La situation en Irak, depuis l’invasion jusqu’à aujourd’hui, est caractérisée par une accumulation de violation du droit international sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale

11/11/2005

I. L’AGRESSION

L’invasion de l’Irak, avec le prétexte fallacieux que le régime en place possédait des armes de destruction massive, a été un crime d’agression et un crime contre la paix1.

II. LES CRIMES DE GUERRE

Les actes de guerre réalisés au cours d’une agression sont des crimes de guerre, comme il a été spécifié dans le Jugement de Nuremberg déjà mentionné dans la note 1.

Mais au-delà de cela, au cours de l’agression contre l’Irak, différents crimes de guerre sanctionnés par le droit international humanitaire ont été commis (voir les Conventions de la Haye de 1889 et 1907, leur règlement annexe sur les lois et les coutumes de la guerre terrestre, les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles facultatifs I et II de 1977, etc.) :

1) Attaques contre la population civile;
2) Utilisation d’armes prohibées ;
3) Bombardements massifs et prolongés ;
4) Attaques contre des infrastructures civiles ;
5) Attaques contre les médias de communication et mort de journalistes.

III. L’OCCUPATION

Environ cent mille civils irakiens, parmi lesquels une majorité de femmes et d’enfants, ont trouvé la mort, le plus souvent à cause des violences de l’occupation, selon la conclusion d’une étude publiée le 29 octobre 2004 sur le site de l’hebdomadaire médical britannique The Lancet.
L’occupation c’est aussi la prison d’Abou Ghraib et la torture, les attaques aériennes quotidiennes des forces d’occupation, évaluées à environ 145 000 soldats et la présence massive de mercenaires dont le nombre est évalué à près de 30 000 ; c’est-à-dire la violation généralisée et systématique des Conventions de Genève.

IV. LE CONSEIL DE SÉCURITÉ A AVALISÉ LES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL EN IRAK

Le 22 mai 2003, le Conseil de sécurité, à l’unanimité des 14 Etats membres présents (la Syrie était absente), adopta la résolution 1483, sur la base d’un projet présenté par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Espagne. La dite résolution : 1) dispose la levée de l’embargo contre l’Irak; 2) octroie aux Etats occupants de l’Irak le contrôle de l’économie et de l’avenir politique de l’Irak en violation de la 3ème section du Titre III (territoires occupés) de la 4ème Convention de Genève, qui donne des prérogatives limitées aux forces d’occupation d’un territoire étranger ; 3) demande aux Puissances occupantes de travailler à la formation d’une administration provisoire « jusqu’à ce qu’un gouvernement internationalement reconnu et représentatif puisse être établi par le peuple irakien », mais n’établit aucun calendrier pour cela ni un délai pour mettre fin à l’occupation ; 4) prévoit la formation d’un Fonds pour le développement de l’Irak, géré par la Banque centrale de l’Irak sous la supervision des Puissances occupantes et approvisionné par les revenus pétroliers. Ce fonds sera destiné à la reconstruction économique et à la réhabilitation des infrastructures – la plupart du temps détruite par les forces alliées –, qui, de fait, a été attribué presque en exclusivité à des entreprises américaines, pour ne citer que ces traits les plus saillants.
On peut constater : 1) Que le Conseil de sécurité, avec la Résolution 1483, en reconnaissant l’occupation étrangère pour un temps indéterminé d’un pays indépendant et l’appropriation par les Puissances occupantes de ses ressources naturelles, spécialement le pétrole, viole les principes fondamentaux de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et des Pactes internationaux des droits de l’homme. Et qui plus est, le Conseil de sécurité accepte qu’un Etat indépendant soit mis dans une situation inférieure à celle prévue dans les Chapitres XI et XII de la Charte de l’ONU (territoires non autonomes et régime international d’administration fiduciaire) ; 2) Que ladite Résolution est en contradiction flagrante avec la Résolution 1514(XV) de l’Assemblée générale de 1’ONU du 14 décembre 1960 (Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux) qui proclama solennellement : « La sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte de las Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales » ; 3) Que la Résolution 1483 rétablit officiellement dans la coutume internationale les guerres d’agression, le colonialisme et le néocolonialisme et le saccage systématique des ressources des pays victimes de ces crimes.

Le 16 octobre 2003, le Conseil de sécurité adopta la résolution 1511 qui légitime à nouveau l’occupation étrangère en Irak.

Le 8 juin 2004, le Conseil de sécurité adopta la résolution 1546, qui entre autres :
« 1. Approuve la formation d’un gouvernement intérimaire souverain de l’Irak, tel que présenté le 1er juin 2004, qui assumera pleinement d’ici le 30 juin 2004 la responsabilité et l’autorité de gouverner l’Irak, tout en s’abstenant de prendre des décisions affectant le destin de l’Irak au-delà de la période intérimaire (souligné par nous), jusqu’à l’entrée en fonction d’un gouvernement de transition issu d’élections comme prévu au paragraphe 4 ci-après; »

Il reste à se demander si le gouvernement intérimaire, qui doit « s’abstenir de prendre des décisions affectant le destin de l’Irak au-delà de la période intérimaire », a le pouvoir d’abroger les Coalition Provisional Authority Orders, dont le n°39, qui a privatisé les entreprises d’Etat et a ouvert les marchés irakiens sans aucune limitation aux investisseurs étrangers (de fait seulement les entreprises étatsuniennes) en dérogeant à la législation antérieure en la matière. Cela constitue une violation flagrante du droit international en vigueur, dont la 4ème Convention de Genève et la Convention de la Haye de 1907 qui ne permet pas le transfert de souveraineté d’un Etat occupé à l’Etat occupant. L’occupation est un fait, non une source de droit. Le Coalition Provisional Authority Order n°37 exempte d’impôts les forces de l’occupation et les autorités de la coalition, et le n°17 accorde l’immunité juridique aux occupants et à ses sous-traitants (souligné par nous). On peut supposer que parmi ces « sous-traitants » qui bénéficient de l’immunité se trouvent les spécialistes de l’interrogatoire issues des entreprises privées CACI International et Titan International. Ces dernières ont conclu des contrats avec l’occupant, ont agi dans la prison d’Abu Ghraib et sont accusées de tortures.

Le paragraphe 2 de la résolution 1546 :
« Note avec satisfaction que, d’ici le 30 juin 2004 également, l’occupation prendra fin, l’Autorité provisoire de la coalition cessera d’exister et l’Irak retrouvera sa pleine souveraineté; »

Le 30 juin 2004, l’occupation « a pris fin », cependant, l’armée d’occupation qui compte 150 000 hommes est restée en Irak parce que le gouvernement intérimaire l’a demandé. Le fait d’« inviter » une armée étrangère de 150 000 hommes à rester sur un sol national, alors que cette armée a occupé ce pays pendant une guerre d’agression et qu’elle conserve un pouvoir de décision concernant l’utilisation de la force, implique une renonciation complète de la souveraineté nationale.

Le paragraphe 2 de la résolution 1546, tout comme le paragraphe 9 reproduit plus bas, constitue un défi au sens commun et aux principes les plus élémentaires de la logique et du droit.
La continuité de l’occupation est donc une décision unilatérale de l’occupant et la résolution 1546 ne parvient pas à dissimuler ce fait.
Il pourrait arriver que le gouvernement « souverain » de l’Irak demande aux occupants qu’ils se retirent du territoire irakien. Cette éventualité est prise en compte dans les paragraphes 9, 10 et 12 de la résolution 1546 du Conseil de sécurité :
« 9. Note que c’est à la demande du nouveau Gouvernement intérimaire de l’Irak que la force multinationale est présente dans le pays et renouvelle en conséquence l’autorisation qu’il a donnée à la force multinationale sous commandement unifié établie par la résolution 1511 (2003), compte tenu des lettres qui figurent en annexe à la présente résolution;
10. Décide que la force multinationale est habilitée à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Irak conformément aux lettres qui figurent en annexe à la présente résolution et où on trouve notamment la demande de l’Irak tendant au maintien de la présence de la force multinationale et la définition des tâches de celle-ci, notamment en ce qui concerne la prévention du terrorisme… ;
12. Décide en outre que le mandat de la force multinationale sera réexaminé à la demande du Gouvernement de l’Irak ou douze mois après la date de l’adoption de la présente résolution et que ce mandat expirera lorsque le processus politique visé au paragraphe 4 ci-dessus sera terminé, et déclare qu’il y mettra fin plus tôt si le Gouvernement de l’Irak le lui demande; »

De cette façon, si le gouvernement irakien demandait aux occupants de partir, il se trouverait, d’un côté, devant une puissante armée qui ne quitterait le pays que lorsque le gouvernement des Etats-Unis2 le décidera et pas avant ; d’un autre côté, la décision du gouvernement irakien s’opposerait en ce cas à trois résolutions (1483, 1511 et 1546) du Conseil de sécurité qui « légalisent » la dite occupation. La demande pour que cesse l’occupation devrait alors être approuvée par une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, que les Etats-Unis pourraient empêcher par leur droit de veto.

V. UN PROCESSUS POLITIQUE TOTALEMENT EMPREINT D’ILLÉGITIMITÉ.

On assiste à la mise en route d’un processus politique qui comprend la réalisation d’actes fondamentaux pour l’exercice de la souveraineté du peuple et de la nation irakiens. Or cela se produit sous le règne d’une armée d’occupation qui dispose largement du droit d’utiliser la force pour le maintien de la « stabilité et de la sécurité et freiner le terrorisme » sans aucun contrôle des autorités irakiennes, comme cela ressort clairement des lettres échangées entre Colin Powell et Ayad Allawi et du refus de la part des Etats-Unis de la proposition du gouvernement français d’établir un minimum de contrôle irakien concernant l’emploi de la force.

Les membres de l’armée d’occupation continuent à jouir de l’immunité juridique sur le territoire irakien, comme l’établit le Coalition Order n°17. Ils bénéficient donc de cette immunité devant la Cour pénale internationale (CPI), bien que le Conseil de sécurité n’ait pas renouvelé les résolutions 1422 et 1487 adoptées en 2002 et 2003, qui accordaient l’immunité devant la CPI aux troupes d’occupation étatsuniennes. Cette immunité devant la CPI persiste car étant donné que les Etats-Unis ne sont pas partie du Traité de Rome, le gouvernement irakien est le seul qui pourrait dénoncer devant la CPI des crimes commis sur son territoire par des citoyens étatsuniens, en conformité avec l’article 12 des statuts de la CPI. Or, cela est empêché par le Coalition Order n°17. Le Conseil de sécurité pourrait en faire autant mais l’on sait que les Etats-Unis peuvent émettre leur veto.
On peut donc affirmer que le « processus politique » est totalement faussé car il se développe sous une occupation étrangère qui a tout le pouvoir, qui peut l’exercer, et qui l’exerce, de manière discrétionnaire, brutale et impunément.
De plus, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies a joué et continue de jouer un simple rôle de figurant.

Les élections du 30 janvier 2005 se sont déroulées dans ce contexte. Le climat d’insécurité qui règne n’a pas permis la présence d’observateurs étrangers, ni de la presse. Ces élections ne peuvent en aucun cas être considérées comme reflétant la volonté souveraine du peuple irakien, car il n’y a pas eu de contrôle international effectif et efficace avant et pendant les élections. Ces dernières se sont tenues au contraire sous le contrôle des forces occupantes, avec la présence de candidats anonymes et sans une véritable campagne électorale.

Il suffit de se rappeler que les élections au Timor oriental ont eu lieu deux ans après le retrait des occupants et qu’elles furent préparées et organisées sous le contrôle des Nations Unies.

La prétendue « communauté internationale », c’est-à-dire les leaders d’une poignée de grandes puissances, s’est déclarée satisfaite de cette parodie d’élections en les qualifiant de démocratiques. Si ces élections s’étaient déroulées sans le patronage de la superpuissance, cette même « communauté internationale » les aurait unanimement condamnées.

VI. CONCLUSION

L’Association américaine de juristes (AAJ), le Centre Europe – Tiers Monde (CETIM) et la Ligue internationale pour les droits et la libération des peuples (LIDLIP) estiment que la Commission des droits de l’homme, dans le cadre strict de son mandat, devrait adopter une résolution :
1) condamnant sans ambiguïté les violations du droit international et le droit humanitaire qui ont été et continuent à être commises en Irak depuis l’agression ;

2) favorisant une enquête concernant ces violations et la mise à la disposition de la justice de ses auteurs ;

3) favorisant une solution pacifique et démocratique, avec la participation sans exclusion de tous les secteurs du peuple irakien, dans le cadre du respect de la souveraineté et du droit à la libre autodétermination de l’Irak, solution qui requiert comme première priorité le retrait de l’armée d’occupation.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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