Immigration et discrimination en Suisse et dans “le territoire Schengen”

11/11/1994

Avertissement : cette intervention, datant de 1994, met en avant la politique suisse des trois cercles qui n’est plus en vigueur à l’heure actuelle!

Monsieur le Président

Depuis quelques années, il est établi qu’un nouveau discours et de nouvelles pratiques de discrimination apparaissent. Bien qu’ils ne soient plus fondés sur le critères de races, mais sur celui de différences culturelles, on peut qualifier de racistes, dans la mesure où ils visent à l’exclusion de certains groupes et être humains. Ce discours et ces pratique se développent surtout à propos de l’immigration.

Sous l’impulsion du Ministre suisse M. Arnold KOLLER, le Conseil fédéral a pompeusement déclaré 1994 “l’année de la sécurité intérieure”, une sécurité à l’évidence envisagée du seul point de vue policier. Grâce aux modifications proposées sur la loi des étrangers et sur la loi de l’asile, elles le seront en effet, dans l’arbitraire juridique et policier le plus inquiétant, au détriment des étrangers qui vivent en Suisse. Cet esprit prévaut ici, mais aussi dans la plupart des pays européens, si l’on en croit les mesures envisagées par les accords de Schengen, dont l’application officielle est sans cesse repoussée.

Les modifications proposées prévoient entre autres une sorte de “rayon de déconsignation”, et l’assignation à résidence pour “un étranger qui n’est pas au bénéfice d’une autorisation de séjour et d’établissement et qui trouble ou menace la sécurité ou l’ordre public”. On s’attaque par là à des requérant d’asile soupçonné de délits mineurs, et on exerce un contrôle policier sur tous les étrangers, réfugiés, touristes, femmes et enfants de saisonniers, qui ne seraient pas au bénéfice d’un permis de séjour ou d’un permis d’établissement; on exige par là de ces personnes un comportement social dont la norme n’est inscrite dans aucun texte constitutionnel.

Prévoir qu’un étranger ne possédant pas d’autorisation régulière de séjour ou d’établissement, et qui n’a pas commis de délit, peut être détenu, trois mois durant, en attendant que les autorités statuent sur sa situation, c’est porter atteinte à une liberté fondamentale. Prévoir que “les étrangers frappés par une mesure de renvoi” peuvent être emprisonnés durant 3 fois 6 mois en attendant l’exécution de leur refoulement, c’est emprisonner sur la base de simples présomptions discriminatoires. Or le cumul de ces deux mesures sont équivalent à une détention de 15 mois.

Enfin, requérir du demandeur d’asile de fournir “déjà dans le centre d’enregistrement ses documents de voyage et ses pièces d’identité”, c’est formuler une exigence d’emblée intenable pour qui fuit -plupart du temps sans passeport, ni visa- un pays où il est persécuté.

Mais s’agit-il vraiment d’apporter un sentiment de sécurité (illusoire) à la population résidente sur le dos de ceux que l’on entend exclure de la société civile?

Au même moment où à l’Université de Genève se tenait un séminaire international sur “Violence et droit d’asile en Europe”, des représentants de différents pays voisins se réunissaient dans le plus grand secret dans une ville voisine de Genève pour un échange intergouvernemental consacré au retour des demandeurs d’asile déboutés. De manière significative, le droit d’asile n’y était plus envisagé sous l’angle de l’accueil, mais du point de vue, exclusif, du renvoi! Apparemment informelle, cette rencontre n’en est pas moins révélatrice d’une attitude de plus en plus répressive. Révélatrice de la politique de “verrouillage” menée par l’ensemble des pays occidentaux à l’égard de leurs voisins immédiats et des pays du Tiers-Monde, dont le modèle des trois cercles proposé par la Suisse est un exemple flagrant.

Créer un Etat sécuritaire européen surveillé par des organes de police, armé et organisé en réseau, c’est aussi là l’objectif No.1 de l’Accord de Schengen. Les nouvelles priorités fixées se fondent sur la base d’un prétendu constat, à savoir que la suppression des contrôles aux frontières intérieures pourrait engendrer un déficit sécuritaire. Les Etats de Schengen menaceraient de devenir un terreau favorable pour le crime organisé, le terrorisme et les étrangers “irréguliers”.

La mise en équation de l’immigration incontrôlée avec la criminalité et le terrorisme induit l’idée d’insécurité dans la population et favorise le développement du racisme. La thèse selon laquelle les contrôles aux frontières répondent à une fonction de sécurité importante est bien fragile. En vérité, le propos des “experts en sécurité” est tout autre: le processus de Schengen devra servir à l’élargissement massif des compétences des services de police.

Derrière de tels efforts se cache une mentalité sécuritaire qui depuis toujours est en opposition avec les principes de l’Etat de droit libéral. Pour les partisans de cette thèse, la protection de l’Etat contre toutes les menaces réelles ou illusoires constitue la priorité absolue.

Crime control, tel est leur mot d’ordre favori, importe des Etats-Unis: le crime doit être combattu avant même qu’il ne puisse être commis. Dans cette optique, même le plus inoffensif des citoyens peut être considéré comme un criminel potentiel.

Dans cette activité policière “préventive” pour le bien du peuple, la fin justifie les moyens: il faut accepter des atteintes aux droits fondamentaux et à la liberté des citoyens au nom de l’intérêt “supérieur” de la sûreté de l’Etat. Les garanties démocratique, comme le droit à une procédure équitable ou la séparation des pouvoirs sont perçus comme des obstacles fâcheux à l’exercice de la mission de sauvegarde de l’Etat.

Ainsi, tout étranger pénétrant dans le territoire de Schengen devra se soumettre à un contrôle plus sévère. L’autorisation de pénétrer dans le Territoire Schengen ne sera accordée à un étranger que s’il dispose des documents de voyage nécessaires, s’il peut attester du but de son voyage, s’il n’est pas interdit d’immigration et si, par ailleurs, il ne représente pas un danger pour l’ordre public, la sécurité nationale ou les relations internationale d’une des parties contractantes”. Arbitraire déjà, car ce sont les organes de police qui décident quelles sont les personnes qui représentent une telle menace. Les doute d’un seul Etat membre suffisent à bannir un étranger de l’ensemble de Territoire Schengen.

Les Etats membres dressent une liste commune des pays de provenance pour lesquels le visa est obligatoire. Considéré sous l’angle des droits de l’homme, le visa obligatoire a de tout temps constitué une pratique douteuse. De ce point de vue, l’octroi d’un visa est une sorte de grâce accordée par l’Etat d’accueil. Le refus est rarement motivé et les voies de recours contre une telle décision n’existent pas.

Or plusieurs dispositions de la Convention de Schengen sont contraires à la Convention de Genève sur le statut des réfugiés. Entre autres, les dispositions relatives au visa, les sanctions prévues à l’égard des compagnies aériennes qui transportent des passagers dont les documents de voyage ne sont pas en régle, les sanctions en cas de franchissement illégal des frontières, ainsi que le refus de l’asile en raison de prétendus motifs de sécurité.

L’article 46 prévoit entre les services de police le libre échange d’informations “qui peuvent être importantes pour la Partie contractante concernée aux fins d’assistance pour la répression d’infractions futures, la prévention d’infractions ou la prévention de menaces pour l’ordre et la sécurité public”.

Voilà un exemple caractérisé de clause générale applicable à tout un chacun: à leur guise et sans motivation, les services de police des Etats membres pourront échanger des informations relatives à des personnes qui, au sens pénal, ne sont pas suspectes.

Schengen Information System (SIS), telle est la dénomination de la banque de données commune des services de police des Etats de Schengen. Elle doit réunir 800’000 données personnelles dans une première phase, pour graduellement s’élargir à 5,5 millions d’entrées.

Conformément à l’esprit du crime control, le SIS ne se limitera pas à l’enregistrement des criminels recherchés; il couvrira aussi les personnes qui, par un comportement particulier, auront éveillé l’attention de la police. “La surveillance discrète” (à savoir, la surveillance d’une personne à son insu) sur demande de la police est autorisée selon l’article 99.3, si “des indices concrets” donnent à penser que les informations recueillies “sont nécessaires à la prévention d’une menace grave émanant de l’intéressé ou d’autres menaces graves pour la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat”. La disposition est sciemment formulée de manière à ce qu’il soit possible de procéder à une surveillance secrète dans le cas où la “menace grave” n’est pas le fait de la personne concernée elle-même. Une disposition à géométrie variable de plus, qui ouvre largement la porte à l’arbitraire de la police.

Pour les autorités, les réfugiés présentent un grand avantage: ils permettent d’expérimenter de nouvelles méthodes d’investigation et de surveillance, sans qu’aucun groupe de pression influent ne cherche à s’y opposer.

Mais les instruments dont disposent les autorités policières et les responsables en matière de réfugiés leur permettent d’aller bien au-delà d’une “simple” intimidation des ressortissants non européens considérés comme “indésirables”: Schengen, a normalisé les contrôles sur base de présomptions. Les suspects-types des fonctionnaires servent désormais de critères; les contrôles visuels d’ensemble peuvent conduire n’importe où et à n’importe quel moment à la criminalisation.

Toute personne qui ne correspond pas au “type moyen” court le risque croissant d’être soumis à des formes raffinées de répression. Ne correspondent par exemple pas au “type moyen”:

– les personnes qui ont la peau foncée d’un réfugié;
– celles qui parlent mal la langue dominante;
– celles qui semblent malades du SIDA;
– celles qui ont l’air fatiguées ou psychiquement affaiblies, en particulier les chômeurs-ses;
– les sans-abri;
– les femmes dont le visage reflète l’exploitation.

Voilà les cibles des nouveaux contrôle civils à l’intérieur du pays. Mais rien n’est mis en oeuvre pour remédier à la situation précaire de ceux et de celles dont on fait des suspects.

Ce ne sont là que quelques exemples des mesures discriminatoires qui président à la construction de l’Europe. Le livre que vient de publier le CETIM, s’intitulant “Europe: Montrez patte blanche” en apporte bien d’autres, ainsi qu’une réflexion sur ce qui sous-tend ces mesures limitant la circulation des personnes en provenance des pays non-européens: exclusion, racisme, refus d’une société multiculturelle.

Sous prétexte de sauvegarder “la sécurité intérieure”, des droits fondamentaux sont sur le chemin de disparaître. Cette disparition, on l’obtient en dressant les unes contre les autres les victimes de la même crise économique et sociale. Les nouvelles mesures préconisées en Suisse et en Europe font écho à la montée du racisme et de la xénophobie dans nos sociétés, elles-mêmes profondément inégalitaires. Ce discours rationalise la politique menée par ces gouvernements. Il est temps de réagir à ces lois, à ces accords qui vident de leur substance des droits difficilement acquis au cours des décennie précédentes, le droit d’asile en est un.

Pour conclure, comment peut-on sans sourciller admettre que des personnes puissent porter l’étiquette “indésirables”, sur la base de simples présomptions? Comment peut-on admettre aujourd’hui que, sous le couvert de la liberté d’expression, un référendum vienne demander qu’on s’oppose à la signature par la Suisse de la Convention de l’ONU contre les discriminations raciales?

Il est temps d’opposer à l’esprit d’exclusion de Schengen un esprit de solidarité et de justice, en exigeant que toutes le mesures prises soient soumises à un contrôle démocratique des Parlements nationaux et européens, et de la population civile de ces pays.

Monsieur le Président, je vous remercie de l’attention que vous m’avez accordée.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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