COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME
57e session
19 mars – 21 avril 2001
Lire la déclaration écrite du CETIM
Le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) et Women in law and development in Africa (WILDAF) souhaitent attirer l’attention de la 57ème session de la Commission des droits de l’homme sur la nature et les conséquences néfastes pour l’Afrique de la loi relative à « la croissance et les possibilités économiques en Afrique », votée le 18 mai 2000 par le Congrès des États-Unis d’Amérique.
Connue sous le nom Africa Growth and Opportunity Act (AGOA), cette loi établit -jusqu’en 2008- un règlement concernant les relations économiques et commerciales entre les États-Unis et 48 pays africains (excepté Maghreb) . Si l’intitulé de ce texte permet d’augurer des lendemains meilleurs pour les « bénéficiaires », il n’en est rien quand on procède à l’analyse de cette loi.
En effet, l’analyse des conditions posées par les États-Unis d’Amérique pour « bénéficier des relations commerciales et des investissements » révèle les mauvaises intentions des autorités nord américaines et leur désir de dominer le monde. La liste des pays concernés, les motifs qui ont présidé à leur choix, les conditions qui leur sont imposées et l’examen détaillé des conséquences que cette loi aura pour l’un d’entre eux, en l’occurrence l’Île Maurice, illustreront notre propos.
Les pays concernés
La loi visée retient pour principal motif le fait que l’Afrique Subsaharienne est « une région riche en ressources naturelles et en capital humain… dotée d’un potentiel économique considérable et qui revêt une importance politique durable pour les États-Unis ». Voilà qui est clair: ce sont les intérêts politiques des États-Unis d’Amérique qui sont à la base de l’adoption d’une telle loi. Par contre, il n’est nul part expliqué pourquoi ces pays « riches et dotés d’un potentiel économique » n’ont pas pu se développer. La loi déclare simplement que le commerce et les investissements contribuent au développement et elle établit un lien entre le développement économique et la liberté politique.
Bien que l’AGOA instaure un arrangement commercial entre les États-Unis d’Amérique et la majorité des pays africains, elle n’a pas été le fruit de négociations multilatérales mais s’impose comme une loi unilatérale, extraterritoriale de surcroît, émanant des États-Unis d’Amérique. De plus, seul le Président (des États-Unis) désignera quels seront les pays » bénéficiaires » de l’AGOA et quels seront le cas échéant les pays révocables. La tutelle des États-Unis est donc clair, il n’y a ni justice, ni égalité, ni recours possible dans cette relation. L’AGOA est une nouvelle forme de colonisation dans laquelle les États-Unis d’Amérique tentent de s’accaparer les richesses des pays africains alors que la grande majorité de leurs citoyens restent dans l’ignorance de l’ensemble des conséquences de cet acte sur eux.
Les conditions imposées
Le choix des pays « bénéficiaires » obéit aux conditions suivantes :
En outre, comme indiqué plus haut, c’est le Président des États-Unis d’Amérique qui déterminera si un pays d’Afrique subsaharienne est « admissible » à l’AGOA et/ou procédera à sa « radiation ».
Enfin, trois conditions relatives au respect des droits humains, à savoir : être acquis à la primauté du droit, à l’éradication de la pauvreté ainsi que la promotion des libertés politiques sont exigées. Si à première vue, ces dernières paraissent louables, les organisations et mouvements africains craignent que les États-Unis d’Amérique ne s’en servent uniquement pour imposer un chantage aux pays qui tentent de défendre leurs intérêts économiques et politiques.
Que signifient les conditions imposées par l’AGOA?
L’AGOA vise à implanter unilatéralement l’économie de marché dans toute l’Afrique. Celle-ci signifie que toute l’économie doit fonctionner sur une base capitaliste : l’eau, l’électricité, les télécommunications et les services sociaux doivent être inclus dans ce système. Cela équivaut à dire que les gouvernements doivent vendre tous les biens publics, en les privatisant et en accepter les conséquences : licenciements massifs, précarisation des conditions de travail et accroissement de la pauvreté.
La suppression des subventions étatiques et du contrôle des gouvernements sur les prix revient à condamner l’agriculture nationale et la production locale des pays africains, puisque ces derniers n’ont pas les moyens de concurrencer les produits des Sociétés transnationales (STN) nord américaines. Ceci laminera davantage la souveraineté alimentaire de ces pays dont les conditions de vie des populations sont déjà très dures.
De même, le traitement égal des investisseurs étrangers et des investisseurs locaux équivaut à livrer complètement ces pays aux STN, mettant fin à tout espoir d’indépendance en matière économique et politique.
L’acceptation de l’AGOA signifiera donc l’obligation pour les économies africaines de s’ouvrir aux STN nord américaines sans aucune condition et sans pouvoir exercer aucun contrôle sur elles. La non satisfaction des conditions imposées par l’AGOA autorisera les États-Unis d’Amérique à fermer leurs frontières aux produits africains. Par contre, la réciproque ne sera pas vraie : les marchandises africaines continueront, elles, à être soumises à de très sévères conditions pour pouvoir pénétrer le marché américain. En un mot, l’acceptation de l’AGOA signifie pour les pays africains le renoncement non seulement à la souveraineté économique, mais aussi à la souveraineté politique et leur soumission totale aux États-Unis d’Amérique, puisque entre autres ils resteront tenus de ne pas porter « atteinte à la sécurité nationale des États-Unis ou à leurs intérêts en matière de politique étrangère ».
Dans ce contexte, il est à souligner que les États-Unis d’Amérique font perpétuellement campagne pour la mondialisation du « marché-libre ». Ils proclament la nécessité d’ouvrir toutes les frontières. Mais lorsqu’il s’agit de leur propre marché, ils ne sont plus disposés à parler de liberté du marché. Par conséquent, doit-on considérer, lorsque ce pays évoque les « libertés fondamentales » qu’il parle avant tout de liberté pour leurs entreprises transnationales?
L’AGOA et ses conséquences pour la République de Maurice
Certaines conditions spécifiquement mentionnées dans l’AGOA menacent l’emploi dans l’Île Maurice et les conditions de travail dans la région:
Différentes réactions face à l’AGOA
Depuis que l’AGOA a été proposée et avant qu’elle ne soit adoptée, de nombreuses prises de positions divergentes ont été exprimées par différents secteurs économiques et politiques des pays africains.
Le patronat mauricien, particulièrement celui de l’importante usine textile Floreal Knitwear a organisé un fort lobbying aux États-Unis d’Amérique pour convaincre les Représentants et les Sénateurs américains de voter l’AGOA. Floreal Knitwear a investi beaucoup d’argent dans cette campagne et a délégué un de ses hauts responsables, M. Maurice Vigier de Latour pour diriger les négociations. M. Peter Craig, un conseiller politique, attaché à l’ambassade de Maurice aux États-Unis d’Amérique a aussi été partie prenante du lobbying.
Au niveau diplomatique, le gouvernement mauricien a donné non seulement son plein soutien à M. Vigier de Latour et au secteur privé, mais il s’est aussi efforcé de saper les résistances africaines (le gouvernement sud-africain de Nelson Mandela à l’époque en tête) qui s’opposaient aux conditions imposées par l’AGOA. Cet exemple flagrant démontre comment des autorités démocratiquement élues se mettent au service des intérêts privés, faisant scandaleusement abstraction de la volonté populaire.
Aux États-Unis d’Amérique, des compagnies textiles se sont opposées à l’AGOA parce qu’elles ont senti leurs profits menacés et l’arrivée massive sur le marché américain des marchandises à très bas prix en provenance d’Afrique.
Les mouvements syndicaux aux Etats-Unis d’Amérique s’y sont également opposés pour le motif que cette loi menacerait l’emploi, surtout dans le secteur du textile, pour les travailleurs américains. Par ailleurs, plusieurs organisations et mouvements sociaux se sont mobilisés pour contrer cette loi lors des grandes manifestations qui se sont déroulées à Seattle en 1999.
All Workers Conference, une plate-forme initiée en 1996 par Lalit et les militants syndicaux, s’oppose depuis plusieurs années aux conditions attachées à l’AGOA et a diffusé par e-mail une lettre émanant du mouvement syndical américain. Cette lettre, distribuée à tous les représentants du Parlement nord-américain, vise à expliquer clairement pourquoi les conditions liées à l’AGOA sont néfastes aux peuples africains.
A l’initiative du Mouvement féministe mauricien (Muvman Liberasyon Fam), les mouvements féministes africains (WILDAF) ont élaboré une déclaration signée par 218 organisations de femmes originaires de toutes les régions d’Afrique. Elle a été transmise aux sénateurs nord américains par l’intermédiaire d’associations nord américaines. D’autres actions ont également été engagées par d’autres réseaux africains notamment ceux liés au mouvement ATTAC.
Toutes ces actions ont créé aux Etats-Unis d’Amérique un grand élan vers un mouvement d’opposition à l’AGOA et ont même permis aux représentants du Parlement de présenter une loi alternative appelée « Hope for Africa Bill » (L’espoir pour l’Afrique) dans laquelle n’existe aucune condition à l’entrée des marchandises et des services africains sur le marché américain. Mais cela n’a pas suffit à empêcher l’adoption de l’AGOA. La campagne contre l’AGOA doit se poursuivre, étant donné que cette loi:
Au vu de ce qui précède, le CETIM et WILDAF recommandent à la Commission des droits de l’homme de nommer un expert dont le mandat consistera à étudier la conformité de l’AGOA aux règles des droits de l’homme, en ayant à l’esprit: