La mondialisation et les droits économiques, sociaux et culturels

11/11/1998

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Cette intervention est inspirée de deux livres coédités par le CETIM:”La bourse ou la vie: mondialisation néolibérale” et “L’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI): Attention un accord peut en cacher un autre !”.

La “mondialisation” est définie par ses partisans comme “un processus accéléré d’intégration et d’interdépendance des économies au niveau mondial, entraînant une internationalisation de plus en plus poussée des marchés des services et des marchés des capitaux”1.

Le CETIM pense que la “mondialisation” est une idéologie qui s’appuie sur une structure de pouvoir ne profitant qu’aux grandes entreprises, aux institutions financières internationales et à quelques grandes puissances politiques à vocation hégémonique (mondiale ou régionale) qui sont dénuées de toute représentativité démocratique.

Cette mondialisation n’est pas un phénomène qui recouvre une tendance à l’égalisation des économies, ni à l’homogénéisation des niveaux de développement, ni à l’uniformisation des situations économiques au sein d’un pays donné ou d’un groupe de pays à un autre; l’écart entre les pays du “centre” et ceux de la “périphérie” n’a jamais été aussi prononcé.

Basée sur l’idéologie néolibérale et présentée comme unique solution à tous les maux de toutes les sociétés de la planète, cette mondialisation marchande a des conséquences désastreuses : malnutrition touchant 800 millions de personnes dans le monde, maladies, pollution, dégradation des systèmes scolaires, chômage de masse, augmentation des travaux précaires, destructuration des sociétés notamment par le déplacement forcé des populations, exode rural et conflits armés, généralisation de la corruption (tant au Sud qu’au Nord), prolifération des mafias, etc.

Pour comprendre les raisons des effets néfastes de cette mondialisation marchande, il est judicieux d’analyser le système économique dans lequel nous vivons et son rôle dans cette nouvelle idéologie.

On peut affirmer d’emblée qu’aujourd’hui les institutions de Bretton Woods et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) sont les deux instruments clés du système économique néolibérale. Elles imposent une politique destructrice au monde entier, qui ne se limite pas au domaine économique, car la marchandisation touche tous les aspects de la vie.

Les institutions de Bretton Woods

Fondé en juillet 1944, le couple Banque Mondiale2 et Fond Monétaire International (FMI)3, connu sous le nom de “institutions de Bretton Woods”, se donna entre autres comme objectif de “promouvoir le progrès économique et social en aidant à accroître la productivité ; le contrôle du fonctionnement du système monétaire international et la stabilisation des relations monétaires”. Mais en réalité, dominées par quelques pays riches avec un système de quota qui est loin d’être démocratique[4], ces deux institutions ne servent que les intérêts des milieux financiers internationaux. Deux exemples pour illustrer nos propos: i) la question de la dette; ii) les programmes d’ajustement structurels (PAS).

Suite à la crise d’endettement à partir des années 80, la BM et le FMI ont commencé à exercer une forte influence sur l’économie des pays du Sud. C’est le FMI qui accorde des prêts en cas de crise financière. Si le FMI refuse d’accorder un prêt à un pays donné lors d’une crise, plus aucun pays, que ce soit au niveau multilatéral ou bilatéral, ni aucune banque privée ne le lui accordera. Par contre, si le FMI est prêt à accorder un crédit, d’autres pays et des banques privées peuvent le suivre.

Pour obtenir des crédits, il faut se soumettre aux programmes d’ajustement structurels (PAS), imposés par le FMI. Les pays qui se voient imposés les PAS, appliqués dans 100 pays simultanément, doivent passer par les étapes suivantes: dévaluation, austérité budgétaire, libéralisation des prix, privatisation des entreprises publiques et de la terre, désindexation des salaires, fixation des prix des produits pétroliers et des services. Conséquences de cette politique : dégradation des services publics, notamment l’éducation et la santé, augmentation du chômage, exode rural, gonflement de la dette … bref appauvrissement du pays. En parallèle, les PAS encouragent le pays concerné à augmenter ses recettes d’exportation et à diminuer ses importations. En fait, en exportant bien souvent les mêmes produits, ces pays se font concurrence. De plus les faibles recettes d’exportation prennent le chemin des caisses du couple FMI et BM, ainsi que celles des banques privées (club de Londres), car l’objectif absolu des PAS demeur le paiement du service de la dette des pays en question.

Sur le plan politique, l’application des PAS provoque régulièrement des soulèvements populaires réprimés aussitôt, puisque l’une des conditions des prêts du FMI et de la BM étant la “stabilité politique” dans un pays donné. Rappelons en passant que c’est le Chili de Pinochet qui a reçu des crédits et non pas le Chili d’Allende. Cela explique peut être la curieuse constatation que plus un pays du Sud dépense en armement, plus il reçoit d’aide publique au développement. Selon le rapport annuel du PNUD de 1992: “les pays qui consacrent des sommes élevées au secteur militaire (plus de 4% de leur PNB) se voient attribuées une aide par habitant environ deux fois supérieure à ceux dont les dépenses dans ce domaine sont plus modestes -entre 2 et 4 % du PNB”. Depuis 1990 la BM prêche l’exigence de “gouvernabilité”, mais dans la réalité l’objectif de sa politique est de diminuer le rôle de l’Etat et de supprimer tout projet national, très souvent en s’appuyant sur une classe corrompue. Et cela sans perdre de vue que la dette constitue pour les institutions financières et les pays riches un moyen de pression énorme sur les politiques des Etats. Ainsi, à la fin des années 70, la moitié des bénéfices des banques américaines provenait de leurs prêts au Tiers Monde, alors que la dette du Tiers Monde a passé de 70 à plus de 560 milliards de dollars entre 1971 et 1980, pour atteindre 1940 milliards de dollars en 1995. Relevons qu’à cause du service de la dette, les pays en développement paient aujourd’hui davantage qu’ils ne reçoivent. Outre la légitimité de la totalité de la dette -chacun de ses compasants- qui doit être mis en cause (à qui et pour quel usage on prête des sommes colossales ?), il faut reconnaître par ailleurs qu’elle est un extraordinaire instrument de pouvoir.

Par ailleurs, la BM est critiquée également sur la validité de ses projets. Elle finançait 192 projets en 1994 dont notamment des routes, des barrages, des installations industrielles. Ces projets ont entraîné le déplacement de 2,5 millions de personnes en violation des directives de 1980, par laquelle la BM s’engageait à éviter les “déplacements involontaires” de populations. A noter que la moitié seulement de ces 192 programmes prévoient la réinstallation des déplacés dont les 2/3 ne recevront qu’une simple compensation financière (cf. Rapport Wappenhaus, 1992).

Il y a quatre ans, Pierre Galand, secrétaire général d’Oxfam Belgique, du groupe de travail ONG/BM et de son comité directeur, démissionna de son poste. Son expérience au sein de cette institution nous démontre qu’il n’est pas possible de l'”humaniser” et qu’il est nécessaire de mener une lutte contre les institutions de Bretton Woods. Dans un article paru dans Le Courrier du 26 juillet 1994, Pierre Galand s’exprima en ces termes: “(…)Après avoir participer au dialogue avec la banque (BM) durant trois ans et demi au sein du groupe de travail des ONG, je veux donc présenter ma démission au groupe, car il m’est apparu clairement qu’il n’y a pas d’espace pour humaniser la banque. L’Afrique se meurt… mais la banque s’enrichit; l’Asie et l’Europe orientale se voient pillées de toutes leurs richesses… et la banque appuie les initiatives du FMI et du GATT qui autorisent ce pillage, tant matériel qu’intellectuel. L’Amérique latine, comme d’autres continents, voit avec horreur ses enfants servir de réserve de main d’oeuvre ou, pire encore, de réserve d’organes pour ce nouveau marché des greffes avec l’Amérique du Nord. (…) En cette fin de siècle, croissance et compétition sont devenues un moyen d’enrichissement accéléré et disproportionné de minorité et n’ont plus d’effet de développement ni de coopération ou de redistribution. (…) Les résultats de vos interventions, FMI/BM, se traduit par une pression constante sur l’ensemble des économies pour plus de compétitivité, plus de performance. Un tel objectif n’est lui-même atteint que par des pressions sans cesse plus fortes sur les gouvernements pour qu’ils économisent et réduisent les acquis sociaux jugés trop coûteux. Cela revient à dire que seuls les gouvernements qui sont de bons élèves, à vos yeux, sont ceux qui acceptent la prostitution de leurs économies aux tenant des rênes des multinationales et des groupes de la finance internationale. (…) Elle (BM) a un pouvoir d’intervention, jamais égalé, dans les affaires du monde et dans les affaires intérieures des Etats. C’est elle qui dicte les conditions du développement, sans n’avoir de comptes à rendre qu’à elle-même.(…)”.

L’Organisation mondiale du commerce (OMC)

e deuxième instrument clé de la mondialisation marchande, l’OMC, est né en 1995, suite à l’aboutissement des accords du GATT et son élargissement aux secteurs de l’agriculture, des services, de la culture, des investissements et de la propriété intellectuelle. Ces accords ont été négociés au sein d’un petit comité sous l’emprise des sociétés transnationales, à l’abri de tout contrôle politique, démocratique et citoyen. La libéralisation des marchés des services est lourde de conséquences. Le but recherché étant d’internationaliser et de réduire de manière drastique les coûts dans des secteurs tels que les télécommunications, les services financiers et l’informatique. C’est ainsi qu’ont été planifiées, à l’échelle mondiale, les privatisations des services nationaux de télécommunication et ce, sous la pression de cette libéralisation du marché mondial. Par ailleurs, la libéralisation des services financiers génère de dramatiques conséquences : les délocalisations sont facilitées, la fraude fiscale est officieusement acceptée et l’immunité des trafiquants en tout genre consolidée. Sous le terme de “propriété intellectuelle” se cache toute la question des brevets, notamment concernant des organismes vivants génétiquement modifiés. C’est pourquoi, d’une manière générale, les négociations sur les TRIP (de l’anglais Trade-related intellectual property rights) ont été l’occasion pour les pays industrialisés d’établir de nouvelles règles internationales pour protéger les revenus rentiers monopolistiques des sociétés transnationales, tout en empêchant l’accès des pays du Tiers Monde au savoir. Les brevets servent également au pillage des ressources des pays du Sud où plus de 80% de ceux-ci sont détenus par des étrangers, principalement par des transnationales américaines, anglaises, allemandes, françaises et suisses. A souligner que 95% de ces brevets ne sont jamais utilisés pour produire dans ces pays. La grande diversité biologique du Sud, découverte, modifiée ou adaptée, est en train de devenir la ” propriété intellectuelle ” d’intérêts privés. Citons par exemple les transnationales agro-alimentaires détenant les semences. En bref, l’OMC viole les principes fondamentaux du contrôle démocratique et du développement autocentré des besoins locaux.

L’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI)

On ne peut conclure cette intervention sans parler de l’Accord multilatéral sur les investissements (AMI). Tramé au sein de l’OCDE depuis trois ans, cet accord vise la libéralisation et la non-discrimination des investissements étrangers de capitaux. Un investisseur pourrait notamment investir où il veut et quand il veut, retirer ses investissements, transférer leurs bénéfices dans un autre pays que celui où ils ont été réalisées. S’inscrivant dans la logique de déréglementation des échanges mise en place par l’OMC, l’AMI va encore plus loin. Il remet en question la légitimité de la souveraineté des Etats. Tout investisseur s’estimant lésé par un Etat pourrait directement poursuivre celui-ci devant un tribunal ad hoc, la Chambre internationale du commerce, qui pourrait condamner l’Etat à dédommager l’investisseur sans qu’aucune procédure de recours contre la décision ne soit possible. Par ailleurs, un Etat sera tenu comme responsable de tout trouble civil intérieur qui pénaliserait une entreprise étrangère. Ainsi, un pays serait amené à payer de substantiels dédommagements à un investisseur qui aurait été la cible de contestations citoyennes. Dès lors, il est à prévoir, surtout dans les pays les plus pauvres, pour écarter tout risque en la matière, qu’un Etat diminue unilatéralement les droits d’association, de syndicat et de grève, tout en renforçant les pouvoirs de police et d’armée afin de maîtriser rapidement tout dérapage éventuel.

Bien qu’il ne soit pas encore signé, l’AMI montre la tendance vers laquelle évolue la “mondialisation”. D’ailleurs, l’élaboration d’un accord similaire “New Transatlantic Marketplace” (NTM) entre l’Union européenne et les Etats-Unis confirment nos préoccupations. Le CETIM est également préoccupé par la déclaration récente de M. Michel Camdessus, directeur général du FMI, qui consiste à modifier les statuts de cette institution afin de pouvoir contrôler tout mouvement de capitaux. Cela revient à dire que les pays qui ne sont pas sous l’influence des PAS seront également sous tutelles du FMI.

A titre de conclusion, le CETIM pense que le processus de la mondialisation constitue un obstacle à la réalisation des droits économiques sociaux et culturels (DESC) et qu’il est en pleine contradiction, en particulier, avec les articles 1 et 2 de son Pacte. En effet, même si un Etat s’engage à garantir les DESC pour ses citoyens, celui-ci risque d’être traîné devant les tribunaux avec des sanctions à la clef. De même, toute coopération internationale entre Etats pour la réalisation des DESC se trouve compromise par des accords élaborés avec les institutions précitées. Celles-ci défendent avant tout les intérêts des nouveaux maîtres du monde notamment des transnationales alors que le Pacte a été élaboré en fonction des intérêts des citoyens. C’est pourquoi le CETIM demande que votre Comité étudie en profondeur le rôle des institutions financières internationales afin d’assurer une réelle mise en application des DESC et qu’il recommande à l’ECOSOC d’examiner la compatibilité entre le Pacte des DESC et l’Accord multilatéral sur l’investissement.

Catégories Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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