Justiciabilité des droits économiques, sociaux et culturels

11/11/2004

I. LA JUSTICIABILITÉ DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS

1. Les normes pertinentes en matière de droits économiques, sociaux et culturels, en plus de celles qui existent au niveau national, figurent dans une série d’instruments internationaux obligatoires par les États et applicables, tant au niveau international que national, aux personnes physiques et juridiques1.
Sont également applicables aux droits économiques, sociaux et culturels, diverses normes internationales et nationales se référant aux droits fondamentaux de la personne humaine « …parce que simplement, les droits humains sont aussi peu divisibles que l’être humain lui-même »2.

C’est ainsi que l’a compris l’Assemblée générale de l’ONU lorsqu’elle ne pensait élaborer qu’un seul Pacte international qui comprendrait les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels, et qu’elle adopta durant sa cinquième session en 1950 avec une résolution qui proclamait que : « la jouissance des libertés civiles et politiques, ainsi que celle des droits économiques, sociaux et culturels sont interdépendantes » parce que « si l’être humain se trouvait privé de ses droits économiques, sociaux et culturels, il ne représenterait pas la personne humaine que la Déclaration universelle considère comme l’idéal de l’homme libre ». (Doc. A.2929, point 21, chap. I). Par ailleurs, la Déclaration universelle des droits de l’homme comprend ces deux catégories de droits.

Cette optique fut plus tard incorporée à la Déclaration de Téhéran de 1968 (art. 13) et à des instruments et déclarations postérieurs.
Ainsi, par exemple, la violation de certains droits économiques, sociaux et culturels peut signifier la violation du droit fondamental et inaliénable à la dignité inhérente à la personne humaine et au droit à la vie ou la violation du droit à ne pas subir de traitements cruels, inhumains ou dégradants, entre autres.

2. Les débats et les Observations générales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CODESC) constituent une référence de première importance quant au caractère obligatoire des DESC consacrés dans le Pacte respectif. Les Observations les plus récentes sont les n° 9 (application du Pacte au niveau national, 1998) ; n° 10 (rôle des institutions nationales de défense des droits de l’homme dans la protection des droits économiques, sociaux et culturels, 1998) ; n° 7 (droit à un logement suffisant, 1991 et expulsion forcées, 1997) ; n° 12 (droit à une nourriture suffisante, 1999) ; n° 13 (droit à l’éducation, 1999) ; n° 14 (droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, 2000), et n° 15 (droit à l’eau, 2002). Dans cette dernière Observation générale, le Comité note : « le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie digne. Il est une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’homme ».

En 1989, le Comité commença à débattre sur les droits contenus dans l’article 11 du Pacte, mettant l’accent à cette occasion sur le droit à une alimentation adéquate3. Entre autres choses, certains membres dirent que les individus, en tant que sujets du droit international, avaient la faculté d’exiger le respect des obligations du Pacte (paragraphe 319 du Rapport annuel du Comité), que la négation du besoin humain de s’alimenter constituait la violation d’un droit humain et qu’il devait exister un droit coutumier à entamer une action contre l’État s’il existait une privation systématique de l’accès aux aliments (paragraphe 321), que l’excédant des ressources mondiales d’aliments était patrimoine commun des affamés et des pauvres et que ce serait un déni de justice que de leur refuser l’accès à ces ressources (paragraphe 322). Le représentant de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation) dit que le droit de toute personne à être protégée contre la faim était un droit fondamental établit dans le paragraphe 2 de l’article 11 du Pacte se référant clairement au droit à la vie4. Dans l’Observation générale n° 12 sur le droit à une nourriture suffisante, il est déclaré : « le droit à une nourriture suffisante est d’importance fondamentale pour la jouissance de tous les droits. Ce droit s’applique à toutes les personnes ».

Dans l’Observation générale n° 3 (1990), le Comité s’est prononcé sur la nature des obligations des États parties qui découlent de l’article 2, paragraphe 1 du Pacte5. Il est écrit, entre autres choses, que l’adoption de mesures législatives ne dispense en aucun cas les États de leurs obligations (paragraphe 4), car il faut donner à l’expression « par tous les moyens appropriés », tous le sens qu’elle contient ; qu’entre les mesures appropriées il faudra prévoir des recours judiciaires permettant de faire valoir les droits consacrés dans le Pacte qui sont d’application immédiate (voir les articles 3, 7.a.i, 8, 10.3, 13.2.a, 13.3, 13.4 et 15.3 du Pacte, cités dans le paragraphe 5 de l’Observation N° 3). Il est aussi précisé que si les États ont une obligation de résultats (« adopter des mesures… pour atteindre progressivement… la pleine effectivité des droits ici reconnus ») cela ne signifie pas pour autant que les États n’aient pas d’obligations immédiates dans le sens d’une action rapide et efficace pour atteindre les objectifs énoncés dans le Pacte. Toute mesure délibérément régressive doit être examinée avec le plus grand soin.

Pour qu’un État puisse invoquer le manque de ressources lorsqu’il n’accomplit pas ses obligations fondamentales minimales, il doit démontrer qu’il n’a omis aucun effort pour utiliser les ressources à sa disposition en vue d’accomplir, comme première priorité, ces obligations minimales (paragraphes 4, 5, 9, 10 et 11 de l’Observation générale n° 3).

Dans l’Observation n° 9 (1998), le Comité s’est prononcé sur l’application du Pacte sur le plan national6 en précisant la portée de l’Observation n° 3 et déclare, entre autres choses, que l’article 8 de la Déclaration universelle est applicable aux droits économiques, sociaux et culturels (recours effectif) et que, bien que le Pacte ne contienne aucune disposition similaire au paragraphe 3 b) de l’art. 2 du Pacte des droits civils et politiques (recours juridictionnel), les « moyens appropriés » mentionnés dans l’article 2 du Pacte des droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), peuvent se montrer inopérants s’ils ne sont pas complétés par des recours juridictionnels (emphase ajoutée) (paragraphe 3 de l’Observation générale n° 9).

3. La nécessité d’établir un protocole facultatif avec une procédure quasi juridictionnelle de plaintes devant le CODESC se fait sentir depuis longtemps. Il faut signaler que le CODESC est l’un des deux seuls comités des six Pactes et Conventions7 qui n’en possède toujours pas (l’autre est celui des droits de l’enfant).

La nécessité d’une procédure quasi juridictionnelle est devenue impérative car elle permettait de stopper la formation à échelle mondiale d’un « droit corporatif » qui nie le principe fondamental de l’égalité de tous et toutes devant la loi, le propre de l’État de droit, et établit des privilèges exhorbitants en faveur des sociétés transnationales, principaux vecteurs des violations aux droits économiques, sociaux et culturels à l’échelle mondiale.
Ce « droit corporatif » s’est concrétisé par un réseau planétaire de normes contraires au droit public national et international en vigueur, par des traités bilatéraux de protection des investissements étrangers (plus de 2000 actuellement en vigueur), par des traités régionaux comme l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA-NAFTA) ou le projet de la Zone de libre échange des Amériques (ZLEA-ALCA), ou encore par des accords multilatéraux comme ceux de l’Organisation mondiale du commerce : sur le commerce des services (GATS), sur les mesures en matière d’investissements relatifs au commerce (TRIM), sur les aspects de la propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC-TRIPS), etc.

Ce « droit corporatif » a ses juridictions spécifiques. L’une est représentée par le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI-ICSID) dont le président n’est autre que le président de la Banque mondiale et dont les normes de référence n’incluent ni celles qui se réfèrent aux droits humains ni celles qui ont trait au droit de l’environnement. Le CIRDI, avec le manque d’objectivité et d’impartialité qui caractérise la Banque mondiale, règle les litiges entre les sociétés transnationales et les États (136 États font partie du CIRDI) qui acceptent de se soumettre à cet arbitrage.

L’autre est l’Organe de règlement des différends de l’OMC, qui est en train de créer par la voie de la jurisprudence un ensemble de normes internationales qui échappent totalement au contrôle des États et ignore -comme c’est le cas pour le CIRDI- les normes de base du droit international et des droits de l’homme.

II. LE PROJET DE PROTOCOLE FACULTATIF ÉLABORÉ PAR LE CODESC

Le représentant de l’AAJ a activement participé aux débats du Comité qui aboutirent à l’élaboration du Projet, avec documents écrits et interventions orales8.
Le projet élaboré par le PIDESC (E/CN.4/1997/105) constitue une bonne base de travail pour le Groupe de travail de la Commission des droits humains, mais nous désirons signaler, sans entrer dans les détails9, certains aspects du projet qui doivent être améliorés.

1. D’une part, le Projet n’inclut pas les États parmi ceux qui peuvent présenter des plaintes. De cette façon, le Projet s’écarte des autres Traités internationaux, tels que le Pacte des droits civils et politiques et les Conventions contre la torture et contre la discrimination raciale. L’argument selon lequel les procédures entre États s’utilisent peu n’a qu’une valeur relative. De toute manière, exclure les États est un contresens juridique puisqu’ils sont parties intégrantes du droit international en tant qu’acteurs dans un instrument international.
C’est pour cela que nous estimons qu’il faut ajouter au Projet un article se référant à des communications faites par les États.

2. D’autre part, le Projet exige du plaignant qu’il appartienne à la juridiction de l’État accusé. Bien que ce point fut longuement débattu par le Comité à l’initiative de la AAJ, le document de présentation du Projet (1997/105) ne fait mention d’aucun argument qui puisse justifier cette restriction au droit des victimes. Le texte du projet sur ce point reprend littéralement celui de l’article 1er du premier Protocole facultatif du Pacte des droits civils et politiques. Mais le Comité des droits de l’homme a eu de grandes difficultés à remplir sa tâche à cause de cette clause restrictive dont il n’a pu s’affranchir que grâce à une jurisprudence très bien argumentée : « Il serait insensé d’interpréter la responsabilité des États selon les termes de l’article 2 du Pacte si cela leur permettrait de perpétrer des violations au Pacte dans le territoire d’un autre État alors qu’ils ne pourraient pas les perpétrer dans le leur»10.

Prenons l’exemple suivant. Les citoyen-ne-s du Panama, d’Irak (guerres de 1991 et 2003), d’Afghanistan ou de l’ex Yougoslavie qui perdirent leur logement à cause des bombardements étatsuniens, britanniques ou français, ne pourraient pas dénoncer la violation à leur droit au logement devant le CODESC parce qu’ils ne relèvent pas de la juridiction des États auteurs de cette violation. De nombreuses situations similaires peuvent être évoquées dans lesquelles les victimes seraient dans l’impossibilité de présenter une plainte devant le Comité parce qu’ils ne se trouvent pas sous la juridiction de l’État auteur de la violation.
C’est pour cela que nous avons insisté auprès du Comité, et nous insistons encore aujourd’hui, pour supprimer de l’article 1er du Projet la phrase : « relevant de sa (de l’État) juridiction ».

3. Le troisième thème de préoccupation est que dans le Projet, la possibilité que les ONG agisse sur leur propre initiative a été exclue. Selon le Projet, les ONG ne pourront agir qu’au nom ou en représentation des victimes directes.
Le paragraphe 22 du projet de protocole présente un panorama « catastrophique » de ce qui pourrait arriver si l’on autorisait les ONG à agir de leur propre initiative. Pourtant, les ONG ont le droit d’agir de leur propre initiative dans plusieurs instruments régionaux, tels que la Convention américaine, la Charte africaine ou le Protocole additionnel à la Charte européenne de 1995 et il n’en a résulté aucune de ces « catastrophes » prédites par le Comité dans le paragraphe 22.
Les victimes de violations des droits économiques, sociaux et culturels sont les secteurs les plus vulnérables de la population qui, en général, ne disposent pas de l’information ou des moyens nécessaires pour se présenter devant les instances internationales. Si l’on ne donne pas aux ONG le droit d’exercer l’action populaire sans mandat des victimes pour dénoncer ce type de situation, on court le risque que les violations graves commises contre les secteurs les moins bien protégés et vulnérables de la population n’arrivent jamais à devenir l’objet de la procédure telle qu’établie par le protocole facultatif.
C’est pour cela que nous considérons que les ONG doivent avoir l’habilité de présenter des plaintes, selon les conditions établies dans les instruments régionaux.

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