Les droits économiques et sociaux dans l’Union européenne

11/11/2010

L’actuelle crise économique et financière aura des conséquences sociales considérables1. Dans tous les pays de l’Union européenne, le chômage monte et les gouvernements préparent des plans d’austérité pour diminuer les déficits budgétaires suite à la récession économique et au sauvetage des banques. Tandis que les taux de profit de la plupart des banques, des grandes entreprises et de leurs dirigeants se rétablissent, des plans de réforme de la sécurité sociale sont en préparation.

Le bilan social de l’Union européenne à grands traits
En 2000 a été adopté le processus de Lisbonne. Il vise à faire de l’UE l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. Il préconise une modernisation du ‘modèle social européen’ et une libéralisation des services publics2. Suite à cette décision, un Agenda social a été adopté au Conseil européen de Nice en décembre 2000, au même moment où la Charte des droits fondamentaux fut annexée au Traité de Nice. Cet Agenda fixe pour objectif le plein emploi (§ 2), il propose d’augmenter les taux d’emploi (§ 3), il met l’accent sur l’importance des ressources humaines et la mise en place d’un Etat social actif et dynamique (§ 7)3. En 2008, un nouvel Agenda social fut proposé dans lequel est indiqué que les objectifs fondamentaux sont définis dans le Traité mais que les moyens de les atteindre doivent être renouvelés.

Depuis 2003, de nouvelles lignes directrices européennes4 pour l’emploi sont établies avec trois grands objectifs : le plein emploi, la qualité et la productivité du travail et un renforcement de la cohésion sociale et de l’inclusion.

Le Traité d’Amsterdam de 1997 a ajouté la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale parmi les compétences de l’UE et une méthode ouverte de coordination fut instaurée à cet égard.

Au niveau des services publics, une directive sur la libéralisation des services fut adoptée en 2006.

En 2009, le Parlement européen a adopté en première lecture un projet de directive sur les droits des patients, une première libéralisation des soins de santé qui a également suscité de grandes interrogations. A noter que cette directive a été présentée non pas sous le chapitre des politiques sociales, mais comme achèvement du marché intérieur. En effet, dans plusieurs arrêts, la Cour de Justice avait qualifié les soins de santé comme une activité économique.

La Commission a également présenté une communication sur la flexicurité (2007) et un livre vert sur la modernisation du droit du travail (2006). Les deux ont été fortement critiqués par les syndicats et par les ONG sociales, notamment pour leur manque de renforcement de la protection des travailleurs et leur fixation sur ‘l’activation’.

Nettement négatifs ont été en 2007 et 2008 quatre arrêts de la Cour de Justice (Viking, Laval, Rüffing et Luxembourg) qui placent les libertés économiques avant les droits sociaux. Ces quatre arrêts, qui sont liés à la mise en œuvre au niveau national de la directive sur le détachement des travailleurs, font l’objet de débats politiques intenses, mais la Commission n’a pas l’intention de revoir cette dernière. Ainsi, ce qui avait été présenté comme une directive de protection des travailleurs s’est mué en son contraire. Le ‘dumping social’ peut devenir la règle et la concurrence est maintenant acceptée au niveau des travailleurs.

Des changements de philosophie
Ce petit aperçu de quelques grands dossiers des dernières années montre des petits pas en avant et quelques pas en arrière. Mais ceux-ci masquent un changement plus fondamental qui s’est produit dans les années 1990.

Un premier grand changement concerne la dimension institutionnelle. Si, jusqu’à et y compris la période de la présidence de Jacques Delors à la Commission européenne, celle-ci avait toujours insisté pour avoir davantage de compétences sociales afin d’équilibrer ses actions en matière du marché unique, à partir de la fin des années 1980 elle commence à mettre l’accent sur la nécessité de sauvegarder la durabilité financière de la sécurité sociale et d’éviter des effets pervers sur l’emploi.

Dans tous les pays, des plans d’austérité sont mis en œuvre, ce qui ne favorise nullement les ambitions sociales, ni au niveau national, ni au niveau européen. En fait, au cours des années 1990, les chefs de gouvernement se sont tous ralliés à la philosophie de Margaret Thatcher du moins social. Le rêve d’une Europe sociale est oublié et la Commission se rallie également à la nouvelle pensée. Malgré le livre blanc de la Commission de 1994, les politiques sociales sont de plus en plus intégrées dans les politiques de concurrence.

Le deuxième changement se manifeste – logiquement – au niveau des propositions de la Commission. Dans une recommandation de 19915, la Commission déclare ‘qu’au stade actuel’ il ne peut être question d’harmoniser les systèmes de protection sociale. Toutefois, elle constate que la protection sociale est directement liée à l’achèvement du marché intérieur et qu’il convient, dans la mesure du possible, de limiter les différences entre ces systèmes. Par conséquent, un rapprochement progressif en matière de protection sociale est souhaitable. Elle recommande dès lors aux Etats-membres de garantir un niveau de vie minimum décent et de faire le nécessaire pour que les systèmes de protection sociale apportent une aide aux personnes qui n’ont pas de ressources suffisantes. En outre, la Commission formule l’objectif de la protection sociale comme étant l’assurance d’un niveau minimum de revenu, l’accès aux soins de santé, l’intégration économique et sociale et des systèmes d’assistance en cas de perte d’emploi.

Dans sa ‘Stratégie pour la modernisation de la protection sociale’ de 1999 ((1999)347), l’objectif devient ‘rendre le travail plus avantageux’ ainsi qu’un revenu sûr, la sauvegarde des retraites et des régimes de retraites viables, la promotion de l’intégration sociale et la durabilité de la protection de la santé. ‘Rendre le travail plus avantageux’ devient le leitmotiv des politiques d’activation. La protection sociale devient un facteur de production qui doit profiter à l’emploi. Dans l’Agenda social de 2000, il est dit que la politique sociale a une double fin : l’Agenda doit renforcer le rôle de la politique sociale en tant que facteur de compétitivité et lui permettre parallèlement d’être plus efficace dans la poursuite de ses finalités propres en matière de protection des individus, de réduction des inégalités et de cohésion sociale (§ 9).

Ainsi, au lieu d’être une politique qui fonctionne sur un pied d’égalité avec la politique économique, le social devient l’objet d’une politique au service de l’économie et, en même temps, il lui est subordonné. Si les notions de ‘solidarité, ‘redistribution’ et ‘inégalité’ se retrouvent toujours ici et là dans quelques documents, ils cessent d’être au cœur des politiques sociales et la protection des revenus et du niveau de vie disparaissent comme objectif.

Pourtant, les Etats-Providence en Europe occidentale avaient été conçus comme une protection contre le marché, mais les nouvelles politiques sociales, par contre, doivent permettre aux individus de participer au marché.

Comment expliquer ?
Ce changement de philosophie répond, selon nous, à la victoire ‘néolibérale’ dans sa version allemande, ‘ordolibérale’6.
Le but des ordolibéraux était, avant et après la deuxième guerre mondiale, de trouver une troisième voie entre le socialisme et le nazisme. Ils ont voulu créer un ordre social juste, moyennant un Etat de droit. L’ordre politique dont ils rêvaient n’était pas seulement d’ordre économique mais aussi sociétal. Cependant, les politiques sociales qu’ils peuvent admettre sont toujours subordonnées à la fonctionnalité des mécanismes du marché. De là vient qu’ils préconisent le marché privé des assurances, mais aussi qu’ils ne veulent pas faire des prolétaires des ‘assurés sociaux’, mais des propriétaires, des épargnants, des producteurs indépendants.

Voilà la logique que l’on retrouve aussi bien dans le raisonnement du Bundesverfassungsgericht à l’occasion du Traité de Maastricht, que dans celui à l’occasion du traité de Lisbonne7. L’UE doit fournir le cadre légal pour l’économie sociale de marché, la concurrence libre et non faussée et la stabilité monétaire, avec les quatre libertés économiques et les règles rigides y afférentes. Ce cadre légal est contraignant mais considéré comme étant apolitique.

Et les conséquences ?
La conséquence majeure de ce changement de philosophie et du triomphe du néolibéralisme est l’abandon des politiques sociales traditionnelles en Europe.

Malgré leurs divergences, dues à des traditions culturelles et politiques, elles ont aussi des caractéristiques en commun. En effet, toutes sont basées, d’une façon ou d’une autre sur le modèle de la citoyenneté sociale, comme complément indispensable de la citoyenneté civile et politique. Celles-ci pouvant être défaites par les inégalités économiques, en conséquence du fonctionnement du marché, la plupart des systèmes de protection sociale en Europe occidentale sont basés sur l’égalité propre au principe même de la citoyenneté – et donc aussi sur des politiques universelles et non pas ciblées – ainsi que sur une démarchandisation de certains biens. Les soins de santé, l’éducation, la poste, les transports en commun, etc. ont été institutionnalisés en tant que ‘service public’. La spécificité de ces systèmes de citoyenneté sociale est que – dans la plupart des cas – ils n’empêchent pas le marché de fonctionner, mais ils empêchent que ce soit le marché qui décide de l’accès ou non des citoyens à ces biens. Les citoyens ont des droits et ceux-ci sont basés sur un système de solidarité et de redistribution dans lequel la fiscalité joue également son rôle.

Or, même si certains de ces principes sont toujours présents dans les protections sociales existantes au niveau national, ils sont en train de disparaître et ils restent totalement absents au niveau européen. Aujourd’hui, il n’y a plus guère d’espoir de les voir resurgir chez la Commission ou au Parlement européen. Maintenant, l’accent est mis sur la pauvreté, comme le demande l’ordolibéralisme, et comme il convient dans ce changement d’échelle propre à l’intégration européenne et à la mondialisation.

Que faire ?
La conséquence majeure des politiques de lutte contre la pauvreté est que, en l’absence de politiques sociales basées sur la citoyenneté et les droits, elle donne libre cours à l’inégalité. Les inégalités de revenu augmentent dans l’UE, comme partout ailleurs8. Aussi souhaitables que soient les politiques contre l’exclusion, elles ne mènent pas à des sociétés justes aussi longtemps que les inégalités – et notamment celles de revenu – augmentent.

Voilà pourquoi il est urgent de souligner l’importance des droits économiques et sociaux, ultime rempart contre le démantèlement total des Etats sociaux et de la citoyenneté.
Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies reconnaît le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille (art. 11), le droit au travail (art. 6) et à des conditions de travail justes et favorables, y compris un salaire équitable (art. 7), et le droit à la sécurité sociale (art. 9). Ces droits sont confirmés dans la Charte sociale européenne du Conseil de l’Europe et dans différentes conventions de l’OIT. Ces textes vont donc nettement plus loin que la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Or, ceux-ci ne sont même pas respectés dans l’Union européenne, comme l’ont souligné les premiers rapports de l’Agence des droits fondamentaux à Vienne, le Parlement européen9 et la Confédération syndicale internationale10.

Les droits humains sont au niveau international ce que les droits de la citoyenneté sont au niveau national. A l’ère de la mondialisation, les solidarités s’articulent du niveau local au niveau national, régional (européen) et mondial.

Cela veut dire que plus que de consommateurs, la population de l’Union européenne est constituée de citoyens, ayant droit à des droits et ayant droit à lutter pour leurs droits. Désormais, la lutte pour les droits de l’homme et les droits de la citoyenneté au niveau européen devient une nécessité urgente pour tous ceux qui croient en l’importance de l’indivisibilité des droits et en l’articulation nécessaire des niveaux de solidarité. Car la concurrence ne peut créer de lien social, surtout si le dumping social est institutionnalisé et si les travailleurs deviennent concurrents avant de devenir citoyen.

En tant qu’Etats parties au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les pays membres de l’UE doivent conformer leurs politiques économiques et sociales aux exigences de celui-ci afin de protéger les droits économiques, sociaux et culturels de leurs citoyens.

Catégories Cas Déclarations Droits économiques, sociaux et culturels DROITS HUMAINS
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