Négociations au sein de l’ONU sur le traité contraignant sur les STN : Quo Vadimus ?

10/12/2019

La 5e session du Groupe de travail intergouvernemental de l’ONU chargé d’élaborer un traité contraignant pour réguler les activités des sociétés transnationales (STN) s’est tenue à Genève du 14 au 18 octobre 2019.

Le Groupe de travail est entré dans le vif du sujet avec la présentation de la version révisée du projet de traité par sa présidence, assurée par l’Équateur. De nombreuses délégations étatiques et d’organisations de la société civile se sont prononcées sur ledit projet.

Le CETIM, en tant que membre de la Campagne mondiale et en coopération étroite avec cette dernière, y a participé activement en présentant de nombreux amendements, malgré la tentative de la présidence d’isoler la société civile au début des travaux du Groupe de travail.

Sans surprise, les débats au sein du Groupe de travail se sont focalisés en partie sur le champ d’application et la responsabilité des STN et autres entreprises dans le cadre du futur traité. Certains États (Équateur, Espagne et Mexique entre autres) ainsi que les lobbies des STN ont soutenu l’extension du champ d’application à toutes les entreprises comme le propose la version révisée du projet. La France, tout en soutenant la position de ces derniers, a reconnu que les exigences prévues seraient insoutenables pour les petites entreprises. Pour l’Argentine, les entreprises nationales sont déjà régies par la législation nationale. La plupart des États (le Groupe africain notamment) ont rejeté l’extension du champ d’application à tout type d’entreprise et plaidé pour le respect du mandat du Groupe de travail qui vise exclusivement les STN et autres entreprises avec des activités à caractère transnational. La Russie et la Chine ont présenté de nombreux amendements et exprimé leurs réserves sur le contenu de certains articles.

Selon notre analyse, le contenu du projet révisé est encore loin de répondre aux problèmes posés par les STN et ne tient pas compte de la plupart des revendications des communautés affectées. En effet, le projet révisé comporte de nombreuses imprécisions et entretient des confusions sur le champ d’application du futur traité contraignant qui est étendu à n’importe quel type d’entreprise. La responsabilité conjointe et solidaire des sociétés mères pour les violations commises par les entités de leurs chaînes de valeur n’est pas précisée non plus. L’objectif de ces changements étant de vider le futur traité de sa substance. En effet, la capacité des STN à contourner les juridictions nationales et échapper à tout contrôle démocratique et juridique sont les réelles raisons sous-jacentes. Faut-il le rappeler, ces changements drastiques réclamés répondent en fait aux exigences de certains acteurs qui ont contesté vigoureusement l’élaboration de ce traité (le lobby des STN et certains puissants États).

Quant aux obligations énumérées dans ledit projet, elles reposent essentiellement sur l’État nation. Or, comme chacun le sait, dans le contexte de la mondialisation néolibérale actuelle, aucun État n’est en mesure individuellement de contrôler les activités des STN, vu leur versatilité économique et juridique à travers les frontières.

Ainsi, le projet révisé s’éloigne dangereusement de l’esprit et de la lettre de la résolution 26/9 qui fixe le mandat du Groupe de travail. Un tel projet sape et dilue le but initial du processus de négociation, à savoir l’encadrement juridique des activités à caractère transnational d’entités privées qui violent les droits humains et causent des dégâts irréversibles à l’environnement.

De plus, la délégation du Brésil a tenté d’évincer la société civile du processus de négociations, en présentant une proposition formelle dans ce sens à la fin de la semaine. Ce fut sans succès, grâce à l’opposition ferme des États membres du Mouvement des non- alignés.

A l’issue des débats, le Groupe de travail a chargé son président de présenter une nouvelle version révisée du projet de traité à soumettre à sa 6e session.

Pour le CETIM et la Campagne mondiale, il est évident qu’il faudra impérativement préciser dans la nouvelle version dudit projet les obligations des STN et autres entreprises à caractère transnational si l’on veut prévenir les violations des droits humains et assurer l’accès à la justice des communautés et personnes affectées par ces entités.

En ce sens, nous continuerons à nous mobiliser pour le maintien et/ou le développement de certains éléments clés dans le projet de traité tels que les droits des communautés et personnes affectées, la responsabilité conjointe et solidaire des STN (maisons-mères) avec leurs chaînes de valeur sur les plans civil, pénal et administratif, la question de la juridiction (État d’origine, État d’accueil et le forum necessitatis), un mécanisme international de mise en œuvre efficace et efficient, etc. Nous plaiderons pour l’inclusion des revendications et propositions qui émanent du terrain. Pour nous, le futur traité doit impérativement garantir l’accès à la justice pour les communautés affectées, réguler de manière contraignante les activités des STN et réaffirmer clairement la suprématie des droits humains sur tout accord économique et commercial.

Il s’agit d’une lutte pour la justice sociale et contre l’impunité des STN au sein du Groupe de travail. Le CETIM et la Campagne Mondiale poursuivront leurs efforts pour contribuer à l’élaboration d’un cadre juridique effectif et efficace pour encadrer les activités de ces entités. Il s’agit aussi de la construction du droit international par le bas.

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