Haïti : occupation militaire, plusieurs siècles de pillage et de surexploitation et quelques semaines d’oboles humanitaires

11/11/2010

CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME
Session 13

I. Histoire d’un génocide et d’un écocide1

Quand, en 1492, Colomb aborda l’île qu’il appela La Española (Haïti et Saint-Domingue), il se trouva face à un véritable verger peuplé par une grande population indigène qui y vivait pacifiquement.

La déforestation de l’île, afin de faire place aux cultures des conquistadors, et l’élimination physique des natifs, remplacés ensuite par des Africains réduits à l’état d’esclaves, débutent cependant dès 1500. Voici qui explique comment, alors qu’au moment de la conquête la forêt couvrait 80 pour cent du territoire, elle n’en occupe au début du XXIème siècle plus que 2% à Haïti et 30% à Saint-Domingue, avec de terribles conséquences écologiques et climatiques2.

II. 1ère République d’Amérique latine et des Caraïbes et 1ère République noire du monde

Il y a un peu plus de 200 ans, le 1er janvier 1804, la population de Haïti abolit l’esclavage et se proclama République indépendante.

L’abolition de l’esclavage suscita la crainte que cela devienne un exemple parmi les esclaves des possessions coloniales européennes voisines ainsi qu’aux Etats-Unis, où l’esclavagisme exista jusqu’à la Guerre de sécession, au cours des années 1860. Pour ces raisons, Haïti eut à subir une longue période d’isolement international.

En 1802, Napoléon, qui avait pour but de rétablir l’esclavagisme dans les colonies, envoya à Haïti une expédition militaire de 24’000 hommes, sous le commandement du Général Leclerc, qui obtint au début la soumission d’une partie des Haïtiens suite à la fausse promesse de ne pas rétablir l’esclavagisme.

Toussaint Louverture, de concert avec l’autre partie des Haïtiens, ne se laissa pas tromper ; ensemble, ils luttèrent contre les Français avec des réussites inégales. Cependant, lorsqu’ils apprirent l’arrestation de Toussaint Louverture, sa déportation en France et le rétablissement de l’esclavagisme dans d’autres colonies comme la Guadeloupe, les rebelles reprirent de plus bel les combats, mirent en déroute l’armée envoyée par Napoléon et entrèrent finalement à Port-au-Prince en octobre 1803. Les forces françaises, qui avaient perdu plusieurs milliers d’hommes, y compris le Général Leclerc et divers autres généraux, évacuèrent l’île en décembre 1803.

Depuis lors et jusqu’à ce jour, les Haïtiens ont eu à subir des invasions (celle des EU de 1915 à 1934), des dictatures sous le haut patronage des Etats-Unis, des coups d’Etat et de nouvelles invasions.

III. Aristide, premier Président élu démocratiquement : expulsé par les Etats-Unis et la France

Quand Aristide, le 1er Président de l’histoire haïtienne élu démocratiquement, accéda au Gouvernement d’Haïti en février 1991, il proposa d’augmenter le salaire minimum de 1.76 dollars à 2.94 dollars par jour. L’Agence américaine pour le développement international (USAID) critiqua cette initiative en disant que cela signifierait une grave distorsion du coût de la main d’œuvre. Les sociétés états-uniennes installées à Haïti (soit la quasi totalité des sociétés étrangères) soutinrent l’analyse de l’USAID et, avec l’appui de la CIA, préparèrent et financèrent le coup d’Etat contre Aristide de septembre 19913. Comme la réaction internationale (l’embargo) et le chaos interne paralysaient le travail des entreprises états-uniennes à Haïti, les troupes de ce pays rétablirent Aristide au gouvernement en 1994 tout en assurant en même temps l’impunité et une retraite confortable aux chefs militaires auteurs du coup d’Etat.

Les forces armées des Etats-Unis, qui intervinrent à Haïti avec l’aval du Conseil de sécurité des Nations Unies, se sont emparées dans le pays de la documentation relative aux violations des droits humains commises par la dictature militaire et, probablement, des preuves de l’intervention de la CIA. Les autorités des Etats-Unis continuent à détenir ces documents, malgré les protestations qui leur ont été adressées à de multiples occasions4.

En 2004, le scénario de 1991 se répéta : réélu en 2001, Aristide se retrouva dénigré politiquement, assiégé économiquement par les Etats-Unis et asphyxié par le Fonds monétaire international. Cette fois-ci, son expulsion fut orchestrée par les Etats-Unis, avec la France comme second violon, et légitimée ex post facto par le Conseil de sécurité. Aristide avait de plus commis l’imprudence de réclamer à la France la rétrocession de l’« indemnisation » qu’Haïti avait payée au XIXème siècle, estimée en valeur actuelle à 21 milliards de dollars.

En effet, la France a fait payer Haïti pour son indépendance. En 1814, la France exigea d’Haïti une indemnité de 150 millions de francs or, ramenée à 90 millions en 1838. Lorsque Haïti accepta cette exigence, la France l’a reconnu comme nation indépendante et commença à percevoir les quote-parts de l’indemnité. Haïti finit de la payer en 1883.

Dans la foulée de l’éviction d’Aristide en 2004, une « Conférence des donateurs » fut réunie à Washington. Une année plus tard, des 1080 millions de dollars promis, seuls 90 millions étaient parvenus à Haïti, dont la moitié destinée à organiser les élections.

La MINUSTAH (Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti, créée par le Conseil de sécurité le 30 avril 2004) se livra, sous prétexte de la prolifération de la délinquance armée, à de véritables massacres à Cité-Soleil, quartier le plus pauvre de Port-au-Prince et bastion des partisans d’Aristide : le 6 juillet 2005 ainsi que le 16, le 22 et le 28 décembre 2006, faisant usage d’armes lourdes dont les projectiles traversèrent de part en part les misérables cassines du quartier, comme si elles étaient en papier.

IV. Le tremblement de terre

Diverses institutions, Médecins sans frontières (MSF) et autres, dénoncèrent le fait que le déploiement militaire états-unien avait entravé l’accès de l’aide sanitaire urgente au cours des tout premiers jours.

Le 21 janvier, Françoise Saulnier, directrice du service juridique de MSF, a annoncé que cinq patients étaient décédés au centre médical installé par cette organisation. Madame Saulnier ajouta ceci : « La chirurgie est une priorité urgente dans de telles catastrophes. C’est bien connu. Vous avez les trois premiers jours pour sortir les gens des bâtiments, puis les trois suivants pour leur donner des soins chirurgicaux et après, la nourriture, l’abri, l’eau, tout cela vient après. Tout cela a été mélangé, (…) l’attention à la vie des gens a été retardée alors que la logistique militaire, qui est utile non pas au troisième jour, mais au quatrième jour, ou peut-être même au huitième jour, a encombré l’aéroport et conduit à cette mauvaise gestion”». Selon Mme Saulnier, les trois jours ainsi perdus créèrent d’importants problèmes d’infection, de gangrène et cela a amené des amputations qui auraient pu être évitées.

V. Le rôle du Conseil de sécurité

Le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui se réunit en moins de 24 heures lorsque la question traitée intéresse les grandes puissances, a attendu une semaine avant de tenir session et a pris comme unique décision l’augmentation du contingent de la MINUSTAH à hauteur de 8940 militaires et 3711 policiers.

Quand, en septembre 2009, la prorogation du mandat de la MINUSTAH fut discutée au Conseil de sécurité, divers diplomates affirmèrent la nécessité de donner une nouvelle orientation à ladite Mission. Le représentant du Costa Rica dit que ce dont les Haïtiens avaient besoin c’était d’un avenir meilleur et, pour qu’ils pussent manger, de pouvoir compter sur un secteur agricole dynamique. Il se demanda pourquoi fallait-il poursuivre à grand frais la militarisation de MINUSTAH et la reconstruction des forces armées d’Haïti alors que celle-ci n’était l’objet d’aucune menace externe, ajoutant qu’il était urgent de surmonter l’obstacle constitué par le régime de propriété de la terre. Mais la MINUSTAH poursuivit selon la même orientation avec une composante militaire prééminente.

Il y a actuellement quelque 18 000 soldats états-uniens et 12 000 soldats et policiers de la MINUSTAH. Soit, proportionnellement à la population et au territoire, une force militaire équivalente aux forces armées déployées en Afghanistan et en Irak.

VI. L’augmentation du salaire minimum comme détonateur ?

Le salaire minimum à Haïti était fixé depuis mai 2003 à 70 gourdes par jour, soit l’équivalent calculé en dollars de 1.75$/jour, celui qui avait cours en 1991 quand Aristide voulut l’augmenter à 2.94$. En 2007, l’inflation avait connu une gigantesque explosion et touché les prix des produits de base. Si l’on prend en compte cette inflation, le salaire industriel minimum devrait se situer entre 550 et 600 gourdes. Après deux années de discussions, le Parlement haïtien avait approuvé en avril 2009 une augmentation du salaire minimum à 200 gourdes, soit un peu moins de 5$/jour. Le Président de la République et le Gouvernement haïtien se refusèrent à promulguer la nouvelle loi.

En conséquence, d’énormes manifestations d’étudiants et de travailleurs eurent lieu qui réclamaient la promulgation de la loi. Ces manifestations furent violemment réprimées par la police haïtienne et la MINUSTAH.

Finalement, en août 2009, le salaire minimum fut fixé à 150 gourdes journalières (quelque 3.5 dollars). Totalement insuffisant pour vivre mais inacceptable pour les maquiladoras !

Peut-être cette augmentation du salaire minimum explique-t-elle, au moins en partie, l’occupation d’Haïti par les forces armées des Etats-Unis, comme ce fut le cas lors du coup d’Etat militaire de 19915

VII. Vol et appropriation d’enfants

Haïti connaît une longue histoire de vols d’enfants, d’adoptions illégales, y compris des suspicions fondées de trafic d’organes d’enfants.

On constate actuellement de nombreuses transgressions du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » : le vol d’enfants, l’accélération des procédures d’adoption et l’expatriation d’enfants à des fins humanitaires présumées. Tout cela en violation de la Convention relative aux droits de l’enfant, de la Convention sur l’adoption internationale, des Directives du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) sur la protection des enfants en cas de conflits armés ou de catastrophes naturelles et des recommandations de l’UNICEF. Le HCR et l’UNICEF soutiennent qu’en des circonstances pareilles à celles que traverse Haïti, il y a lieu de PARALYSER les procédures, de ne pas en commencer de nouvelles, de ne pas utiliser de façon indue et abusive le qualificatif d’orphelins, sinon d’« enfants non accompagnés » jusqu’à ce qu’on sache avec certitude le sort subi par leurs parents et leur famille proche. Et, ces agences insistent sur le fait qu’il ne faut pas expatrier pour éviter qu’au traumatisme de la catastrophe s’ajoute pour eux celui d’une séparation brutale de leur milieu de vie habituel et une rupture de tous leurs liens familiaux.

Les Pays-Bas ont emmené 109 enfants d’Haïti qui, à première vue, étaient déjà en cours d’adoption, les Etats-Unis en ont amené 53 à Pittsburg « pour améliorer leur état de santé » quoique, selon certaines informations, cela pourrait aussi faciliter l’adoption de ceux d’entre eux qui réuniraient les conditions pré-requises. Cela revient à dire que ces 53 enfants ni les éventuels suivants n’étaient pas alors engagés dans un processus d’adoption. La France en a déjà expatrié plus de 120, apparemment suite à une « accélération » du processus d’adoption.

Selon une porte-parole de l’UNICEF, Véronique Taveau, la politique de l’organisme international est de rechercher la réunification de la famille à tout prix et, pour cette raison, elle a exprimé sa préoccupation face à la décision de quelque pays d’accélérer les démarches d’adoption.

Y compris lorsque les démarches d’adoption sont terminées « Les Autorités centrales des deux Etats veillent à ce que ce déplacement s’effectue en toute sécurité, dans des conditions appropriées et, si possible, en compagnie des parents adoptifs ou des futurs parents adoptifs », comme l’indique l’article 19, alinéa 2, de la Convention sur l’adoption internationale. Cela veut dire qu’en des circonstances aussi dramatiques, les parents adoptifs devraient aller chercher l’enfant adopté et non l’attendre à l’aéroport d’arrivée.

En résumé, la question posée n’est pas celle d’« aider » Haïti mais celle de respecter son peuple, de le rembourser autant que possible de tout ce qui lui a été dérobé en 500 ans.
De le rembourser en argent, en reforestation, en développement agricole diversifié, en équipements, en reconstruction, etc.

Et, comme première priorité, d’évacuer toutes les forces armées étrangères de son territoire.

En outre, au vu de ce qui précède, nous exhortons tous les Etats, en particulier ceux membres du Conseil de sécurité de l’ONU, à :
– respecter la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et l’unité d’Haïti ;

– annuler la dette extérieure d’Haïti vis-à-vis des créanciers bilatéraux et multilatéraux (sans que cela soit comptabilisé comme aide apportée à ce peuple meurtri!) ;

– stopper toute processus d’adoption d’enfants par les étrangers jusqu’à la stabilisation de la situation.

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