Sociétés transnationales et respect des droits de l’homme: critique du projet de normes du Groupe de travail

11/11/2003

Le projet des normes sur les responsabilités des STN et autres entreprises commerciales en matière des droits de l’homme du Groupe de travail sur les Sociétés transnationales et le mandat qui lui a été confié par la Sous-Commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme

I. INTRODUCTION

Dans la dernière version (avril 2003) du Projet des normes sur les responsabilités des STN et autres entreprises commerciales en matière des droits de l’homme du Groupe de travail sur les sociétés transnationales on peut constater :

Que, en relation avec l’avant dernière version, excepté un ajout dans le préambule sur l’égalité des droits entre l’homme et la femme, une mention à la bioéthique et au principe de précaution dans l’article 14 et le nouvel article 17, où il est dit, et c’est important, que les Etats doivent renforcer leur législation, presque aucune des propositions de l’AAJ et du CETIM, en ce qui concerne la structure, la forme et le fond du projet, n’a été prise en considération.

A nos yeux, beaucoup de questions essentielles demeurent de ce fait sans solution. Après quatre ans de débats, de l’organisation d’un séminaire pluridisciplinaire1, de la production de nombreux documents et de la réunion organisée par l’Association Américaine de Juristes et le Centre Europe-Tiers Monde au Palais Wilson de Genève (Bureau du Haut Commissaire des Nations Unies pour les droits de l’homme) avec le Groupe de travail les 6 et 7 mars 20032, ce résultat reste peu encourageant.

II. LE GROUPE DE TRAVAIL CONTINUE A IGNORER PLUSIEURS PROPOSITIONS ET OBSERVATIONS ESSENTIELLES DE L’AAJ ET DU CETIM POUR QUE LE PROJET FOURNISSE UNE REPONSE SERIEUSE ET COHERENTE AUX PROBLEMES POSES PAR LES STN

1. Dans le projet les STN ne sont pas les seules qui continuent à être citées, d’autre types d’entreprises le sont aussi, ce qui dilue et dénature l’objet du mandat de la Sous-commission.
Le Projet du Groupe de travail devrait s’occuper des STN et desdites « autres entreprises » dans la mesure où ces dernières sont, de fait ou de droit, des filiales des STN, même si elles ont l’apparence des sociétés nationales autonomes.

Les fournisseurs, les preneurs de licence et les sous-traitants doivent aussi entrer dans le cadre du Projet en fonction de leurs rapports avec une ou plusieurs STN, afin de faire partager à ces dernières la responsabilité pour les violations des droits de l’homme (en particulier du droit de travail) commises par les premiers dans le cadre du contrat qui les lie.

Les sociétés transnationales constituent un phénomène de la société contemporaine d’une énorme importance et ampleur ; elles posent des problèmes économiques, financiers, juridiques, sociaux et humains spécifiques.

Leur caractère transnational, leur versatilité économique et juridique, leur énorme puissance économique et financière et leur grande influence politique et sociale ne sont pas les moindres de ces problèmes. Lesdites caractéristiques constituent en plus des obstacles importants pour les tentatives d’exercer un contrôle social sur les STN.

Cette spécificité et ces caractéristiques des STN expliquent le fait que la résolution 1998/8 de la SCDH visait l’activité et les méthodes de travail des STN (et non pas de n’importe quel type d’entreprise) en relation avec la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels et du droit au développement. Ladite résolution signalait qu’un des obstacles qui s’opposent à l’exercice de ces droits consiste en la concentration du pouvoir économique et politique dans les mains des grandes entreprises transnationales.
C’est sur ces fondements que la SCDH a créé le Groupe de travail et a défini son mandat.

Ce mandat doit être interprété à la lumière de la proposition formulée par la SCDH à la Commission des Droits de l’Homme en 1999, concernant ses principales tâches. Parmi celles-ci, les répercussions de la mondialisation, y compris les méthodes de travail et les activités des STN, et leurs relations avec les droits de l’homme (voir document E/CN.4/Sub.2/1999/47, p. 2, de 25/8/99). Ce dernier document est en quelque sorte une approbation de l’orientation de la résolution 1998/8 de la SCDH.

2. Dans le projet ne figure toujours pas la responsabilité solidaire des STN pour les activités violatrices des droits de l’homme par leurs filiales, de fait ou de droit, et de leurs fournisseurs, sous-traitants et preneurs de licence.

Cette responsabilité des STN découle du principe de responsabilité collective ou responsabilité solidaire, même par omission, de tous ceux qui participent, d’une façon ou d’une autre (action collective), à la provocation d’un dommage, ce dernier faisant naître entre eux une obligation solidaire. Le fondement de cette responsabilité solidaire est que tout dommage doit donner un droit à réparation pour la victime et que celle-ci a le droit de demander la réparation conjointement à tous les responsables ou à celui ou ceux de son choix et si, ces derniers sont insolvables, de se retourner contre celui ou ceux qui est-sont solvable-s.

Le principe de responsabilité solidaire des sociétés transnationales est une question essentielle, tenant compte de la pratique habituelle des STN qui est d’externaliser les coûts et les risques et les responsabilités respectives – qu’assument exclusivement ou presque exclusivement les fournisseurs, les sous-traitants, les preneurs de licence et les filiales – en même temps que les premières obtiennent des gains extraordinaires3. L’omission de ce principe dans le Projet le vide presque de tout contenu parce qu’il assure l’impunité des STN.

3. La responsabilité civile et pénale des dirigeants des sociétés transnationales (gérants, membres du Directoire ou du Conseil d’Administration) ne figure toujours pas dans le Projet, alors qu’ils ont la faculté statutaire de prendre des décisions au nom de l’entreprise.
Au contraire, le Groupe de travail n’a pas accepté la proposition d’éliminer du Projet la responsabilité des cadres et des travailleurs, proposition fondée sur le fait que ces derniers ne prennent pas part dans les décisions mais qu’ils les subissent. Il ne faut pas oublier que les cadres et les travailleurs, comme toutes les personnes, sont personnellement responsables de leurs propres actes face à la justice, mais ils ne sont pas responsables pour les décisions de l’entreprise. Et dans le projet il s’agit de la responsabilité de l’entreprise et non pas de celle des personnes particulières, exceptée celles qui expriment la volonté sociétaire, comme les gérants ou les membres du Directoire ou du Conseil d’Administration.

4. Malgré le fait que la Sous-Commission et le Comité des droits économique, sociaux et culturels se soient prononcés récemment sur ces questions dans un sens similaire4, le Groupe de travail a opté pour ignorer les propositions suivantes :
Les STN, leurs fournisseurs, sous-traitants, preneurs de licence et « autres entreprises » (leurs filiales de fait ou de droit) doivent reconnaître le principe de la primauté des droits de l’homme et du service public sur l’intérêt économique particulier.

Les Etats devraient adopter des mesures législatives et d’autres ordres afin de donner la priorité à la notion de service public, particulièrement en matière de santé, d’alimentation (y compris l’eu potable), d’instruction et de logement, prévenant et empêchant la formation d’oligopoles et de monopoles privés dans ces domaines. Les Etats devraient interdire les brevets sur toutes les formes de vie et établir un droit de préemption du domaine public sur les inventions et les découvertes fondamentales pour la santé.

L’ajout dans le paragraphe 10 de la dernière version du Projet de la phrase : « Les sociétés transnationales et autres entreprises ont l’obligation de reconnaître et de respecter … l’intérêt public », n’est pas équivalent à la proposition précédente de l’AAJ et le CETIM qui se réfèrent à la « primauté des droits de l’homme et de l’intérêt public… ».

5. Le groupe de Travail a aussi ignoré les propositions suivantes, destinées à protéger les employés et les actionnaires des STN, leurs fournisseurs, sous-traitants, de même que les travailleurs de ces derniers :
Les Etats devraient établir et, selon le cas, renforcer les dispositions législatives ou réglementaires sur la responsabilité civile et pénale des dirigeants responsables des STN et des « autres entreprises » (filiales de fait ou de droit) et celle des dirigeants responsables de leurs fournisseurs, sous-traitants et preneurs de licence en ce qui concerne les opérations financières et commerciales, y compris la gestion des fonds de pensions, face à leurs actionnaires et employés titulaires d’actions et de participations dans les fonds de pensions de l’entreprise et aussi de légiférer ou renforcer la législation existante sur la transparence de ces sociétés (rapports et contrôles périodiques, etc.) à propos des mêmes questions.

Les STN doivent payer aux fournisseurs et sous-traitants des prix convenables pour leurs produits et services de façon à leur permettre de payer à leurs employés et travailleurs des salaires décents qui assurent aux intéressés ainsi qu’à leur familles un standard adéquat de vie, leur offrir de bonnes conditions de travail et, à leur tour, d’obtenir des marges raisonnables de bénéfices. La redevance demandées par les STN aux preneurs de licence doit rester dans les limites raisonnables afin de permettre à ceux-ci de payer à leur employés et travailleurs des salaires décents qui assurent aux intéressés ainsi qu’à leur famille, un niveau de vie adéquat et leur donner de bonnes conditions de travail et, à leur tour, d’obtenir des marges raisonnables de bénéfices.

6. Le Groupe de travail a omis la proposition suivante :

Afin de garantir la liberté d’expression et le droit à une information objective et impartiale, les Etats devraient adopter des mesures législatives et autres afin d’interdire la formation de monopoles dans les moyens de communication et d’interdire la formation de sociétés, de coentreprise, etc., entre des entreprises de communication et autres secteurs d’activités industrielles, commerciales et financières.

III. AUTRES PROPOSITIONS DE L’AAJ ET LE CETIM IGNOREES PAR LE GROUPE DE TRAVAIL
1. Le personnel de sécurité des STN, des fournisseurs, sous-traitants et preneurs de licence et «d’ autres entreprises » ne peut pas agir hors de l’enceinte de l’entreprise pour laquelle il travaille. Cette proposition tend à empêcher que le personnel de sécurité devienne une milice privée qui agit aussi dans les espace publics.

2. Les STN, leurs fournisseurs, sous-traitants et preneurs de licence et « autres entreprises » ne peuvent pas utiliser à leur service les forces armées et/ou de sécurité de l’Etat, ni engager des milices privées.

3. Les STN doivent respecter toutes les normes internationales et nationales interdisant la discrimination et appliquer la discrimination positive, quand celle-ci est prévue dans les normes et/ou réglementations… Avec cet amendement on a voulu éviter que le paragraphe du projet puisse être l’objet d’une interprétation qui permette de justifier l’établissement de différences entre les travailleurs fondée seulement sur la base de la productivité.

IV. EN CONCLUSION

Le Projet dans sa dernière version contient des améliorations sensibles par rapport au brouillon initial présenté au début par le Groupe de travail il y a quatre ans, que nous avions vertement critiqué et qui comportait de graves omissions et qui était caractérisé par une conception « molle » de droit ou non obligatoire pour les STN. Mais il reste, comme on l’a déjà signalé, plusieurs questions fondamentales sans solution. Pour sortir de l’impasse la Sous-Commission devrait adopter une Résolution indiquant au Groupe de travail :

1) Que son mandat consiste à s’occuper des STN et des autres entreprises dans la mesure où elles sont des filiales de fait ou de droit d’une STN et des fournisseurs, sous-traitants et preneurs de licence dans le cadre des contrats qui les lient à une société transnationale ;

2) Qu’elle doit incorporer au Projet les questions suivantes :

a) La responsabilité solidaire des STN avec leurs filiales, de fait ou de droit, et avec leurs sous-traitants, fournisseurs et preneurs de licence ;
b) La responsabilité civile et pénale des dirigeants des sociétés transnationales (gérants, membres du Directoire ou du Conseil d’Administration) qui ont la faculté statutaire de prendre des décisions au nom de l’entreprise ;

c) Le principe de la primauté des droits de l’homme et du service public ;

d) Les mesures de protection des employés des STN titulaires de fonds de pensions de l’entreprise et des actionnaires ;

e) L’obligation des STN de payer des prix raisonnables à leurs fournisseurs et sous-traitants ;

f) La promotion de mesures pour empêcher la formation de monopoles dans les moyens de communication ;

g) L’interdiction pour le personnel de sécurité d’agir en dehors de l’enceinte de l’entreprise ;

h) L’interdiction pour les entreprises d’engager les forces armées et/ou de sécurité de l’Etat et d’engager des milices privées ;

i) L’introduction explicite du principe de la discrimination positive et

3) Qu’elle doit exclure du Projet la responsabilité des cadres et des travailleurs pour les activités de l’entreprise suite aux décisions prises par ses dirigeants, sauf la responsabilité personnelle de leurs actes.

Finalement, la Sous-Commission devrait favoriser l’établissement d’un mécanisme de suivi qui pourrait être un Groupe de travail de la Commission des droits de l’homme sur les STN avec des attributions semblables à celles du Groupe de travail sur les détentions arbitraires ou à celles du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, ou bien proposer la nomination d’un Rapporteur spécial.

La Sous-commission devrait suggérer aussi aux Comités des Pactes Internationaux des Droits Civiles Politiques et des Droits Economiques, Sociaux et Culturels qu’ils examinent les activités des sociétés transnationales, aussi bien dans le pays siège comme dans les pays où ont lieu leurs activités5.

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