Dette extérieure des pays du Sud et équité

11/11/1999

Madame la Présidente,

Depuis une vingtaine d’années, au nom d’une prétendue «maîtrise» de la dette extérieure de leur pays, les peuples du Sud, puis ceux de l’Est, se sont vu imposer les plus grands sacrifices, les pires reculs:

– suppression de centaines de milliers de postes de travail, salaires rabaissés, coupes dans les budgets sociaux, précarité devenant règle, contre-réformes agraires;
– privatisation, bradage des biens publics, dépendance économique accrue;
– renforcement des appareils de répression, «démocratisations» devenues sans contenu, «développement» sans connexion avec les besoins sociaux et régression de fait, abandons de souveraineté, mise sous tutelle, dignité bafouée, avenir hypothéqué…

Et, tout ceci, pour quels résultats ?

Selon les Nations Unies, de 1980 à 1992 les pays du Tiers Monde ont versé à leur créanciers du Nord une somme trois fois supérieure à leur dette initiale… pour se retrouver, finalement, trois fois plus endettés;

De surcroît, jamais le fossé entre pays riches et pays pauvres et les polarisations sociales à l’intérieur des pays n’ont été autant accentués; jamais la jouissance de droits économiques et sociaux minimum n’est apparue aussi éloignée pour la majorité de la population de la planète; jamais le droit au développement pour des peuples entiers n’a semblé aussi vide de sens.

Ni les «filets sociaux», ni les plans d’allégement de la dette pour les pays les plus pauvres, aussi bienvenus soient-ils, ne changerons la situation. C’est de politique qu’il faut changer, à commencer par les principes mêmes de comptabilisation, de responsabilité de la dette.

En particulier, le principe de la «continuité de l’Etat», induit la prise en otage -par des créanciers sans scrupules-, de populations entières. Celles-ci semblent destinées à payer à perpétuité pour des prêts dont elles n’ont pas été bénéficiaires, pire qui ont parfois servi à accroître leur malheur.

Madame la Présidente,

Est-il juste, que le peuple argentin paie pour des dettes contractées par ses tortionnaires et qui ont servi, en fin de compte en bonne partie, à brader les richesses du pays?

Est-il juste, que le peuple ruandais paie pour des achats qui ont servi à armer ses bourreaux ?

Est-il juste que le peuple d’Afrique du Sud soit tenu redevable de prêts qui ont servi à consolider le régime d’apartheid ?

Est-il juste, que des communautés paysannes ou indigènes, déjà chassées de leur terre par des méga-projets de barrage, de plus sans aucune indemnité la plupart du temps, payent par deux fois au nom de la dette d’Etat auprès de la Banque mondiale?

Est-il juste que des peuples aient à répondre des dettes contractées par les filiales de multinationales installées sur leur territoire auprès de leurs sociétés mères, à l’heure où celles-ci délocalisent, licencient, obtiennent non seulement des exonérations fiscales mais exigent le rapatriement sans limite de leurs bénéfices?

Poser ces questions, c’est y répondre, en tout cas pour toute personne éprise de justice. Pourtant, jamais la dette n’est décortiquée, dans toutes ses composantes. C’est pourquoi, se faisant le porte-parole de divers mouvements citoyens dans le monde, le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) préconise depuis plusieurs années la constitution d’une procédure internationale pour exclure de la responsabilité des Etats la partie de la dette devant être considérée comme illégitime et/ou amplement remboursée par des intérêts usuraires (cf. par exemple E/CN.4/1994/NGO/16).

Ce serait un moyen efficace pour briser le cercle vicieux par lequel des Etats contractent sans fin de nouvelles dettes pour rembourser les anciennes ou pour payer leur service. Il n’y a aucune raison pour que les peuples du Sud, ou de l’Est, continuent à se saigner pour des dettes frauduleuses, des créances aventureuses. Et, il n’y en a pas davantage pour que les contribuables du Nord se substituent à eux pour rembourser leurs créances, même soldées, à des banquiers imprudents, indélicats et cupides.

Mais en attendant la constitution d’une telle instance internationale d?arbitrage, le CETIM ne peut qu’encourager les syndicats, les mouvements populaires de chaque pays endetté, à instruire ces dossiers et à faire pression sur leur gouvernement afin qu’ils répudient cette partie de la dette parfaitement illégitime représentant sans doute, pour chaque pays, une proportion considérable de la dette injustement comptabilisée comme faisant partie de «sa» dette extérieure.

Cet examen devrait naturellement avoir une portée rétroactive…

Par ailleurs, au vu des résultats d’évidence éminemment négatifs des Programmes d’ajustement structurel et, plus généralement, des politiques néolibérales dont ils sont l’un des plus redoutables fers de lance, le CETIM estime que la présente Commission devrait en toute logique, au nom de la défense et de la promotion des droits économiques, sociaux et culturels et du droit au développement, encourager les pays endettés du Sud et de l’Est à refuser les ukases du FMI et de la Banque mondiale, les inciter à rejeter de telles politiques comme contraires aux intérêts des peuples et, pour se faire, à se liguer en un front du refus de cette orientation suicidaire. La Commission devrait non seulement encourager les gouvernements du Sud à le faire, mais aussi les assurer de son plein soutien dans cette entreprise salutaire qui exige beaucoup de courage et de détermination.

Il en va de la promotion de la paix, d’une démocratie véritable et de la souveraineté des nations face au règne de l’argent, des sociétés transnationales et du réseau des spéculateurs.

Madame la Présidente, je vous remercie de votre attention.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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