Madame la Présidente,
Par sa décision 1991/110, la Sous-Commission a demandé à deux de ses membres d’élaborer un document de travail approfondissant la question de la lutte contre l’impunité, duquel s’en suivit une étude sur l’impunité des auteurs de violations des droits de l’homme en vue de “proposer des mesures pour lutter contre cette pratique”. En raison de la complexité de la double approche de la question, la Sous-Commission a décidé par sa résolution 1994/34 de scinder l’étude en deux volets: l’un sur les auteurs de violations des droits civils et politiques, l’autre sur les auteurs de violations des droits économiques, sociaux et culturels. Les deux rapports finaux de ces études sur la lutte contre l’impunité ainsi que deux notes du Secrétaire général y relatives (E/CN.4/1998/110 et E/CN.4/1998/111), ont été soumis à la 54ème session de la Commission des droits de l’homme. Cependant celle-ci, par l’adoption de sa résolution 1998/53 ne s’est prononcée que sur l’un des aspects de la lutte contre l’impunité et n’a pris acte que d’un rapport, quant bien même le texte rappelle “l’universalité, l’interdépendance et l’indivisibilité des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels”.
Le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) tient à rappeler à cette Commission les recommandations des “Rencontres internationales sur l’impunité” réunies à Genève, au Palais des Nations, du 2 au 5 novembre 1992 que je cite: “La question de l’impunité ne se limite pas, ne devrait pas se limiter aux atteintes graves telles que les exécutions sommaires, la torture, les disparitions. Elle devrait inclure les violations graves des droits économiques, sociaux et culturels. Imaginez un seul instant les conséquences du pillage des économies des pays du Sud, de l’enrichissement frauduleux des hauts responsables de l’Etat (…)” fin de citation. Dans ce même sens, le dernier rapport commun des deux experts (E/CN.4/Sub.2/1994/11) relate de manière pertinente l’examen du phénomène de la corruption ainsi que celui du rôle des institutions financières internationales.
Au vu de ce qui précède, le CETIM demande aux membres de cette Commission de bien vouloir d’une part, prendre acte du “Rapport final sur la question de l’impunité des auteurs de violations des droits économiques, sociaux et culturels” (E/CN.4/Sub.2/1997/8), d’autre part, prendre en considération l’aspect de la lutte contre l’impunité de ces droits dans le cadre du traitement de cette question au sein de Commission, et finalement créer un mécanisme de suivi qui permettrait de poursuivre l’examen du phénomène de l’impunité en s’appuyant sur les recommandations et conclusions respectives des deux rapports établis par M. Joinet et M. Guissé.
Madame la Présidente,
Dans le cadre de ce point, le CETIM aimerait souligner la situation préoccupante des défenseurs des droits humains en Tunisie. Par faute de temps, je lis une version abrégée de l’intervention.
La pratique systématique de la répression, de l’intimidation et du harcèlement à l’encontre des défenseurs des droits humains, de leurs familles et des associations auxquelles ils appartiennent fait désormais partie intégrante du système politique tunisien.
En effet, la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme (LTDH) se trouve depuis des années sous surveillance policière, son activité est bloquée, ses communications sont mises sur écoute, et ses communiqués sont interdits de presse. Les membres de son Comité directeur subissent de multiples dépradations de leur voiture et de leur domicile, de surveillance policière, d’intimidation à l’égard de leurs familles, d’interpellations et de poursuites judiciaires (C’est le cas de Fadhel Ghedamsi, Salah Zguidi, Sofiane Ben Hmida, Abdelkrim Allagui et tant d’autres). Certains d’entre eux sont toujours privés de passeports et le vice-président de la Ligue, Khemaïs Ksila, a été condamné à trois ans de prison pour délit d’opinion, le 21 février 1998.
Les rares associations qui ont refusé d’être inféodées au pouvoir (Section d’Amnesty International, Association tunisienne des femmes démocrates, Union générale des étudiants tunisiens) et qui luttent pour des libertés civiles et politiques, ne cessent de subir la foudre de la police et divers blocages administratifs sous forme de procès préfabriqués, de licenciements, de perquisitions et d’arrestations sans mandat.
Toute personne osant exprimer une opinion critique encoure le risque de perdre son travail, de voir les membres de sa famille harcelés et son passeport confisqué. [C’est ainsi que Moncef Marzouki, Sihem Ben Sedrine, Mustapha Ben Jaafar, Néjib Hosni, Radhia Nasraoui, Anouar Kosri et tant d’autres militants, tous connus en tant que défenseurs des droits humains.] De nombreux défenseurs des droits humains ne peuvent quitter leur pays parce que leur passeport sont arbitrairement confisqués. La dernière victime de cette interdiction de voyager n’est autre que Zaied Ksila, fils du vice-président Khmaïs Ksila, qui a été empêché de quitter la Tunisie, le 16 mars dernier. Il faut signaler ici que le gouvernement tunisien a en effet fait voter une loi, en octobre 1998, qui permet au Président du tribunal de première instance de retirer le document de voyage à son bénéficiaire sur demande du Ministère de l’intérieur et ce, même dans le cas où le citoyen concerné ne fait pas l’objet de pousuites judicaires.
Pour faire pression sur les prisonniers politiques et les obliger à renier leurs idéaux et à renoncer à leur lutte, la police harcèle sans discontinuité leur femmes et leurs enfants par le biais de visites nocturnes, de fouilles systématiques, d’intimidations, de menaces de viols, de confiscation de biens, de tabassage et même de torture dans certains cas. Certaines des femmes des prisonniers politiques ont été obligées, sous la pression policière, à demander le divorce comme preuve de leur bonne foi. (C’est le cas de Mme Samira Ben Salah, Mme Zohra Hadiji, Mme Aïcha Ben Mansour, Mme Naïma Aouinia et Mme Dorra Ayabi). A leur tour, les enfants des détenus politiques se trouvent otages d’un pouvoir policier qui ne recule devant rien pour mater toute opposition et réprimer tous ceux qui luttent pour les droits humains. Souvent séparés de l’un ou des deux parents, emprisonnés ou réfugiés à l’étranger, ces enfants subissent de mauvais traitements, parfois même d’ordre sexuel. (Citons ici les cas des familles Falfoul, Khélifi, Sghaïr Mbarek et Rachida Ben Salem, Abdelaziz Bousnina, Souad Charbati, Radhia Aouididi, Zoulikha Mahjoubi, Dhaou Thabti, etc). Les coupures des lignes téléphoniques sont aussi courantes chez les défenseurs des Droits de l’Homme. L’avocate Radhia Nasraoui, le docteur Moncef Marzouki et le journaliste Taoufik Ben Brik ont souvent été victimes de cette odieuse pratique gouvernementale.]
Relevons par ailleurs que le Comité national pour les libertés en Tunisie (CNLT), fondé le 10 décembre dernier par une trentaine d’hommes et de femmes intègres et connus pour leur engagement en faveur des droits humains, a essuyé un refus de reconnaissance légale de la part du Ministère de l’intérieur le 6 mars 1999. L’Etat de droit en Tunisie est vidé de sa substance, le discours et les textes de loi sur les Droits de l’Homme ne sont pas suivis de pratique.
[Enfin, faut-il rappeler ici que des milliers de prisonniers d’opinion croupissent dans les geôles tunisiennes et que le Comité contre la torture a vigoureusement condamné, le 18 novembre dernier, les pratiques d’une terrible répression orchestrées par la police du président Ben Ali.]
C’est pourquoi le Centre Europe-Tiers Monde demande aux autorités tunisiennes de mettre fin à la répression et aux harcèlements que subissent les opposants politiques et les démocrates et rappelle aux membres de la Commission que la Tunisie ne se conforme ni aux dispositions de la Déclaration sur la Protection des défenseurs des droits de l’homme, adoptée le 18 décembre 1998 , ni aux Pactes et Conventions internationales que ce pays a lui-même ratifiés.
Je vous remercie pour votre attention