La responsabilité des sociétés transnationales dans les violations des droits humains

11/11/2001

Ces vingt dernières années, les sociétés transnationales (STN) ont acquis un pouvoir économique, financier et politique sans précédent. La mondialisation des marchés et des capitaux dont elles sont les premières bénéficiaires leur a permis d’accentuer la concentration du capital et de l’appareil productif dont elles disposent et de réaliser la création de situations d’oligopoles. Leurs activités couvrent tous les secteurs. Elles peuvent choisir leurs lieux de production, d’approvisionnement, d’exploitation et de vente.

De plus, elles sont en mesure d’influencer la politique des Etats économiquement faibles (d’autant plus lorsque leur chiffre d’affaires dépasse le PNB des Etats en question), mais aussi celle des Etats les plus puissants, comme l’atteste la composition du cabinet de l’actuel président des Etats-Unis, et, de conditionner la politique et les prises de position des institutions internationales.

Cette accumulation de puissance n’a pas été accompagnée d’un degré équivalent de conscience et de responsabilité, notamment en matière de respect des droits humains. Elle n’a pas non plus été accompagnée d’un cadre juridique international ni d’instruments démocratiques suffisants permettrant un contrôle démocratique de leurs activités. Or, l’état des lieux est accablant : exploitation abusive des ressources naturelles et de main d’œuvre, pollution des eaux, des sols et de l’air, catastrophes écologiques, soutien à des conflits armés, à des répressions sanglantes, à des coups d’Etat, corruption, fuites de capitaux, criminalité financière.

En réponse au travail d’information fourni par les organisations de défense des droits humains, les STN ont répliqué par une vaste campagne de charme visant à convaincre l’opinion publique (les consommateurs occidentaux avant tout) qu’elles ont pris conscience de leurs responsabilités et développent un business éthiquement correct. Ces stratégies de communication visent en premier lieu à revaloriser leur image, mais n’ont entraîné que de maigres améliorations, souvent temporaires, et surtout aucune remise en cause de leur mode de fonctionnement.

Or face à la débâcle écologique et humaine qui caractérise notre époque et, considérant la concentration de puissance aux mains des STN, il est légitime et logique de se demander quelles incidences ont leurs activités et mode de fonctionnement sur l’humanité et son devenir?

Pour amadouer l’opinion publique, les STN se présentent comme le fer de lance de la ” civilisation ” démocratique et prospère dans son combat contre le totalitarisme et la misère. Or il en va tout autrement et les STN animées par la recherche du profit et du pouvoir n’ont aucun intérêt à modifier le statu quo.

Droits civils et politiques

De nombreuses études attestent le soutien de STN à des coups d’Etat et/ou à la permanence de régimes dictatoriaux. Concrètement, il s’agit d’investissements visant à assurer la ” stabilité politique ” d’Etats présentant un intérêt majeur pour leurs matières premières, leur main d’œuvre et leur capacité à réprimer tous mouvements sociaux contestataires, qu’il s’agisse de revendications écologiques, culturelles ou syndicales.

Il est également attesté que les situations chaotiques engendrées par les conflits armés (Angola, Congo, Colombie) favorisent les bénéfices des STN dans le domaine de l’exploitation des matières premières (pétrole, bois, minerais, eau, etc…). Se pose alors la question de leur implication dans le financement et l’armement des factions rivales et dans la durée de certains conflits.

Droits du travail et emploi

Proportionnellement à leur activité économique, les STN créent peu d’emplois directs et ce nombre diminue. La réduction du ” coût salarial “, par le biais de fusions, rachats et restructurations d’entreprises, est une des grandes stratégies néolibérales visant à accroître les rendements de production et la concentration du capital. ” Ces dix dernières années, les 500 plus grosses entreprises mondiales ont licencié 400 000 salariés par an en moyenne, et cela malgré la forte progression de leurs profits. ” Au cours du deuxième semestre de l’an 2000, aux Etats-Unis, les entreprises de l’Internet (…) ont supprimé 36 177 postes. “

Bien que globalement décroissant, ce nombre d’emplois augmente dans les ” pays en voie de développement ” et les zones franches. Profitant de la libéralisation des échanges et de la télématique, les grands groupes industriels ” fonctionnent par sous-traitance avec des entrepreneurs locaux situés en Asie ou au Maghreb; ils n’ont même plus besoin de faire des investissements étrangers directs pour bénéficier des avantages offerts par les délocalisations “.

Ces avantages sont les suivants:

– de très favorables conditions fiscales ;

– une main d’œuvre très bon marché ;

– un contrôle peu rigoureux en matière de respect des droits humains ;

– un appareil répressif disposé à assurer la ” sécurité ” des activités.

Se dirigeant vers les pays offrant les meilleurs avantages, le mouvement de délocalisation se déplace également dans les pays du Sud. Par exemple, Nike sous-traite majoritairement sa production en Asie. Suite à l’augmentation des salaires en Corée du Sud et à Taiwan, à la fin des années 1980, les sous-traitants de ces pays ont à leur tour délocalisé la production dans des pays à plus faible coût de main-d’œuvre. Entre 1977 et 1995, le chiffre d’affaires de Nike a été multiplié par 164.

La délocalisation a de multiples effets négatifs sur l’emploi et le respect des droits du travail tant dans les pays du Nord que du Sud:

– elle participe à l’exploitation de la main d’œuvre des pays économiquement faibles ;

– elle profite de la complexité des réseaux de sous-traitance pour taire l’implication des STN en matière de violation des droits humains ;

– elle exerce une menace sur les employés des pays du Nord entraînant la détérioration des conditions de travail et l’augmentation de la précarité.

Droits économiques, sociaux et culturels et essor des ” pays en voie de développement “

La mondialisation imposée par les STN se réalise dans une logique de concentration et d’exclusion. Elle ne favorise que l’élite industrielle et financière mondiale et ne prend en compte que la population solvable du globe. Dans ces conditions, les PVD n’ont aucune chance d’améliorer leurs conditions économiques, sociales et environnementales.

Les investissements directs à l’étranger (IDE) servent majoritairement au rachat et/ou à la fusion d’entreprises. Les vagues de privatisations et le rachat à bas prix d’entreprises publiques bénéficiaires se traduisent par une baisse des prestations et une hausse des coûts pour les usagers et par la suppression de sources de bénéfices pour les Etats concernés au profit des STN. De plus, l’usage qu’elles font de la corruption afin d’obtenir l’autorisation d’exploiter les matières premières, ou d’installer des lieux de production est lourd de conséquence sur le non-respect des droits humains et l’avenir économique, social, démocratique et écologique des populations concernées.

Dans les domaines pharmaceutiques et agroalimentaire, les activités des STN vont fréquemment à l’encontre du droit à la santé et à une alimentation suffisante et adéquate. Frein mis à la diffusion de médicaments génériques, imposition des OGM ou invasion des marchés nationaux (grâce aux accords de l’OMC dans le domaine agricole), les bénéfices des STN se font au détriment des populations, majoritairement du Sud.

L’élaboration de Terminator, une semence génétiquement modifiée rendue stérile, mais dont le rendement et la valeur nutritionnelle des aliments ne sont pas améliorés, montre bien que pour contrôler toutes les étapes de croissance d’un produit agricole et imposer l’achat de leurs intrants, les STN sont prêtes à miner la paysannerie et à mettre en péril la sécurité alimentaire de populations entières.

Dans le domaine environnemental, le désastre écologique est patent. Aux grandes catastrophes telles que Bhopal ou Exxon Valdés s’ajoute la surexploitation des ressources naturelles et la constante pollution des terres, de l’air et de l’eau provoquée par l’industrie pétrolière, chimique ou agricole. ” La logique économique selon laquelle on devrait se débarrasser des déchets toxiques dans les pays aux salaires les plus bas est à mon sens impeccable. (…) Toute stratégie relative aux problèmes d’environnement qui ralentit la croissance des pays pauvres (…) est parfaitement immorale. ” Tels ont été les propos de M. Larry Summers en 1991, directeur des études économiques de la Banque mondiale et futur secrétaire adjoint au Trésor de l’administration Clinton. Ils en disent long sur une certaine conception de l’immoralité et l’importance donnée au droit à vivre dans un environnement sain.

Préoccupation citoyennes et codes de conduite volontaires

Grâce au travail des organisations de défense des droits humains et à la montée en puissance des mouvements sociaux, les violations commises par les STN sont documentées et publiquement dénoncées. Le résultat en a été la détérioration de leur image auprès des consommateurs. Pour reconquérir leurs marchés et poursuivre leur croissance, les STN ont répliqué par une vaste campagne de charme visant à rehausser leur image aux yeux du public occidental et à le convaincre de leurs bonnes intentions en matière sociale et environnementale.

Les codes de conduite volontaires et les labels se trouvent au centre de cette campagne. Car il existe un lien évident entre la médiatisation des violations commises par les STN et l’adoption ou la création de codes de conduite volontaires. C’est ainsi que, suite à des campagnes de dénonciation largement diffusées en Occident, Levi’s, Nike ou Adidas en ont adopté. En fait, si le contenu et le respect de ces codes sont effectivement volontaires, leur existence même est imposée par la pression sociale. Comme le déclare lui-même M. Hughes de Rouret, président de Shell lors de l’exécution de l’écrivain Ken Saro-Wiwa. ” Nous avons compris que la société mondiale n’était plus régie par les seuls acteurs traditionnels et qu’il fallait désormais prendre en compte les consommateurs, la pression morale ou les écologistes, et cela nous a amenés à revoir nos principes. “

Pour les STN, ces campagnes de communication ont un double but:

– récupérer leur prestige aux yeux des consommateurs et leur compétitivité sur le marché;

– se soustraire à un véritable contrôle démocratique les obligeant à respecter tous les droits humains.

Aux yeux des organisations de défense des droits humains, ces codes de conduites volontaires posent de notables problèmes:

– la plupart sont en retrait par rapport aux normes et droits sociaux minimaux internationalement reconnus. La liberté syndicale et le droit à l’organisation collective y sont régulièrement absents;

– ils n’ont pas de portée juridique;

ils sont généralement adoptés sans consulter les travailleurs concernés. Et rarement traduit dans leur langue;

– leur application, souvent temporaire, n’a pas montré de notables améliorations ;

– ils hiérarchisent les droits en mettant en avant les améliorations les plus médiatiques (travail des enfants) au détriment du non-respect d’autres droits fondamentaux (activités syndicales) ;

– ils permettent aux STN d’éluder les problèmes de fond que pose leur mode de fonctionnement sur le respect de tous les droits humains;

– l’indépendance des organisations chargées de la surveillance n’est pas assurée.

Les codes de conduite volontaires sont souvent présentés comme un premier pas vers des mesures plus contraignantes. Mais on peut se demander si au contraire leur fin réelle n’est pas justement d’éviter que de telles mesures soient adoptées. Quoi qu’il en soit, dans les conditions actuelles, le décalage entre droits et devoirs reste entier.

Conclusion

Les pratiques des STN ont des incidences négatives dans tous les domaines des activités humaines. Parce qu’elles fonctionnent sur une logique d’exclusion et de concentration des pouvoirs et des richesses, elles sont un facteur dominant de paupérisation et de précarisation des populations du Sud et du Nord et de dégradation de l’environnement. Leurs pratiques et politiques vont à l’encontre des principes démocratiques et de l’essor des pays ” en voie de développement ” et à l’encontre du bien être des habitants de la planète.

C’est pourquoi il est urgent que soit mis en place un cadre juridique international contraignant permettant une régulation et un contrôle véritablement démocratiques de leurs activités. En tant qu’émanation de la communauté des Etats, l’ONU est l’organisation tout indiquée pour favoriser la création d’un tel cadre. Et il serait souhaitable que dans le cadre de son mandat, le Groupe de travail de la Sous-Commission de la promotion et la protection des droits de l’homme sur les STN transmette des propositions allant dans ce sens à la 58ème session de la Commission des droits de l’homme.

Catégories Cas Déclarations DROITS HUMAINS Sociétés transnationales
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