Monsieur le Président,
“On nous a dit, instaurez la démocratie et vous aurez des fonds, nous avons instauré la démocratie, mais l’argent n’est pas venu. On nous a dit, acceptez les ajustements structurels et l’investissement étranger direct affluera, nous avons appliqué les programmes d’ajustement structurel, mais l’argent n’a pas suivi. On nous a dit, libéralisez et privatisez, et les investissements viendront, mais aucun investissement n’est venu. Aujourd’hui, on nous dit: vous recevrez des fonds dès qu’il y aura un accord multilatéral sur l’investissement. Vous cherchez à tromper l’Afrique”. Tels sont les propos amers tenus par M. Basoga Nsadhu, Ministre des finances de l’Ouganda alors qu’il intervenait devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en décembre 1996.
Monsieur le Président,
Le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) dénonce depuis des années déjà les conséquences néfastes et des plus préoccupantes -en particulier pour les pays en développement-, qui découlent des politiques imposées par la Banque Mondiale, le FMI et l’OMC, instruments clés du système économique néolibéral. Ces institutions, dénuées de toute représentativité démocratique, prônent l’idéologie de la mondialisation qui s’appuie sur une structure de pouvoir ne profitant qu’aux sociétés transnationales et à quelques grandes puissances politiques à vocation hégémonique,
“Aujourd’hui, on nous dit,” déclara M. Nsadhu, “vous recevrez des fonds dès qu’il y aura un accord multilatéral sur l’investissement ?. Ce traité, qui dans les faits a été tramé au sein de l’OCDE depuis 3 ans déjà, a exclu de la négociation les pays du Sud, mais ils seront en revanche “invités” à y adhérer. Acceptez cette nouvelle constitution mondiale en octobre 1998 -comme agendé-, c’est accepter d’entrer dans le nouvel ordre totalitaire des sociétés transnationales. C’est une redoutable machine qui remet en cause non seulement la Charte des droits et devoirs des Etats adoptée par l’Assemblée générale en décembre 1974 mais aussi les objectifs fondateurs de l’Organisation internationale du travail.
Ce traité, l’AMI, est conçu comme une série de règles mondialement applicables aux investissements grâce auxquelles les sociétés transnationales disposeront du “droit” et de la “liberté” illimités d’acheter, de vendre, et de transférer leurs activités quand et où elles le voudront, partout dans le monde, sans la moindre intervention ni réglementation gouvernementales. En fait, il vise à donner aux sociétés transnationales, à travers une série de règles universelles sur l’investissement, le pouvoir de limiter strictement les possibilités de tout gouvernement de réguler l’économie de son pays. L’AMI confère ainsi de nouveaux droits et pouvoirs aux entreprises, en revanche, celles-ci n’ont à assumer ni obligation ni responsabilité envers l’emploi, les travailleurs, les consommateurs ou l’environnement. L’AMI est destiné à protéger et à favoriser les entreprises, et non les citoyens. Qui plus est: cette nouvelle constitution mondiale aura pour effet de remplacer les droits des citoyens, voire les prérogatives des gouvernements, par ceux des sociétés transnationales.
Le chapitre clé du traité s’intitule”Droits des investisseurs”. Y figure le droit absolu d’investir, d’acheter des terrains, des ressources naturelles, des services de télécommunication ou autres, des devises, dans les conditions de déréglementation prévues par le traité, c’est-à-dire sans aucune restriction. Les gouvernements, eux, sont dans l’obligation de garantir la “pleine jouissance” de ces investissements. Ainsi, alors que les Etats pratiquent partout des coupes claires dans les programmes sociaux, il leur est demandé d’approuver un programme mondial d’assistance aux sociétés transnationales. Y figure également le droit à l’indemnisation des investisseurs: la “protection contre les troubles”. En fait, les gouvernements sont responsables, à l’égard des investisseurs, des “troubles civils”. Cela signifie qu’ils ont l’obligation de garantir les investissements étrangers contre toutes les perturbations qui pourraient diminuer leur rentabilité, telles que mouvements de protestation, boycottages ou grèves. De quoi encourager les gouvernements, sous couvert de l’AMI, à restreindre les libertés sociales.
Pour compléter cette dérive, ce traité établit des mécanismes qui se traduisent par l’ingérence du pouvoir économique dans le domaine politique. En effet, ces mécanismes accordent notamment le droit aux investisseurs étrangers de poursuivre les gouvernements et les autorités locales devant la Chambre de Commerce Internationale investie du pouvoir de contester les législations nationales. En revanche, ni les gouvernements, ni les citoyens d’un pays ne disposeraient d’un droit correspondant de poursuivre en justice les sociétés transnationales en leur qualité d’investisseurs. Comment dorénavant ne pas exiger de nouveaux instruments de législation internationale à l’égard des groupes transnationaux, des procédures de surveillances, de contrôle et de sanction dont les syndicats devraient être partie prenante? Car, comme le disent si bien trois associations d’artistes “Nous passons des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes au droit des investisseurs à disposer des peuples!”
Monsieur le Président,
Le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) souhaite annoncer son document écrit (E/CN.4/Sub.2/1998/NGO.20) préparé conjointement avec l’Association Américaine de Juristes; relatant des commentaires sur le rapport du Secrétaire général intitulé « l’esprit d’entreprise et la privatisation au service de la croissance économique et du développement durable ». Par ailleurs à la présente déclaration sera joints d’une part, un résumé du livre récemment édité par le CETIM sur l’AMI et intitulé « Attention, un accord peut en cacher un autre » et d’autre part, notre déclaration prononcée en la journée de débat général sur la mondialisation lors de la dernière session du Comité des droits économiques, sociaux et culturels.
Dans le cadre de ce point de l’ordre du jour, le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) demande aux membres de la Sous-Commission d’examiner les propositions suivantes en vue de renforcer le traitement des droits économiques, sociaux et culturels au sein de nos travaux:
1) Décider la création d’un groupe de travail de session sur les activités des sociétés transnationales afin d’identifier et d’examiner les effets des méthodes de travail et des activités des sociétés transnationales sur la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, et du droit au développement; tout comme d’analyser la compatibilité entre les divers instruments internationaux en matière de droits humains et l’Accord multilatéral sur l’investissement; comme relevé dans la déclaration de la dix-huitième session du Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
2) Adopter par une résolution la requête de M. El Hadji Guissé, à savoir la nomination d’un rapporteur spécial sur le rapport entre, d’une part, la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels et du droit au développement et, d’autre part, la promotion de la réalisation du droit à l’eau potable et à l’assainissement;
3) Demander à la Commission des droits de l’homme, par l’adoption d’un projet de décision, la création d’un mécanisme de suivi sur la lutte contre l’impunité des auteurs de violations des droits économiques, sociaux et culturels,
4) Adopter la proposition de M. José Bengoa de créer un Forum social.