Droit à l’autodétermination du peuple kurde

11/11/1996

[Dans le cadre de sa séance du 21 mai 2012, le Comité de l’ECOSOC sur les ONG a pris acte du fait que la période de suspension de deux ans du statut consultatif du CETIM prendrait fin en juillet 2012. Lors de cette même séance, la Turquie (qui avait sollicité que cette sanction soit prononcée contre le CETIM) a déclaré qu’elle ne s’opposerait pas à la restitution au CETIM de son statut, tout en relevant le fait que le site internet du CETIM continuait à inclure les déclarations ou interventions litigieuses, qui selon la Turquie « violent la terminologie de l’ONU ». La Turquie a donc exigé que le CETIM prenne immédiatement les mesures nécessaires pour adapter le contenu de son site internet à la terminologie des Nations Unies. La Turquie a enfin annoncé qu’elle allait « suivre attentivement les activités du CETIM » et qu’elle se réservait le droit de solliciter à nouveau le retrait ou la suspension de son statut en cas de « nouvelles violations de la résolution 1996/31 ».

Au vu de ce qui précède, le CETIM tient à apporter expressément la précision suivante :
Dans toutes les déclarations ou interventions émanant ou souscrites par le CETIM portant sur les violations des droits humains dans ce pays, les termes :
1) « Kurdistan » ou « Kurdistan turc » (entité juridique reconnue en Irak et en Iran mais pas en Turquie) devront se lire « provinces kurdes de Turquie » ou « provinces du sud-est de la Turquie » et « Diyarbakir » devra se lire « chef-lieu » de ces provinces ;
2) « Guérilla kurde/Guérilleros » ou « Combattants kurdes » devront se lire « Forces armées non étatiques » ou « Groupes armés illégaux » (termes utilisés dans les documents et instruments internationaux).

Pour de plus amples informations, prière de se référer au dossier de défense du CETIM concernant la plainte de la Turquie à son encontre auprès du Comité des ONG de l’ONU en mai 2010.]

Monsieur le Président,
L’article premier alinéa 1, commun aux deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme, affirme «Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel». L’Assemblée générale de l’ONU, dans la déclaration 1514 (XV) en date du 14 décembre 1960, affirmait déjà dans le préambule «persuadée que le processus de libération est irrésistible et irréversible et que, pour éviter de graves crises, il faut mettre fin au colonialisme et à toutes les pratiques de ségrégation et de discrimination dont il s’accompagne…».

Pourtant, encore aujourd’hui, de nombreux peuples sont privés de ce droit fondamental!

Monsieur le Président,

Le CETIM est intervenu à maintes reprises dans cette enceinte sur le sort dramatique du peuple kurde. Ce peuple, comme dit un des plus ancien peuple du Moyen-Orient, est fort d’environ 30 millions d’individus. Même si jusqu’ici le peuple kurde n’a pas pu se constituer en Etat-nation, dans le sens moderne du terme, du fait des aléas de l’histoire -rappelons que le traité de Sèvres le prévoyait- il constitue bel et bien une nation millénaire, ayant sa propre langue, vivant sur un seul territoire, avec son économie, etc. A ce jour, ses droits fondamentaux sont bafoués sous les yeux de la communauté internationale. Le célèbre sociologue turc, Ismail Besikçi, fait le constat suivant: (…) «Le partage du Kurdistan lors de la Première guerre mondiale et les événements qui ont suivi, ainsi que le refus d’accorder aux Kurdes le droit de fonder leur propre Etat constituent le point crucial de la question kurde. » (…) «La France et l’Angleterre ont joué un rôle primordial dans le partage du Kurdistan. Leurs alliés les plus important dans la région étaient les Kémalistes, des monarques arabes et le monarque perse. C’est pourquoi les Turcs et les Perses ont chacun leur Kurdistan, que les Arabes ont deux Kurdistan, alors que les Kurdes n’ont même pas leur propre Kurdistan.» (…) (cf. Turquie de rêve… Turquie d’exil, CETIM 1995) Or, ce spécialiste de la question kurde depuis plus de vingt ans est pour cela la cible numéro un du terrorisme de l’Etat turc. Après les deux coup d’Etat militaires, en 1971 et 1980, il a été arrêté pour avoir défendu les droits fondamentaux du peuple kurde dans ses livres, et est resté en prison pendant des années. Incarcéré actuellement, il a été condamné à 203 ans de prison, peines confirmées à fin février 1996.

Aujourd’hui, le Kurdistan est toujours écartelé entre plusieurs Etats de la région; principalement entre l’Irak, l’Iran, la Syrie et la Turquie. Depuis des siècles, le Kurdistan a été convoité pour ses richesses; ainsi le peuple kurde a toujours été victime et souffre encore à ce jour de l’oppression et de l’exploitation des puissances étrangères. En Turquie, selon l’avis officiel, les Kurdes n’existent pas; en Iran, les Kurdes sont contraints à l’assimilation forcée; en Syrie les Kurdes sont ignorés et n’ont aucun statut; en Irak, les Kurdes sont théoriquement reconnus selon l’article 5 de la constitution irakienne (cf. Déclaration écrite de la Mission permanente de la République d’Irak, E/CN.1995/135). Mais, cet article n’a pas empêché le régime irakien de commettre des atrocités innommables à l’égard des Kurdes. Car depuis des décennies, des milliers de villages kurdes ont été rasés, des centaines de Kurdes ont été massacrés, voir gazés. Quant au régime turc, il n’a rien à envier à l’Irak, car il a déjà rasé, partiellement ou entièrement, environ 3’000 villages sur 10’000 que comptent le Kurdistan turc provoquant l’exode d’environ 4 millions de Kurdes. Bref, avec de légères nuances, selon le pays et suivant l’époque, la même image se trouve sur l’ensemble du territoire; le peuple kurde est privé de ses droits fondamentaux: assimilé, massacré, déporté, exproprié.

Monsieur le Président,

Après la Guerre du Golfe en 1991, le Conseil du sécurité, par sa résolution 688, a déclaré une partie du Kurdistan irakien, au nord du 36e parallèle, «zone d’exclusion aérienne». Et en mai 1992, l’ONU a organisé des élections législatives dans cette partie du Kurdistan. Cependant on ne sait pas trop le statut exacte des Kurdes qui y résident et les Kurdes ne sont toujours pas représentés à l’ONU.

Par ailleurs, bien que le Kurdistan irakien soit théoriquement placé sous la protection de l’ONU, l’armée turque et iranienne agissent dans cette région en toute liberté: des raids aériens, des bombardements de villages par canons et des assassinats politiques sont très fréquents. Deux exemples récents parmi d’autres: le 2 mars 1996, l’armée turque, mobilisant environ 50’000 soldats, a pénétré 5 km à l’intérieur des frontières du Kurdistan irakienne. Quant aux forces armées iraniennes, elles ont assassiné le 17 mars 1996 à 17h30 dans le village Bahraka (dans la province d’Erbil) 4 Kurdes iraniens, membres du Parti Démocratique du Kurdistan iranien (PDKI), réfugiés dans cette région. Il s’agit de Felemaz Kechveri, Osman Rahimi, Tahir Azizi et Hasan Ibrahimzade.

De plus ces 4 Etats, ne se contentent pas de violer quotidiennement les droits de l’homme envers les Kurdes pour maintenir le statu quo et leur domination, mais ils fomentent, suscitent et entretiennent constamment des guerres fratricides entre fractions Kurdes, allumant ainsi de nouveaux foyers de violences.

Monsieur le Président,

Entre tous ces constats de violations des droits de l’homme il y a un dénominateur commun: la négation du droit à l’autodétermination du peuple kurde. Il est temps que la communauté internationale reconnaisse que c’est là l’origine de l’instabilité dans la région et qu’elle corrige l’erreur historique commise par les grandes puissances de l’époque avec le Traité de Lausanne. La cessation de violations des droits de l’homme dans cette région et le retour de la sécurité passent par là. Il n’y aura jamais la paix dans cette zone tant que le peuple kurde n’aura pas recouvré ses droits.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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