La réalisation du droit à la santé

11/11/2003

Le droit à la santé est reconnu dans de nombreux instruments internationaux en matière de droits de l’homme. Il est aussi admis que la réalisation du droit à la santé est étroitement liée et dépendante de la réalisation d’autres droits de l’homme, en particulier, le droit à l’alimentation, à l’eau potable, au système sanitaire, au logement, à la terre, au travail, à l’éducation et aux services de santé de base2. La capacité des pays à répondre aux besoins fondamentaux de leurs peuples (comme énumérés ci-dessus) est déterminée par des facteurs politiques et économiques, qui échappent le plus souvent à leur contrôle.

Il a été démontré que les efforts de mise en œuvre pour la réalisation du droit à la santé par les institutions et les structures existantes sont inadéquats. Les insuffisances ont trait principalement aux contraintes imposées par l’ordre international, politique et économique. Au cours des deux dernières décennies, cet ordre a concentré le pouvoir dans les mains de quelques nations puissantes, d’institutions financières internationales et de sociétés transnationales , et a accéléré et approfondi l’inégalité, la pauvreté, l’exploitation, la violence et l’injustice, qui sont à l’origine même de la mauvaise santé, de la mortalité des populations pauvres et marginalisées de par le monde.

Le décalage entre les engagements au niveau des droits de l’homme et leur réalisation ne peut être réglé qu’en s’attaquant à l’ordre international injuste, au non respect de la démocratie -tant au niveau national qu’international- et aux causes principales de la pauvreté.

La plus grande partie des maladies dans le monde, comme la plupart des décès auraient pu être évités, si les besoins fondamentaux étaient satisfaits. Par exemple, 50-70% des infections des voies respiratoires inférieures, les maladies diarrhéiques, le paludisme et les oreillons dans l’enfance sont dus à la malnutrition3. 88% des maladies diarrhéiques sont la conséquence de l’insalubrité de l’eau, du système sanitaire et du manque d’hygiène. 99,8% des décès liés à ces facteurs de risques surviennent dans des pays en développement4. Du fait de la malnutrition, la pauvreté endommage sérieusement le système immunitaire, rendant les enfants plus vulnérables aux maladies de toute sorte5.

L’histoire de la santé publique au dix-neuvième siècle en Europe et aux Etats-Unis nous a montré que les interventions principales pour améliorer l’état de santé des populations se situent hors des services de santé. De plus, les pays riches d’aujourd’hui ont atteint un meilleur niveau de santé pour leurs populations par des interventions ayant pour objectif des améliorations qui soient substantielles et durables plutôt que superficielles et à court terme.

La pauvreté ne devrait pas être définie en terme d’un ou deux dollars américains par jour mais en termes d’accès, ou non, aux biens et aux services essentiels à la vie et à la santé, lesquels sont des droits dans une société basée sur le droit. C’est pourquoi, beaucoup de personnels de santé et d’activistes affirment que « la pauvreté est la maladie ». La pauvreté est aussi la violation fondamentale des droits humains.

Trois aspects de l’ordre mondial actuel représentent des obstacles majeurs à la réalisation du droit à la santé.

– La politique macro-économique – et, en particulier, les accords commerciaux inéquitables, le fardeau de la dette, et l’appropriation continue des ressources nationales (humaines et matérielles) – est imposée aux pays en développement par les institutions financières internationales et a entraîné une augmentation substantielle de la pauvreté et de l’inégalité entre les pays et au sein des pays.

– Les organisations non démocratiques – le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce – favorisent le capital et les entreprises transnationales privés plutôt que les peuples ; elles prennent des décisions économiques et sociales au niveau national et mondial qui affectent la vie des peuples.

– Les inextricables connections entre les complexes militaro-industriels et les centres de pouvoir – véritable moteur des économies des pays riches – représentent une menace permanente pour la sécurité et la paix mondiale ainsi qu’un détournement massif de ressources en termes de biens sociaux et publics.

Ces processus maintiennent la majorité des populations dans un état d’impuissance et de terreur plutôt que dans la démocratie et la paix qui sont des conditions préalables à la réalisation du droit à la santé.

En outre, la politique, la stratégie et l’action internationales en matière de santé (particulièrement l’ONU et ses agences spécialisées, agences officielles d’aide gouvernementale, fondations privées, et même certaines ONG), sont fortement influencées par ces politiques économiques néoliberales.

Des interventions médicales sophistiquées (pour les nantis) et des services de santé fournis par des ONG (pour les personnes sans ressources) sont proposées non seulement comme solutions aux problèmes de santé mais comme le moyen de sortir de la pauvreté. Cette approche6 occulte l’inégalité structurelle, les causes fondamentales de la pauvreté et ses conséquences dans les maladies et décès qui pourraient être évités. En même temps, elle maintient et renforce l’ordre international actuel qui apporte des avantages inestimables aux puissantes minorités.

Le secteur privé exerce une énorme influence sur la santé humaine, l’environnement, le développement et les droits de l’homme – en général et de plus en plus dans l’institution des Nations Unies. La santé est favorisée en tant qu’outil pour obtenir des profits plutôt qu’en tant que droit de l’homme. Les organisations et les mouvements de citoyens soutiennent la mission et les valeurs des Nations Unies mais insistent sur le fait que ces objectifs ne peuvent pas être subordonnés au commerce, à l’investissement, et aux règles de la finance.

Pourtant, la déclaration d’Alma Ata en 19787 a reconnu explicitement les inégalités structurelles et les facteurs macro-économiques comme causes déterminantes de la pauvreté et donc de l’état de santé des populations, et a appelé à un nouvel ordre économique international. Un quart de siècle après, les effets négatifs du néolibéralisme et du « libre » marché sur la santé ne sont plus à démontrer8.

Il convient de souligner que le paragraphe 4 du Commentaire général du Comité des droits économiques, sociaux et culturels nous rappelle que « le droit à la santé englobe une grande diversité de facteurs socio-économiques de nature à promouvoir les conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener une vie saine, et s’étend aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’alimentation et la nutrition, le logement, l’accès à l’eau salubre et potable et à un système adéquat d’assainissement, des conditions de travail sûres et hygiéniques et un environnement sain9 ».

Les conditions visées ci-dessus dépendent en grande partie de la mise en oeuvre des droits sociaux et économiques collectifs. Ceux-ci ont été négligés parce que l’action à cette fin implique un changement fondamental dans l’ordre international et la redistribution massive de la richesse.

Conclusions et recommandations

Les obstacles, nationaux et internationaux, qui empêchent les peuples de satisfaire leurs besoins de base devraient être identifiés afin d’entreprendre des actions adéquates en vue de leur suppression. C’est pourquoi, le Centre Europe Tiers Monde (CETIM) et l’Association américaine de Juristes (AAJ) invitent le Rapporteur spécial sur le droit à la santé et les Etats à considérer ce qui suit:

– le principe selon lequel les Etats sont responsables de la politique, du contrôle et de la fourniture de services de santé primaire gratuits, facilement accessibles à tous devrait être la base d’une politique sanitaire nationale et internationale;

– l’Etat, conformément à ses obligations envers ses citoyens, devrait garantir l’accès à la nourriture et à l’eau. Dans ce cadre, les privatisations effrénées, impulsées sous la pression des institutions financières et commerciales internationales, dans divers secteurs -eau, agriculture, santé, etc.- sont incompatibles avec les engagements des Etats de respecter les droits de l’homme, en particulier le droit à la santé;

– le droit à l’alimentation, y compris à l’eau, devraient être inclus dans les législations nationales avec des mécanismes d’application aux niveaux régionaux et internationaux;

– la politique agricole devrait être déterminée par le principe de souveraineté alimentaire. En tant que telle, elle ne devrait pas faire partie de l’Accord Général sur le Commerce et les Services (AGCS) au sein de l’OMC qui : « est avant tout un instrument au profit des affaires »10;

– la politique et l’action internationales en matière de santé devrait s’occuper, en priorité, des causes sociales, économiques et politiques de maladies et de décès qui pourraient être évités. L’OMS devrait instituer une commission sur la pauvreté et la santé pour examiner ces causes et faire des recommandations pour lutter contre;

– l’annulation immédiate de la dette, le contrôle de la spéculation et des flux financiers avec des mécanismes tels que la taxe Tobin, l’abolition des paradis fiscaux et l’instauration d’un commerce équitable devraient être préconisés;

– un moratoire sur les partenariats public/privé dans le domaine de la santé devrait être ordonné et une évaluation indépendante devrait être entreprise pour examiner l’impact de telles initiatives en termes de résultats sur la santé et sur la qualité des fournitures des services de santé;

– le Global Compact, par lequel les sociétés transnationales s’engagent (en l’absence de tout cadre légal contraignant) à respecter les principes des droits de l’homme, en échange du soutien apporté par l’ONU à des marchés libérés de toute entrave, devrait être dénoncé comme trompeur, inapproprié et non-démocratique;

– l’accès aux médicaments essentiels fait partie intégrante du droit à la santé et est réalisable11. L’Accord sur le droit de la propriété intellectuelle relative au commerce (ADPIC) est une perversion du concept des brevets qui ne vise que la recherche du profit. L’OMC n’est pas le forum approprié pour la négociation des accords de propriété intellectuelle;

– l’OMS devrait nommer une Commission pour rendre compte des obstacles à l’accès aux médicaments, y compris les règles commerciales et l’ADPIC, afin de surveiller l’accès effectif aux médicaments, qui devrait être garanti par l’Etat et soutenu par l’ONU.

– tout accord passé entre les institutions financières internationales, des entreprises transnationales, des gouvernements et des organisations intergouvernementales, devrait respecter les instruments internationaux en matière de droits de l’homme qui garantissent, entre autres, la souveraineté des Etats et le droit à l’autodétermination des peuples.

– les responsabilités ainsi que la justiciabilité – d’une part, des institutions financières internationales et, d’autre part, des sociétés transnationales en matière de respect des droits de l’homme – devraient être garanties par des règles juridiques contraignantes. La participation de telles entités, non démocratiques par nature, dans l’élaboration des politiques de santé nationales ou mondiales, devrait être rigoureusement définie et délimitée afin de respecter les principes de la démocratie.

Catégories Cas Déclarations DROITS HUMAINS Sociétés transnationales
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