Le Plan Puebla-Panama : une nouvelle offensive néolibérale sous couvert de développement durable

11/11/2002

« Ils nous enlèvent nos terres et, sur celles-ci, avec eux comme patrons, nous édifions des aéroports mais jamais nous ne voyagerons en avion. Nous construisons des autoroutes mais jamais nous n’aurons de voiture. […] Nous édifions des centres commerciaux mais jamais nous n’aurons d’argent pour y faire nos courses. Nous construisons des zones urbaines avec tous les services mais nous les verrons uniquement de loin. […] En résumé, nous édifions un monde qui nous exclut, un monde qui jamais ne nous acceptera mais qui, cependant, n’existerait pas sans nous. »
(Discours de l’EZLN à l’Institut Polytechnique, Mexico, 16/03/01)

Présentation officielle du Plan Puebla-Panama (PPP)

« Un des mes principaux engagements pour les six prochaines années est d’activer, dans notre pays, le développement régional afin d’équilibrer et de combler le fossé entre le Sud et le Nord mais nous souhaitons aussi que le flux du développement s’étende à l’Amérique centrale car c’est uniquement ainsi que nous obtiendrons des résultats et que nous profiterons du potentiel énorme des accords et des traités commerciaux déjà signés entre le Mexique et les pays d’Amérique centrale. Nous voulons une frontière beaucoup plus ouverte […] et qui stimule le développement et espérons nous intégrer, à la longue, dans un marché commun. »1

Voici la vision du Président mexicain Vicente Fox quant au futur de la région s’étendant de l’Etat de Puebla au Nord du Mexique jusqu’à Panama. Combler le fossé entre les « deux Mexiques » est l’objectif central du Président Fox puisque l’un (le Nord) est développé, industrialisé et tourné vers le Nord alors que l’autre (le Sud) est sous-développé, pauvre et rural. Pourtant, le Sud a un immense potentiel de développement. Il dispose de conditions climatiques privilégiées, d’une diversité incroyable de ressources biologiques et agricoles, d’eau en abondance, d’importantes réserves d’hydrocarbures, de sites historiques et écologiques uniques et enfin, point non négligeable, d’abondantes ressources humaines.

Le PPP a été lancé officiellement par Vicente Fox et les Présidents des pays d’Amérique centrale en juin 2001. Ce Plan doit officiellement combattre les inégalités et bénéficier avant tout aux populations les plus pauvres. La participation de la société civile dans le processus de développement est présentée comme un des objectifs principaux du Plan.

Pour le Président Fox, ce sont les investissements étrangers qui permettront d’élever le niveau de vie des populations concernées. Pour ce faire, le gouvernement mexicain présente comme nécessaire un changement structurel dans la dynamique économique de la région, en particulier le développement massif des infrastructures dans les domaines suivants : routier, ferroviaire, portuaire (un canal à travers l’isthme de Tehuantepec est prévu afin de relier le Golfe du Mexique à l’Océan Pacifique), des aéroports, des télécommunications, de l’énergie (barrages hydroélectriques, industrie pétrolière), de la pêche et de hydroagriculture.2 Le développement de ces infrastructures permettra d’exploiter les énormes richesses de la région et de les exporter plus rapidement. Le gouvernement mexicain pense que ce plan permettra aussi d’augmenter les salaires dans la région.

Voici pour le volet mexicain du PPP. Or, comme son nom l’indique, celui-ci ne s’arrête pas aux frontières mexicaines – bien qu’étant une initiative du gouvernement Fox- et un de ses principaux objectifs est de promouvoir la concertation de stratégies conjointes entre le Sud du Mexique et les pays d’Amérique centrale afin d’encourager le libre commerce et de coordonner les investissements et les politiques de développement dans la région. Le développement d’infrastructures sera similaire à celui prévu pour le Sud du Mexique (creusement de canaux interocéaniques, construction de grands axes routiers et interconnexion énergétique). Cependant, le Plan n’offre rien de vraiment nouveau aux pays d’Amérique centrale puisque des traités de libre-échange avec le Mexique existent déjà. Malgré cela, Vicente Fox les a convaincus de le suivre dans cette voie bien que ceux-ci s’inquiètent du financement de ces projets. Cette question épineuse, le Président Fox a tenté de la résoudre en partie en invitant du 27 au 28 juin dernier à Mérida des investisseurs étrangers potentiels pour leur présenter les projets du Plan.3

Pour la mise en oeuvre du PPP, le gouvernement mexicain applique les politiques néolibérales qui lui sont imposées par la Banque Mondiale et le FMI. Les politiques d’ajustement structurel pour le Mexique obligent le gouvernement à entreprendre des réformes législatives, notamment de la loi fiscale et de la loi du travail. La réforme fiscale imposée au Mexique dans le cadre des politiques d’ajustement prévoit, entre autres, l’augmentation de la TVA de 15% et l’introduction d’une taxe sur les médicaments et les aliments, la privatisation du domaine de la santé et du logement, la privatisation de l’entreprise PEMEX (pétrole) et de la Commission fédérale de l’électricité. Quant à la réforme de la loi fédérale du travail, elle est également imposée par la Banque Mondiale et le FMI dans le but de supprimer tout obstacle au libre commerce pour les investisseurs étrangers: suppression des contrats collectifs de travail, reconversion des forces de travail en main d’œuvre bon marché, élimination des subventions dans les domaines suivants: l’eau, les céréales et l’énergie électrique. Ces réformes auront pour conséquences de graves violations des droits humains. Mais le Président mexicain, au-delà des beaux discours, ne semble pas se préoccuper des droits de l’homme qui ne pèsent guère lourd face aux intérêts du capital transnational.

Enjeux externes du Plan

Le Plan Puebla-Panama n’est pas un plan de développement isolé, bien au contraire. Ces enjeux dépassent largement ses frontières. Il est englobé dans une perspective de développement néolibérale à l’échelle du continent américain qui doit unir d’ici 2005 les économies du continent dans un seul accord de libre-échange et créer la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA)4. Avant-garde de la ZLEA, le Plan Puebla-Panama s’inscrit également dans la continuité de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA5) entre le Canada, les USA et le Mexique, que le gouvernement mexicain prétend étendre aujourd’hui à toute l’Amérique centrale. Vicente Fox en personne affirmait, lors de la présentation du Plan il y a une année, qu’il souhaitait faire du Mexique « un pont entre l’Amérique centrale et la Communauté économique nord-américaine »6. En réalité, le Mexique sert les intérêts étasuniens comme l’analyse Onécimo Hidalgo, coordinateur d’un centre de recherche au Chiapas: « Le Président Fox exécute les plans conçus par les Etats-Unis. C’est le Mexique qui a été chargé de faire le « sale boulot » en Amérique latine et de jouer le rôle d’un pont géopolitique.[…] Il est prévu que le Mexique soit un mur de contention [un rempart face à l’immigration, nda] dans une stratégie de militarisation complète du continent.[…] Ceci dans le but de consolider la Zone de libre-échange des Amériques où le Président Fox sera un simple commissionnaire pour le plus grand profit de Washington. »7

Oppositions au Plan Puebla-Panama : « Ante la globalización el pueblo es primero »

Le 12 mars 2001, jour de la présentation du PPP au Mexique, Marcela Suárez Cruz, représentante des indigènes tzotzils de Zinacantán, Chiapas, fait une intervention devant les promoteurs du Plan, exigeant la participation constante et représentative des indigènes dans le processus de mise en place du PPP. Elle souhaite que les bonnes intentions du gouvernement ne restent pas lettre morte : « quel que soit le projet de développement qui nous concerne, ce projet devra respecter nos coutumes, prendre en compte notre participation et prendre en considération notre voix et notre vote dans la prise de décisions. »8 Qu’en est-il seize mois plus tard ? Malgré les promesses, force est de constater que la population n’a jamais été consultée directement. Fin juin 2002, les Présidents des huit pays promoteurs du Plan, réunis au Sommet de Mérida, ont signé une déclaration sans y inclure le thème de la participation des indigènes.

Désormais en marche, le Plan Puebla-Panama menace particulièrement les populations rurales et indigènes puisqu’il prévoit que la population de 65 millions de personnes, qui vit aujourd’hui essentiellement du secteur primaire dans la région Puebla-Panama, atteindra 95 millions d’âmes dans 25 ans dont seuls 2% travailleront dans le secteur primaire! Tout ceci fait craindre, non seulement aux indigènes, mais également à toute la population paysanne qui habitent ces régions riches en écosystèmes que, sous la rhétorique du développement durable, l’objectif central de ce projet néolibéral est de leur retirer leurs terres où sont concentrées les ressources stratégiques que le gouvernement mexicain souhaite privatiser au profit des sociétés transnationales et des intérêts géopolitiques et militaires étasuniens. Une fois délogées de leurs terres, ces populations constitueront une main d’oeuvre bon marché et corvéable à souhait.9

Afin de préserver leurs terres et leur mode de vie, les organisations paysannes voient désormais la nécessité de former des espaces de résistance. Depuis un an, le PPP est décrié de toute part et les réunions se multiplient mois après mois pour tenter de freiner sa mise en œuvre et de trouver des alternatives. Deux Forums internationaux contre la globalisation ont déjà eu lieu dans la région touchée par le Plan (en mai 2001 au Chiapas et en novembre 2001 à Xelajú, au Guatemala) et un troisième est prévu à Managua (Nicaragua) du 16 au 18 juillet prochain. Le Forum de Xelajú, qui a réuni 150 organisations, a été très critique, concluant que: « Ce projet […] ne répond à aucun moment à une logique sociale des peuples mésoaméricains et de leurs communautés. »10 Durant ce Forum, les représentants des diverses organisations ont réclamé leur droit fondamental à la souveraineté alimentaire et au développement pour leurs communautés. Ils ne s’opposent pas au développement économique en tant que tel. Ils souhaitent simplement être associés à un développement réellement durable, respectueux de leur culture et de l’environnement.

Au Guatemala, la deuxième « semaine pour la diversité biologique et culturelle » a réuni fin juin 2002 des représentants de 350 organisations de quinze pays qui ont à leur tour massivement rejeté le Plan Puebla-Panama11. La prochaine réunion est déjà prévue dans une année au Honduras.

Conclusions

Les dispositions du PPP, prévues à ce jour, sont très néfastes pour la jouissance de tous les droits de l’homme des populations d’Amérique centrale et du Mexique. Elles nuiront en outre à l’environnement et ne profiteront qu’aux sociétés transnationales.

Le CETIM dénonce cette politique qui viole en tous points la Convention n° 169 de l’OIT et particulièrement l’article 7 qui stipule que: « Les peuples intéressés doivent avoir le droit de décider de leurs propres priorités en ce qui concerne le processus du développement, dans la mesure où celui-ci a une incidence sur leur vie, leurs croyances, leurs institutions et leur bien-être spirituel et les terres qu’ils occupent ou utilisent d’une autre manière, et d’exercer autant que possible un contrôle sur leur développement économique, social et culturel propre. En outre, lesdits peuples doivent participer à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des plans et programmes de développement national et régional susceptibles de les toucher directement. »12

Le CETIM en appelle donc aux gouvernements à l’origine du Plan Puebla-Panama pour :

– qu’ils respectent leurs engagements découlant du droit international en matière des droits de l’homme, notamment le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) ainsi que la Convention n°169 de l’OIT.

et demande à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme de :

– de faire une étude sur l’impact du Plan Puebla-Panama sur la jouissance des droits humains des populations d’Amérique centrale et du Mexique.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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