont fait de ce rendez-vous une étape historique. L’avenir dira jusqu’où ce « mouvement des mouvements » pourra imposer un nouvel horizon.

Notes:

(1) Après les deux précédents forums de 2007 et 2015 au Mali.

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Table ronde: Discussion sur les espaces de convergence internationaux des mouvements sociaux

Dans le cadre du 3ᵉ Forum Global de Nyéléni, une table ronde pour échanger sur les fronts de lutte et les espaces d’articulation existants entre mouvements sociaux. L’objectif était de réfléchir à la manière de relier ces espaces entre eux, mais aussi d’identifier les opportunités qu’ils offrent pour renforcer l’action collective issue du Forum de Nyéléni.

Massa Koné, de la Convergence globale des luttes pour la terre, l’eau et les semences en Afrique de l’Ouest, a souligné les défis et les perspectives liés à l’organisation du Forum social mondial de Cotonou, prévu en 2026 au Bénin. Dionisio Canahui, représentant le Conseil international des traités autochtones (CITI en espagnol), a insisté sur l’importance de relier les discussions du Forum aux espaces institutionnels de la FAO à Rome, en particulier au Comité de la sécurité alimentaire mondiale.

De leur côté, Lider Gongora et Kirtana Chandrasekaran, des Amis de la Terre International, ont présenté les enjeux du Sommet des Peuples de Belém, qui se tiendra avant la COP30 sur le climat. Anderson Amaro, de La Vía Campesina/CLOC, a rappelé la nécessité d’investir pleinement la conférence CIRADR +20 en 2026 en Colombie, afin d’avancer vers une réforme agraire populaire et intégrale. Sans cette réforme, a-t-il affirmé, il ne sera pas possible de garantir les conditions minimales de la souveraineté alimentaire.

Pour sa part, Raffaele Morgantini du CETIM, a insisté sur l’importance d’articuler le Forum de Nyéléni à la Campagne mondiale pour revendiquer la souveraineté des peuples, démanteler le pouvoir des transnationales et mettre fin à leur impunité. Selon lui, cette lutte doit occuper une place centrale dans la construction collective de Nyéléni. Il a appelé à une mobilisation coordonnée, capable de porter des plaidoyers aux niveaux international, régional et national, afin d’imposer des cadres juridiques contraignants pour réguler les activités des transnationales.

La table ronde a mis en évidence que la convergence des luttes, entre régions, agendas et mouvements, constitue une priorité politique. Il s’agit de construire des processus politiques articulés, portés par une stratégie commune, contribuant à alimenter la lutte pour un changement systémique, dans une perspective populaire.

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