Monsieur le Président,
Nous avons ici en dossier quatre cas illustrant la situation intolérable des employés du secteur administratif, technique et de service de certaines missions diplomatiques accréditées auprès de l’ONU, ainsi que du personnel de service de plusieurs diplomates et fonctionnaires internationaux.
Volontairement, nous en tairons les noms.
Le premier cas concerne un ressortissant d’un pays asiatique employé comme domestique par un conseiller de la Mission du même pays auprès de l’OMC. Pendant près de deux ans et demi, cet employé n’a touché aucun salaire, mis à part l’équivalent en monnaie locale de quelque 2500 francs suisses versés directement à son père resté au pays. A peine a-t-il reçu un peu de nourriture, pour des journées commençant à 6h du matin et se terminant à 2h le lendemain matin, et ce sans aucun congé et avec interdiction de quitter la résidence.
Le deuxième cas concerne trois employés d’une Mission asiatique, tous trois honteusement sous-payés, et dont l’un, cuisinier, fut même séquestré et les autres harcelés.
Le troisième, la domestique africaine d’une fonctionnaire américaine au BIT qui touchait tout juste 300 frs par mois.
Le quatrième, une autre domestique employée par un fonctionnaire international guère mieux lotie.
Portés en justice – dont deux jusqu’à la plus haute cour de Suisse, le Tribunal fédéral – tous ces cas furent jugés en faveur des employés, les employeurs ont été condamnés à payer des arriérés et des réparations allant de quelque 20’000, à près de 100’000 francs suisses.
Certains de ces jugements remontent à près de cinq ans et le dernier à plus de six mois. Or, mis à part le versement d’à peine un tiers de la somme requise dans un cas et de 200 frs ( ! ) dans un autre, aucun de ces jugements n’a été exécuté !
Monsieur le Président,
Ces cas, dont nous nous permettrons de vous remettre les dossiers pendant la prochaine pause, ne sont que quatre exemples parmi des centaines de cas actuellement ouverts. Et, depuis 1948, on pourrait probablement totaliser plusieurs milliers de cas semblables.
Voici maintenant 8 ans que le Syndicat sans Frontières, constitué à Genève à l’instigation du personnel technique, administratif et de service, se bat pour que justice lui soit rendue et exige le respect:
a) de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
b) du Code civil et du Code des obligations suisses,
c) du Droit coutumier du pays hôte, ainsi que le prévoit dans son préambule la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, dont nous rappelons ici ces quelques lignes :
« Convaincus que le but des dits privilèges et immunités est non pas d’avantager des individus mais d’assurer l’accomplissement efficace des fonctions des Missions diplomatiques en tant que représentants des Etats,
Affirmant que les règles du droit international coutumier doivent continuer à régir les questions qui n’ont pas été expressément réglées dans les dispositions de la présente Convention ». (nous suspendrons là notre citation).
Sur la base du travail du Syndicat sans Frontières, le CETIM a eu le triste honneur d’intervenir à ce sujet à plusieurs reprises dans cette enceinte. Pourtant, hélas, rien n’a fondamentalement évolué et la justice suisse continue, de surcroît, à être bafouée, tout comme le sont, d’ailleurs, le droit international et le fondement éthique de l’Organisation des Nations unies.
Au vu de cet état de fait inacceptable, nous nous adressons directement à vous, Monsieur le Président. Nous vous demandons solennellement, à vous qui présidez ce haut lieu des droits de l’Homme, d’intervenir résolument :
– afin que cesse cette injure au droit et à la justice,
– que soit mis fin à cette impunité de fait, sous couvert d’immunité diplomatique,
– que soient respectés les jugements des tribunaux auxquels s’adressent les victimes,
– que toutes les victimes recouvrent leurs droits fondamentaux,
– que tous les travailleurs jouissent de conditions de travail acceptables, comme le prévoit la Déclaration universelle des Droits de l’homme dans ses articles 2, 4, 7, 8, 20, 22, 23, 25, 28 et 30.
Nous vous demandons en particulier d’intervenir personnellement pour que les diplomates et fonctionnaires, reconnus coupables de telles violations, jugés et condamnés par le Tribunal des prud’hommes ET le Tribunal fédéral, ne puissent être accrédités dans cette instance, ou dans toute autre instance en dépendant, qu’ils soient interdits de toute participation aux travaux de la Commission et de la Sous-commission, tant qu’ils ne se sont pas acquitté des réparations qui sont attendues d’eux.
Nous demandons aux Etats et aux organisations internationales employeurs des personnes fautives, et/ou condamnées, de faire pression sur leurs employés pour que ces derniers s’acquittent de leur dû, cessent de telles pratiques et respectent la Déclaration universelle des Droits de L’homme et la législation du travail.
Nous demandons enfin à tous les Etats membres de la présente Commission, et à chacun d’entre eux, de prendre l’initiative de soumettre à cette Assemblée un projet de résolution visant à mettre fin à cette situation. Il en va, à nos yeux, de l’honneur et de la réputation même de cette instance.
Avant de conclure, nous nous devons par ailleurs de prendre à témoin la Commission en ce qui concerne l’attitude du pays hôte qui, pendant 50 ans et en toute conscience, a malheureusement toléré sur son territoire ces violations des droits de l’homme1. Cela est grave.
Encore une fois, immunité ne saurait rimer avec impunité, ni le tact servir de refuge à l’injustice.
Il est grand temps, à notre point de vue, que chacun prenne ses responsabilités sans se réfugier derrière des questions formelles qui font injure à la noble cause que nous sommes censés défendre ici.
Merci, Monsieur le Président.