Pour le droit au développement dans le respect et la protection de l’environnement

11/11/2009

1. Depuis ses plus lointaines origines, la pensée occidentale des rapports de l’homme à la nature, placée sous le signe du conflit, oscille entre deux pôles dichotomiques1. D’un côté, la nature est vue comme la puissance souveraine, spontanée et créatrice, à l’origine de toutes vies et de toutes choses, qui fait naître et mourir, imposant sa loi à la contingence humaine. D’un autre côté, elle est conçue comme un ensemble de phénomènes eux-mêmes soumis à des lois que les sciences ont pour vocation de percer et de maîtriser, pour en prendre le contrôle. Dans les deux cas, cependant, les maîtres-mots de ces relations sont ceux de contrainte et de domination. Entre ces deux pôles extrêmes, le problème reste entier de trouver les conditions d’une harmonie entre l’homme et la nature. Pour progresser dans le raisonnement, il est peut-être préférable de parler des êtres humains, plutôt que de l’homme – concept qui renvoie à une inaccessible « nature humaine » –, tout en ajoutant aussitôt que certaines classes d’hommes sont en mesure de dominer et commander d’autres classes par le biais du système de production et des institutions dont ils ont doté la société. Or, si l’on se situe dans le cadre du capitalisme réellement existant, on doit se résoudre à tenir compte des tendances désormais essentiellement destructrices de ce dernier, tant sur l’environnement que sur les formations sociales, au point qu’il devient de plus en plus difficile d’apercevoir sur terre l’horizon serein d’un monde vivable, voire simplement vivant.

2. Par sa résolution 7/23, adoptée le 28 mars 2008, le Conseil des droits de l’homme a chargé le Haut-Commissariat aux droits de l’homme de lui présenter à sa 10ème session « une étude analytique détaillée des liens entre changements climatiques et droits de l’homme ». La présente déclaration entend contribuer au débat qu’il se tiendra à cette occasion et vise à montrer que : i) le capitalisme est devenu une menace réelle pour l’humanité et pour la vie sur notre planète ; ii) les propositions de poursuite de la logique du profit, comme les fausses alternatives de « réformes » par les marchés des droits à polluer ou de « décroissance », sont incapables de résoudre ces problèmes globaux ; iii) les lignes d’une gestion démocratique des ressources naturelles de la planète et de protection de l’environnement doivent urgemment être tracées.

Le capitalisme destructeur, menace contre l’humanité et la vie

3. Le grand public est aujourd’hui largement sensibilisé aux problèmes de détérioration de l’état de la planète, ainsi qu’aux risques majeurs qui en découlent. Tels sont les cas des manifestations du processus de réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre, et en particulier : l’élévation du niveau des eaux (par dilatation thermique et/ou par ajout supplémentaire dû à la fonte de banquises et de glaciers), accentuation de la polarisation géographique des précipitations (augmentation aux latitudes tempérées et diminution en zones subtropicales), intensité des cyclones et typhons, risques d’inondations, déplacements d’aires de répartition animales et végétales, décalages dans les calendriers de récoltes… Certaines conséquences de ces changements climatiques sont déjà perceptibles : pénuries d’eau douce, épuisement des sols entraînant une baisse des rendements agricoles, détérioration de la biodiversité, dégradation de sites culturels et bien sûr environnementaux… D’autres restent totalement indéterminées : modifications de la circulation des océans, extension de zones d’épidémies… D’autres encore seront très probablement cumulatives : méthanisation liée à la fonte des glaces, consommation d’énergie pour la climatisation… Tout porte à penser que de telles évolutions sur les hommes et leurs sociétés exacerberont vraisemblablement les conflits régionaux et internationaux en liaison avec le contrôle de sources énergétiques (pétrole…), l’accès à l’eau ou les migrations « écologiques » par déplacements forcés de populations en raison de phénomènes climatiques.

4. Ce ne sont pourtant pas les hommes en général, mais des classes et des nations dominantes qui dirigent la marche du système capitaliste, comme également son rapport à l’environnement. On sait que les structures nationales du capitalisme se reproduisent d’abord localement, à l’articulation d’un marché domestique sur lequel le capital et le travail sont mobiles, et d’un ensemble d’appareils d’État lui correspondant. Mais le système mondial se définit au contraire par la dichotomie entre l’existence d’un marché global intégré dans toutes ses dimensions – à l’exception du travail, contraint à une mobilité restreinte – et l’absence d’un ordre politique unique à l’échelle du monde, qui serait davantage qu’une pluralité d’instances étatiques régies par le droit international public et/ou la violence du rapport de forces. Dans ces conditions, les questions de l’environnement et des ressources naturelles ne peuvent être saisies sans se référer à une théorie prenant pour objet et proposant pour concept le monde en tant qu’entité socio-historique concrète faisant système. Globales pour les plus préoccupantes, elles se posent donc avec urgence à tous les progressistes, dans un contexte où le capitalisme, spécialement sous sa forme néo-libérale, est devenu une menace pour l’humanité, et jusqu’à la vie sur terre.

Les fausses alternatives

5. Dès la fin des années 1970, la théorie néo-classique, en tant que mainstream en sciences économiques, a été appliquée à l’environnement. Des modèles dits d’« équilibre général calculable » ont été utilisés par la Banque mondiale, notamment pour la gestion de l’offre énergétique, l’internalisation des effets externes liés aux ressources naturelles, l’évaluation des impacts des changements climatiques consécutifs aux émissions de gaz à effet de serre ou l’analyse de situations environnementales locales (pollution de sites, qualité de l’air, nuisances diverses…). La clé de l’intégration de l’environnement et des ressources naturelles dans la théorie économique dominante a consisté à rejeter leur caractère de patrimoines communs disponibles sans propriétaire et à titre gratuit, pour les considérer comme des catégories de « capital » soumises à un processus d’appropriation, d’accumulation et de rémunération privées. Les problèmes associés aux global commons (ou biens collectifs globaux), en particulier l’épuisement des ressources et les menaces écologiques de portée planétaire (couche d’ozone…), entraînent un risque de ralentissement de la croissance. En autorisant une substitution entre facteurs de production, il devient possible de contourner les contraintes de non-reproductibilité de certains facteurs en remplaçant des sources naturelles épuisables par des formes de capital reproductibles (la connaissance, par exemple), permettant ainsi une croissance durable. L’essor de l’économie néo-classique ne saurait cependant occulter l’impasse scientifique dans laquelle elle est aujourd’hui enfoncée, quand bien même ses leaders continueraient d’être récompensés par des prix Nobel. Exemple : T.C. Schelling, lauréat du prix Nobel d’Économie 2005. Ancien collaborateur de la Rand Corporation où il appuya McNamara dans son escalade militaire au Viêt-nam, Schelling fit partie en 2003 du groupe d’experts du « Consensus de Copenhague » – dirigé par l’anti-écologiste Bjørn Lomborg du Skeptical Environmentalist Fame, aidé par le Denmark’s National Environmental Assessment Institute – sollicités pour évaluer les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Justifiant la non-ratification par les États-Unis du Protocole de Kyoto, ses recommandations tendent à rétrograder la diminution des émissions de gaz à effet de serre dans la hiérarchie des priorités des Nations unies et à recourir aux organismes génétiquement modifiés afin de lutter contre la malnutrition. Mais une telle logique, focalisée sur le profit et niant les effets de domination dans le capitalisme, mène le système tout entier à sa perte.

6. Face aux graves menaces environnementales que fait peser le capitalisme sur la vie, aggravées par la gestion néo-libérale de la crise, des propositions de solutions sont formulées, au premier rang desquelles figure le Protocole de Kyoto (1997). Il semble a priori impossible de ne pas adhérer aux objectifs de cet accord : comment ne pas être favorable à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Mais il est difficile de se contenter de la modestie de sa cible de -5% d’ici à 2012, lorsqu’une majorité de scientifiques du Panel intergouvernemental sur le Changement climatique (IPCC) avancent qu’une baisse immédiate d’au moins 50% serait nécessaire pour maintenir la pollution à ses niveaux actuels. Devant l’ampleur des défis posés à l’humanité, le dispositif de mesures du Protocole est plein de bonne volonté, mais dérisoire ; d’autant que le mécanisme mobilisé, le marché des droits à polluer, présente des dangers très préoccupants. C’est une première fausse alternative. Fondamentalement, il fait de la nature – dont l’atmosphère – une marchandise et lance un vaste mouvement d’enclosures modernes. Polluer devient un « droit », lequel fait l’objet d’un commerce (de permis). Une éviction « puits à carbone » contre « puits d’eau » peut parfois être observée, lorsque les mécanismes de « développement propre » prévus risquent de remplacer l’aide publique au développement. Les riches peuvent acheter des permis les autorisant à rester de gros pollueurs sans changer leurs comportements destructeurs2, alors que les pauvres sont incités à vendre leurs « droits » et à ne pas mettre en œuvre des politiques susceptibles d’améliorer leurs conditions de vie. Certains projets lancés par des transnationales, grâce auxquels celles-ci gagnent des crédits, ont pu conduire à l’expulsion de communautés paysannes de leurs terres afin d’imposer des cultures anti-CO2, ou à des scandales fisco-écologiques faisant bénéficier ces firmes de subventions publiques tout en augmentant à la fois leurs profits et leurs émissions de gaz à effet de serre. Tant qu’il n’existera pas d’instance de régulation et de contrôle autre que les plus puissantes transnationales, les fraudes dans les déclarations de niveaux de pollution ou des usurpations de labels « carbone neutre » (quelquefois même prétextes éthiques pour l’ouverture de nouveaux débouchés) continueront d’être importants. Le rôle de l’État n’est pas de se soumettre au pouvoir du capital, mais de lui imposer des limites extérieures à sa logique, pour protéger l’environnement et les ressources naturelles. La stratégie choisie par le Protocole de Kyoto pour atteindre ses objectifs, reposant sur la marchandisation, constitue le moyen le plus sûr de ne pas les atteindre.

7. Une deuxième fausse alternative est la thèse de la décroissance – qui a remporté quelque succès au sein des mouvances dites « altermondialistes » ces derniers temps. Nous devrions plutôt parler des thèses de la décroissance, tant l’hétérogénéité de ces travaux – et de leur qualité – est extrême, au point de pouvoir souvent rallier sur telle ou telle suggestion pertinente (comme la maîtrise des passions consuméristes, par exemple) l’approbation de militants pour un monde meilleur. Les critiques qui peuvent être adressées à ces thèses doivent l’être en tenant compte du fait que beaucoup de leurs partisans sont progressistes, qu’il s’agit de rassembler plutôt que de diviser. Mais une partie d’entre eux se perdent dans des confusions qui nuisent à la crédibilité du projet qu’elles entendent impulser. Tel est le cas lorsque l’on confond « croissance », indicateur quantitatif (et contestable), et « développement », concept ayant une dimension multiple, qualitative et stratégique3. Les tenants de la décroissance dérapent aussi souvent de la critique de l’économisme, justifiée, à celle de l’économie, et donc aussi de la politique économique –soit l’un des instruments de tout projet de transformation sociale. Compte tenu des asymétries et des inégalités caractérisant le système mondial capitaliste, « décroître » risque fort d’accentuer les problèmes actuels aux plans social (chômage, démantèlement de la protection sociale) et même environnemental (pollution encore aggravée). Plus grave est la substitution du terme « capitalisme » – tabou – par ceux de « progrès » ou « modernité ». Dès lors que l’altermondialisme de la décroissance évacue les questions de propriété du capital et de participation populaire aux décisions économiques, il se condamne à n’être qu’un « autre » capitalisme – ce qui est une illusion. Et l’« éloge de la pauvreté » suggéré par certains est sans doute difficilement audible pour le milliard d’habitants des bidonvilles des mégalopoles du monde ! Tant que ne seront pas envisagées de réelles solutions aux problèmes globaux qui sont ceux du système mondial, impliquant une alternative véritable permettant le passage de l’usage d’énergies fossiles à des ressources renouvelables propres et une réduction équitable des consommations d’énergie, mais aussi la mise en œuvre d’un projet d’émancipation social et de souveraineté populaire, les bonnes intentions d’une écologie fondamentaliste et/ou a-politique – reposant sur des croyances, non sur les sciences – resteront des vœux pieux et reporteront sine die la réalité d’une réduction de la pollution.

Pour une gestion démocratique des ressources naturelles

8. Ce qu’il s’agit de construire, c’est un monde fondé sur la reconnaissance du caractère non marchand de la nature et des ressources naturelles du globe – y compris des terres. L’environnement est au cœur de cette conquista des temps modernes par laquelle le modèle néo-libéral tend à soumettre tous les aspects de la vie, ou presque, pour leur marchandisation et leur privatisation. Ces dernières ont des effets dramatiquement dévastateurs au plan écologique, avec le gaspillage des ressources, la dégradation de la biodiversité et les menaces globales, comme aussi au niveau social, avec l’anéantissement de sociétés paysannes expulsées de leurs sols. L’agrobusiness privilégie les cultures de rente sur celles de subsistance, en imposant des techniques produisant à la fois la dépendance et la dévastation. Les ressources naturelles doivent être tenues pour des biens communs de l’humanité. Les décisions les concernant ne doivent pas relever du marché, mais des pouvoirs publics, sous la souveraineté des peuples. Le but est de parvenir à une gestion démocratique des ressources, dont la définition est à subordonner au droit à la vie. C’est là un principe vital, et non un simple outil de gestion. Ces ressources ne sauraient être utilisées au-delà de leur capacité de renouvellement, mais doivent être ajustées aux besoins, et préserver la biodiversité et les écosystèmes.

9. Constituer un tribunal international pour juger les crimes écologiques et condamner les transnationales à payer des réparations pour leurs « dettes écologiques », rendre illégaux les contrats imposant une dépendance des agriculteurs vis-à-vis des fournisseurs de semences, abolir le marché des « droits à polluer » et obliger les pays riches à diminuer les émissions de dioxyde de carbone pour permettre aux plus pauvres de se développer, protéger les ressources biologiques et génétiques contre des brevets assimilables à des vols, inverser le mouvement de privatisation de l’eau pour prévenir les guerres pour son appropriation et assurer à chaque être humain la quantité indispensable dans le respect des nappes phréatiques, créer un observatoire international de l’environnement pour réagir aux agressions contre la nature…, autant de propositions à discuter et à faire avancer aujourd’hui. Comme près de la moitié de la population mondiale sont encore des paysans, les questions qui nous occupent sont aussi liées à la détermination d’un avenir meilleur pour les agricultures paysannes – ce qui implique de garantir le droit d’accès à la terre à tous les paysans du monde et, lorsque cela est nécessaire, des réformes agraires.

Catégories Campagnes Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS Justice environnementale
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