Pourquoi les puissances de l’OTAN considèrent que DURBAN I a été un échec, et craignent un échec analogue pour DURBAN II ?

11/11/2009

1. Le choix du titre de cette communication est intentionnel. Depuis une vingtaine d’années, les puissances occidentales associées dans une alliance militaire (l’OTAN) se sont auto qualifiées, avec arrogance, de représentants de la « communauté internationale » et ont par là même marginalisé les Nations Unies, seule institution qualifiée pour parler en ce nom. Cette attitude est désormais systématique, et, dans toutes les conférences internationales les puissances de l’OTAN font bande à part pour souvent même s’opposer collectivement aux autres, « le reste du monde » !

Le choix préférentiel de l’instrument particulier que constitue une alliance militaire pour représenter le groupe des nations concernées n’est pas de hasard. Il traduit l’existence effective d’une stratégie collective du groupe. Une stratégie à travers laquelle s’exprime les objectifs de cette forme nouvelle de l’impérialisme, qu’on peut qualifier d’« impérialisme collectif »1. Le monde réel est partagé entre puissances dominantes et pays dominés et les premières, pour le demeurer, doivent conserver à leur profit exclusif l’accès aux ressources naturelles de la planète entière, dont le contrôle militaire par les forces armées des Etats-Unis et de leurs alliés subalternes de l’OTAN est devenu le moyen incontournable.

2. Les objectifs réels du nouvel impérialisme collectif ne peuvent évidemment pas être avoués. Pour les masquer les puissances concernées ont donc décidé d’instrumentaliser à leur bénéfice le discours de la démocratie et des droits de l’homme. Les diplomaties de la triade (Etats-Unis, Europe, Japon) présentent alors le monde comme étant partagé entre pays démocratiques et pays qui ne le sont pas. Les démocraties (les puissances de l’OTAN) revendiquent « un droit d’intervention » pour promouvoir le progrès de la démocratie et faire respecter les droits de l’homme bafoués ici et là par des dictatures barbares. Certains même parlent de « devoir d’intervention ».

3. L’agenda des Nations Unies prévoyait l’organisation d’une série de grandes conférences internationales destinées à éclairer les grands choix pour le 21ème siècle, et l’une de celles-ci concernait les problèmes de « racisme et de discriminations dans toute la variété de leurs formes ». La formule retenue pour ces conférences prévoyait le déroulement parallèle d’une assemblée des représentants des Etats et d’une assemblée censée représenter « la société civile ».

La première édition de cette conférence s’est déroulée à Durban en septembre 2001, quelques jours avant les attentats du 11 de ce mois. Une seconde édition de la conférence est prévue pour avril 2009. Et, bien qu’elle se tiendra à Genève, est appelée « Durban II ».

4. Durban I a été un double échec pour les puissances de l’OTAN parce que précisément leur manoeuvre a été mise en échec à la fois par la majorité des gouvernements du Sud dans la conférence des Etats et par le Forum de la société civile.

Dans le cadre de la conférence des Etats, les gouvernements de la grande majorité des pays du Sud ont défendu les principes du droit international qui interdisent toute intervention extérieure décidée unilatéralement et quel qu’en soit le prétexte. L’histoire leur a fait comprendre en effet les raisons réelles de ces interventions et l’hypocrisie du discours sur la « mission civilisatrice », aujourd’hui baptisée « défense des droits de l’homme ». Les développements postérieurs à Durban I confirment la sagesse de leur refus. La charte des Nations Unies, qui n’autorise ces interventions qu’avec l’accord du Conseil de sécurité et en soumet l’ampleur et la durée à des conditions restrictives sévères, est désormais systématiquement violée par les puissances de l’OTAN qui se sont octroyées le droit de décider unilatéralement de leurs interventions. Après l’invasion de l’Irak, sous des prétextes que l’on sait parfaitement mensongers, on comprend que les puissances de l’OTAN craignent un nouvel « échec » à l’occasion de Durban II.

Le Forum de la société civile réuni à l’occasion de Durban I a tout également condamné le principe des interventions extérieures dans les affaires des pays du Sud. Mais, il n’a pour autant et d’aucune manière renoncé à dénoncer les crimes commis par des gouvernements du Sud contre leurs peuples. Le Forum n’a pas contesté la parfaite légitimité des campagnes organisées pour dénoncer ces crimes et n’a jamais considéré que le soutien des peuples du Nord à ces combats communs pour la démocratie n’était pas souhaitable. Cependant, à juste titre, le Forum a refusé de confondre les expressions nécessaires de la solidarité internationale des peuples et les décisions unilatérales d’intervention des gouvernements du Nord ! On ne saurait le leur reprocher. Par leur expérience de l’histoire les peuples du Sud savent que la domination impérialiste a toujours été un obstacle majeur à la démocratie. Ils savent que le motif invoqué pour légitimer l’intervention – la « défense de la démocratie » – n’a jamais été mobilisé que lorsque l’intervention envisagée servait les objectifs véritables de la domination impérialiste. Les peuples du Sud concernés doivent assumer par eux mêmes la conduite des combats pour leur libération, la démocratie et le progrès social.

Les puissances de l’OTAN ont, après Durban I, remis en question la « représentativité » du Forum de la société civile. Très certainement la formule de ces Forums, qui rassemblent des organisations nombreuses d’inspirations très diverses, demeure-t-elle l’objet d’une réflexion critique nécessaire. Et la formule garantissant une « représentation authentique » des peuples reste-t-elle difficile à définir. Néanmoins, le Forum de Durban I n’était certainement pas moins représentatif que d’autres, en particulier de Forums rassemblant des ONG triées sur le volet par certaines institutions internationales comme la Banque mondiale ! L’institutionalisation de formes adéquates de représentation des peuples, conçue pour renforcer la légitimité des Nations Unies et non l’affaiblir, constitue certainement un objectif qui doit être poursuivi. Le débat et les propositions d’action allant dans ce sens doivent être portés à l’ordre du jour des Forums sociaux et de toutes les organisations démocratiques et progressistes. Pour les peuples du Sud, Durban I a été un succès2. C‘est la raison même pour laquelle les puissances de l’OTAN l’ont, quant à elles, qualifié d’« échec ».

5. Les Africains – représentants des gouvernements et de mouvements sociaux indépendants – nombreux à Durban I, ont soulevé la question de la traite négrière. Les peuples d’Afrique ont rappelé à Durban I que la traite négrière, au delà de l’horreur, était dans une bonne mesure à l’origine du retard dont le continent souffre encore, et que l’« aide » qui lui est octroyée aujourd’hui devrait de ce fait être considérée comme des réparations. Il n’y a rien de « scandaleux » dans cette proclamation.

6. La question palestinienne a également été à l’ordre du jour de Durban I. Il eut été scandaleux qu’elle ne le soit pas ! Pour les peuples d’Asie et d’Afrique, Israël est un fait colonial évident fondé sur la conquête d’un territoire étranger et le nettoyage ethnique. Les colons israéliens, comme tous les colons, sont nécessairement racistes.

Que les diplomaties des pays du Sud aient donc qualifié naguère le sionisme de racisme, à juste titre, puis que, pour des raisons d’opportunité ou de contrainte, elles se soient rétractées par la suite, ne change rien à l’opinion générale en Asie et en Afrique, spontanément anticolonialiste et par là-même nécessairement anti-sioniste. Le chantage habituel auquel les autorités israéliennes et leurs amis occidentaux se livrent, interdisant la condamnation des pratiques de l’Etat d’Israël, sous prétexte « d’antisémitisme », n’ont pas d’impact dans les opinions d’Asie et d’Afrique. Après les massacres de Gaza, Israël et ses amis craignent que Durban II soit plus sévère encore.

7. La préparation de Durban II, en cours (cette déclaration est écrite en mars 2009) est l’objet de manoeuvres diplomatiques destinées à permettre aux puissances de l’OTAN d’en proclamer l’« échec » à l’avance. Déjà les gouvernements des Etats-Unis, du Canada et d’Israël, suivis par le gouvernement italien de Berlusconi, ont-ils annoncé vouloir boycotter la Conférence. Mais, l’ensemble des pays européens estime sans doute difficile de les suivre, au risque d’irriter les sensibilités des opinions dans les pays du Sud, en particulier en Afrique et dans les pays arabes. Les diplomaties européennes cherchent donc désespérément et visiblement un prétexte qui leur permettrait à leur tour de se retirer de la conférence. Or, voici que ce prétexte leur est offert ! Les enjeux de Durban II ont en effet été brouillés par l’initiative visant à condamner « la diffamation des religions », au mépris évident de la liberté d’expression.

La confusion sur cette question est, hélas, grande. Car il y a bien une campagne islamophobe orchestrée, qui ne déplaît pas forcément aux pouvoirs dans les pays de l’OTAN, en laissant entendre que les musulmans sont tous des terroristes, au moins potentiels. Mais, indépendamment des opinions que les uns ou les autres croient devoir défendre sur les terrains de la laïcité, de la tolérance et du respect mutuel, il reste que la formulation d’une « interdiction » d’intervention sur le discours religieux entre rigoureusement en conflit avec la liberté d’expression, fondement des droits humains les plus élémentaires.

Cette formulation trahit un esprit archaïque, et même obscurantiste. Curieuse initiative, dont les auteurs sont d’ailleurs à l’origine pour la plupart des gouvernements alliés fidèles de Washington ! Comme les Etats du Golfe, dont les pratiques obscurantistes sont d’ailleurs généralement excusées par les autorités des Etats-Unis. On pourrait ajouter que cet obscurantisme n’est pas le privilège de quelques « musulmans », mais sans doute partagé par les chrétiens « born again » des Etats-Unis (dont l’ex-Président G. Bush Jr) et par le Pape des catholiques qui ne verrait pas d’inconvénient au rétablissement du crime de blasphème !

La manoeuvre en tout cas révèle peut être une convergence intéressante entre les objectifs de gouvernements qui se réclament de l’Islam politique et ceux des pays de l’OTAN, à l’affût de prétextes pour boycotter Durban II. Car, s’ils sont présents à Durban II, les gouvernements européens seront mis au pied du mur : oseront-ils ne pas condamner les crimes de guerre commis par Israël à Gaza ? Ecarter de facto cette question pour lui substituer un débat confus, ambigu et inutile sur la place des religions dans la vie des sociétés arrangerait bien les puissances de l’OTAN en définitive !

Genève, 26 mars 2009

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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