Des leaders de la communauté de pêcheurs autochtones Ngäbe Buglé (Panama) ont participé à la 60e session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (8 septembre-8 octobre 2025), pour dénoncer la répression dont sont victimes les pêcheurs autochtones et les interdictions de pêche généralisées qui menacent leurs moyens de subsistance.
Depuis 2010, le gouvernement panaméen a progressivement restreint l’accès aux zones de pêche traditionnelles du peuple Ngäbe Buglé. Il avait promis en contrepartie des programmes sociaux et de l’aide alimentaire qui n’ont jamais été mis en œuvre. Certaines fermetures de zones de pêche sont liées aux mesures de l’État panaméen pour atteindre l’objectif mondial de conservation « 30×30 », visant à « reconstituer les stocks de poissons ». La résistance des pêcheurs face à ces mesures a été réprimée violemment, causant la mort de plusieurs leaders.
Aujourd’hui, le peuple Ngäbe Buglé n’a plus qu’une seule zone de pêche à Escudo de Veraguas. Plus tôt cette année, le gouvernement les a informés, ainsi que les communautés Ño Kribo, qu’il envisageait d’y interdire aussi la pêche.
« L’interdiction menace nos droits coutumiers de pêche, notre droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire ainsi que notre survie culturelle. Elle est imposée avec une répression meurtrière », a déclaré au Conseil des droits de l’homme Alfonso Simon Raylan, un leader Ngäbe Buglé et secrétaire général du Sindicato de Trabajadores del Mar (SITRAMAR).
Son organisation, le SITRAMAR, est membre du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP), un mouvement mondial représentant 10 millions de pêcheurs traditionnels et artisanaux. Leur venue et accompagnement à Genève ont été organisés par FIAN International et le CETIM.
Ces interdictions de pêche reflètent la discrimination structurelle et la marginalisation que les peuples de pêcheurs et les peuples autochtones subissent depuis toujours. Les Ngäbe Buglé, comme d’autres peuples autochtones de la région et du monde entier, pratiquent la pêche ancestrale de subsistance depuis des générations. Ils nourrissent leurs communautés depuis des siècles en harmonie avec la nature, en utilisant uniquement des cannes à pêche, de petits pièges ou des méthodes traditionnelles de pêche en apnée pour attraper des poissons ou des homards.
Conservation ou exclusion ?
« L’objectif 30×30 n’est pas une question de conservation, mais une question d’exclusion. Les États, en partenariat avec les entreprises et les grandes ONG de conservation, promeuvent un modèle de conservation ‘forteresse’ qui criminalise nos peuples et justifie l’interdiction d’accès à leurs propre territoires, tout en laissant les pollueurs industriels de poursuivre leurs activités », a souligné Herman Kumara, secrétaire général du Forum mondial des peuples pêcheurs (WFFP). Il affirme qu’« une vraie conservation doit s’appuyer sur les connaissances et les pratiques de ceux qui vivent en équilibre avec la nature depuis des générations. ».
L’interdiction de pêche et la loi panaméenne 462, votée au mois de mars de cette année, ont déclenché des pénuries de nourriture et de ressources à grande échelle, ainsi que des répressions violentes. « Pour nos communautés, qui pêchent de manière durable avec des fermetures saisonnières depuis des siècles, cette interdiction n’est pas de la conservation, c’est de la persécution », s’indigne Alfonso Simon Raylan.
Persécution et privation
La loi 4621 restreint entre autres l’accès à la sécurité sociale et aux soins médicaux, ce qui fragilise davantage les conditions de vie de ces communautés. Depuis son adoption, elle a provoqué des manifestations de masse. Comme l’ont récemment souligné des rapporteurs spéciaux des Nations Unies, les manifestants autochtones pacifiques et leurs soutiens ont été confrontés à une force disproportionnée et à une violence brutale de la part de la police militaire armée, simplement pour avoir exercé leur droit de manifester. Plusieurs leaders communautaires, dont trois membres de la famille d’Alfonso Simon Raylan, ont été tués.
Le fait de refuser aux peuples autochtones l’accès à leurs zones de pêche traditionnelles et d’interdire la pêche, leur seule source de subsistance, porte atteinte à leurs droits humains, en particulier aux droits à l’alimentation, à la terre et aux ressources naturelles, codifiés dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (UNDRIP) et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP). Ces deux derniers textes affirment que les droits des peuples autochtones à l’autodétermination, au consentement libre, préalable et éclairé, ainsi qu’à l’accès à leurs territoires traditionnels et à la survie de leur culture. En tant qu’État partie au PIDESC et autres instruments internationaux, le Panama est tenu de respecter, de protéger et de réaliser ces droits.
Sur la situation au Panama, Carlos Duarte, vice-président du Groupe de travail des Nations Unies sur l’UNDROP, a déclaré que les pêcheurs ont souvent été négligés dans l’élaboration des politiques les concernant. « Leurs territoires aquatiques n’ont généralement pas été reconnus, même si leurs habitats et leurs récoltes sont ancestraux », a-t-il noté, ajoutant que le prochain rapport du groupe portera sur la question de la territorialité. Il souligne que son Groupe étudiera ces territoires aquatiques et la relation vitale entre les pêcheurs et la nature.
FIAN International et le CETIM ont affirmé leurs solidarités avec les Ngäbe Buglé, le SITRAMAR et le WFFP, et exhortent le Panama à respecter les droits humains des peuples autochtones, à retirer l’interdiction de pêche, à abroger la loi 462 et à mettre fin aux répressions violentes des manifestations pacifiques. FIAN International et le CETIM demandent également au Panama de prendre les mesures adéquates pour garantir que les pêcheurs autochtones puissent participer de manière effective à tous les processus politiques qui affectent leurs moyens de subsistance.
Notes:
1Reforma a la Ley Orgánica de la Caja de Seguro Social (CSS) en Panamá, – https://www.gacetaoficial.gob.pa/pdfTemp/30238/111149.pdf
– https://www.bdo.com.pa/getattachment/88ab8c33-0f4f-424c-8d19-09ebb8aaaea6/Ley-N%C2%B0-462-del-18-de-marzo-de-2025-(CSS)-(3).pdf?lang=es-PA