Dès lundi, Genève accueillera la onzième session du Groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits humains. Un groupe qui réunit gouvernements et société civile depuis 2015 sans avoir encore abouti à un accord. Dans le contexte international actuel, une large coalition regroupant des mouvements sociaux, ONG progressistes, syndicats, peuples autochtones et organisations paysannes appelle à manifester dimanche. Entretien avec Raffaele Morgantini, représentant du Centre Europe – Tiers monde (CETIM) auprès des Nations unies et coordinateur de la mobilisation.
L’eurodéputée et militante franco-palestinienne Rima Hassan prendra part à cette manifestation co-organisée avec plusieurs entités suisses, dont BDS, le Collectif Urgence Palestine, la Coordination étudiante pour la Palestine et d’autres groupes concernés.*
Quelles revendications seront-elles portées?
Raffaele Morgantini (CETIM): La mobilisation s’organise autour de l’idée que les multinationales doivent rendre des comptes pour leur rôle dans le génocide à Gaza. Et ce, malgré le cessez-le-feu en vigueur. Nous voulons visibiliser la problématique de la complicité des multinationales dans le génocide. Pour rappel, la rapporteuse spéciale des Nations unies, Francesca Albanese, a établi un lien direct entre ces sociétés et le génocide en cours. Des entreprises comme Glencore, Google, Microsoft ou Amazon ont directement contribué au maintien de l’occupation et des crimes en Palestine en fournissant du soutien matériel et technologique à Israël.
Parmi nos revendications, l’instauration de sanctions légales contre Israël, un embargo militaire, la fin des accords de libre-échange ou encore l’arrêt de toute collaboration publique avec les entreprises complices.
Pourquoi lier ce soutien aux Palestinien·nes au groupe de travail du Conseil des droits humains?
Nous estimons qu’un futur traité, soit l’objectif du groupe de travail, pourrait constituer un outil juridique au service des peuples pour demander des comptes et que justice soit faite en cas de violation des droits humains. Il y a une exigence de cohérence: si on condamne les crimes de guerre, alors il faut condamner les intérêts économiques qui les rendent possibles.
Ce qui se joue à Gaza est rendu possible par la permanence d’un système économique qui récompense la dépossession en toute impunité. Gaza en est l’exemple le plus marquant.
Cela fait dix ans maintenant que le groupe de travail planche sur un traité, sans résultat? Pourquoi?
Les discussions portent sur un cadre qui mettrait des obstacles à la toute puissance des multinationales. C’est un objectif ambitieux, car ces sociétés sont des acteurs fondamentaux du système économique basé sur leur pouvoir. De fait, ce processus dérange les élites. Les transnationales s’appuient sur les gouvernements du Nord global et des lobbys. Si au départ, ils ont tenté de tuer le processus, ils visent maintenant à diluer le contenu du futur traité international. Les pays du Nord et les lobbys travaillent à un traité dépourvu de mécanismes permettant de s’attaquer efficacement à l’impunité de multinationales.
Les ONG et les pays du Sud global n’arrivent-ils pas à peser?
Les pays du Sud Global ne parlent pas d’une seule voix. Certains restent sous influence néo-coloniale à cause de pressions, de menaces ou de corruption. Notre travail est de faire changer ce rapport de force et de montrer qu’un traité contraignant permettrait à ces pays et à leurs populations de retrouver leur souveraineté. Ce serait un levier pour une souveraineté nationale et populaire digne de ce nom. Cela permettrait de fonder des systèmes économiques plus résilients, durables et humains.
Le Traité sur les multinationales est une condition pour que le droit international retrouve son sens, celui de défendre la vie et la dignité, pas les profits.
Peut-on espérer voir un jour un·e patron·ne de multinationale devant les juges? Ou est-ce un fantasme?
C’est tout à fait possible. Les jurisprudences le démontrent. Il est déjà arrivé que des dirigeants soient jugés et tenus pour responsables des crimes commis dans le cadre des activités des entreprises dirigées. Ce qui est plus compliqué, c’est de s’attaquer à l’architecture qui sous-tend le pouvoir. Un des grands enjeux, c’est que ce ne soient pas uniquement les personnes physiques qui soient punies, mais également les personnes morales, soit les transnationales en tant qu’entités. Car ce n’est souvent pas une personne qui est responsable des actes, il s’agit également d’une politique d’entreprise qui doit être considérée comme telle. Il faut juger une double responsabilité.


