Coopération entre les Etats-Unis et l’Afrique : l’AMI africain

11/11/2000

1. En décembre 1997, la Maison Blanche présente aux présidents des Commissions parlementaires un nouveau projet de loi intitulé « African Growth and Opportunity Act »; selon le président Clinton il s’agit d’« un partenariat en faveur de la croissance » qui devrait profiter « à ceux qui renforcent leur régime démocratique, réforment leur réglementation commerciale et valorisent leurs ressources humaines ». Attirante de par son nom, cette proposition de loi est « bâtie autour de la fameuse maxime « Trade not Aid » (commerce et non aide) mais (…) n’est qu’un cadeau de bénéfices en faveur des multinationales florissantes et une menace pour la souveraineté des états sub-sahariens que les défenseurs mêmes du projet de législation disent vouloir aider»[i].

Plus qu’une atteinte à la souveraineté, ce traité représenterait dans les fait une véritable catastrophe économique, humaine, culturelle et écologique pour ces pays. Ne pouvant imposer l’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI)[ii] au sein de l’OCDE et de l’OMC, les Etats-Unis opteraient-ils vers une stratégie d’intérêts régionaux à très court terne pour forcer des groupes de pays à adopter ce type d’accord?

2. Il faut savoir que ce projet de loi a été concocté par une coalition de sociétés transnationales dont notamment Chevron, Texaco, Mobil, Amoco, Caterpillar, Occidental Petroleum et General Electric, déjà fortement implantées sur le continent. Avides de conquérir les « espaces vierges » d’Afrique et par conséquent d’augmenter leurs profits, les dirigeants de ces sociétés transnationales ont su séduire la Maison Blanche qui, à son tour, sût séduire une partie du Congrès et de la communauté afroaméricaine, en particulier celle du milieu des affaires. Relevons à ce titre que dans son discours sur l’état de l’Union, le 27 janvier 1998, le président Clinton déclara que ce projet de loi prévoit la réduction ou la suppression des barrières douanières pour environ 1’800 produits en provenance des pays de l’Afrique sub-saharienne[iii]. En quelque sorte il s’agit de faire subtilement entrer l’Afrique dans les filets de la mondialisation économique néolibérale à l’américaine.

3. Toutefois, le projet de loi a été attaqué par différentes ONG implantées en Afrique[iv] et aux Etats-Unis d’Amérique ainsi que par une partie de l’opinion publique nord-américaine, qui voient en cette loi un instrument de promotion et de mise sous tutelle -par les sociétés transnationales- des économies africaines et des ressources naturelles du continent.

4. Après un lourd et difficile débat, l’ « African Growth and Ouportunity Act » a été approuvé dans un premier temps par la Chambre (233 pour contre 186) mais bloqué ensuite par le Sénat. La réaction de la Maison Blanche ne s’est guère fait attendre. En effet, une nouvelle offensive est annoncée en janvier 1999 par l’introduction au Congrès, d’un nouveau projet de loi intitulé « Africa Trade and Development Bill » dont la teneur n’a fondamentalement pas changé par rapport au projet initial.

5. Avant toute requête, tout gouvernement africain demandeur est tenu entre autre de :

– appliquer à la lettre les programmes d’ajustement structurel du FMI;
– déposer candidature auprès de l’OMC et respecter l’ensemble de ses critères;
– accorder le “traitement national” à tous les acteurs économiques; à savoir le même traitement pour les entreprises locales et les sociétés transnationales;
– réduire les dépenses “domestiques” (donc pour la santé, l’éducation, l’environnement…);
– réduire drastiquement les impôts sur les entreprises étrangères et nationales;
– privatiser les secteurs et les services publics;
– ouvrir le plus possible l’économie à la propriété ou au contrôle des holding étrangères sur les facteurs de production et particulièrement sur les ressources naturelles.

Non content d’imposer ces politiques aux éventuels pays signataires, les Etats-Unis aimeraient les poser comme condition à l’ensemble des Etats sub-sahariens pour qu’ils puissent continuer à accéder au marché américain selon les tarifs appliqués jusqu’alors (selon le “système généralisé de préférence”; Generalized System of préférences, GSP, 1974). En effet, les pays ne remplissant pas les conditions ou ne voulant pas adhérer à l”‘Africa Trade and Development Bill” ne pourraient plus, selon les termes actuels, avoir accès à ces tarifs[v].

6. Au vu de ses visées, l’« Africa Trade and Development Bill » est souvent nommé «NAFTA for Africa ». En fait le NAFTA (ALENA) existant a été -à son origine- présenté comme un acte visant à renforcer l’économie des Etats-Unis d’Amérique, du Canada et du Mexique en se basant sur l’économie de marché et sur la totale liberté de commerce. Toutefois les résultats catastrophiques – notamment en matière d’emplois-, se sont faits ressentir en moins de 5 ans : au Mexique, 28’000 petites et moyennes entreprises mexicaines ont été mises en faillite, environ un million de familles paysannes se sont retrouvées sans emploi et le pourcentage d’extrême pauvreté est passé de 30 % à 51 de la population[vi].

7. Adopter l’ « Africa Trade and Development Bill » revient à planifier la mort de millions de personnes. II s’agit non seulement de miner la souveraineté des pays africains quant à leur politique de développement. mais aussi de saper les intérêts africains au sein des économies locales et sur les ressources naturelles du continent. Il est évident que ceux qui tireraient bénéfice de l’application du « plan africain Clinton » seraient principalement les sociétés transnationales nord-américaines. Relevons que des centaines de millions de dollars sont déjà garantis aux investisseurs nord-américains, en particulier ceux qui récolteront les bénéfices de la privatisation obligatoire des patrimoines et des services publics de tout pays africain adhérent à l’accord.

8. En mars 1998, le Président Clinton effectua sa première visite en Afrique, durant laquelle il a, à plusieurs reprises-, parlé d’une «renaissance africaine»[vii]; ce voyage lui a aussi permis de présenter au monde les leaders de façade de ce nouveau modèle économique nord-américain en Afrique, notons qu’à cette période le Congrès examinait le premier projet de loi, l’« African Growth and Opportunity Act ». Accompagné par une forte délégation du milieu de la finance et des affaires, l’un de ses buts premiers était en effet d’obtenir l’appui de leaders africains à ce type de législation et d’approche économique. Cependant, malgré les avantages qu’on lui faisait miroité suite à l’adoption d’un tel accord, l’ex-président M. Nelson Mandela a publiquement réagi au projet de loi examiné par le Congrès, en déclarant au Président Clinton lors de sa visite le 27 mars 1998 que «ceci est un sujet sur laquelle nous [Sud-Africains] mettons d’importantes réserves… et que pour nous, il est inacceptable. » Il faut également relever qu’au fil des mois, des réactions se sont faites aussi ressentir dans les. milieux politiques nord-américains, notamment par la bouche du Révérend Jesse Jackson[viii].

9. Près d’une année plus tard, les voix d’opposition à l’adoption de l’« Africa Trade and Development Bill » ont retenti à nouveau à Johannesburg dans le cadre de la «Conférence préparatoire pour la création d’un Tribunal international pour l Afrique », laquelle s’est tenue les 27 et 28 février 1999. En effet, après une discussion menée autour des conséquences socio-économiques découlant d’un tel accord, les 60 délégués présents ont non seulement décidé d’envoyer une délégation aux Etats-Unis d’Amérique pour obtenir un appui contre l’adoption du projet mais ont aussi lancé un vibrant appel demandant : (i) l’annulation complète de la dette extérieure, (ii) le refus complet de tous les projets d’ajustement structurel, (iii) l’opposition à tous les projets de privatisation, (iv) le respect du principe du droit de tous les peuples et nations d’exercer leur plein contrôle sur leur destinée et (v) la fermeture immédiate de toutes les bases militaires étrangères sur le continent africain.

10. Préoccupé par les conséquences catastrophiques qui découleraient de l’adoption d’un tel projet de loi, le Centre Europe-Tiers Monde (CETIM) tient à s’associer à l’appel lancé par les délégués de la « Conférence préparatoire pour la création d’un Tribunal international pour 1 Afrique ». En réalité, l’approbation de l’« Africa Trade and Development Bill » renforcerait les politiques du FMI et de la Banque Mondiale qui ont montré la preuve de leur inefficacité et de leur nocivité, imposerait l’adhésion à l’OMC pour chaque gouvernement africain, mettrait en oeuvre des politiques monétaires et d’investissement similaires à celles proposées dans l’« Accord Multilatéral d’Investissement » (AMI) et privatiserait les patrimoines et les services publiques, avec un accès garanti pour les sociétés transnationales.

11. En cas de mise en vigueur, ce traité violerait ainsi l’article premier paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, à savoir que « tons les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ».

Catégories Cas Déclarations Droits des paysans DROITS HUMAINS Sociétés transnationales
Étiquettes
bursa evden eve nakliyat